Par un arrêt en date du 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur une procédure en manquement initiée à l’encontre d’un État membre. En l’espèce, il était reproché à cet État de ne pas avoir transposé dans son ordre juridique interne la directive 2004/17/CE, relative à la coordination des procédures de passation des marchés dans des secteurs spécifiques. La Commission européenne, gardienne des traités, a saisi la Cour afin de faire constater cette omission dans les délais impartis. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si l’absence d’adoption des mesures nationales de transposition d’une directive dans le délai prescrit suffisait à caractériser une violation des obligations découlant du droit de l’Union. La Cour y répond sans équivoque par l’affirmative, en jugeant qu’« en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci ». Cette solution, classique dans son expression, réaffirme la force obligatoire du droit dérivé de l’Union (I), tout en rappelant les conséquences attachées à l’inexécution par un État membre de ses devoirs (II).
I. La réaffirmation de l’obligation de transposition du droit de l’Union
La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence constante relative au contrôle du respect par les États membres de leurs engagements. La Cour se borne à constater objectivement le manquement (A), rappelant ainsi la nature et la force de l’obligation de transposition qui pèse sur les États (B).
A. La constatation objective du manquement par le juge
Le recours en manquement, prévu à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, permet à la Commission de faire constater par la Cour la violation du droit de l’Union par un État membre. Dans ce cadre, le juge exerce un contrôle objectif. Il lui suffit de vérifier si, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’État a effectivement mis fin au manquement qui lui est reproché. Les éventuelles difficultés d’ordre interne, qu’elles soient politiques, administratives ou juridiques, ne sauraient justifier l’inexécution d’une obligation. La présente décision illustre parfaitement cet office, la Cour se limitant à constater l’absence de mesures de transposition à la date butoir. Le jugement a un caractère purement déclaratoire : il officialise la défaillance de l’État sans, à ce stade, prononcer de sanction.
B. La force contraignante des directives européennes
Le manquement constaté trouve sa source dans la méconnaissance de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Aux termes de ce texte, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique un devoir de transposition active, complète et correcte dans les délais prescrits. Le défaut d’agir, comme en l’espèce, constitue la forme la plus élémentaire de violation de cette obligation. Cette exigence est également le corollaire du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne, qui impose aux États de prendre toutes mesures propres à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou des actes des institutions.
II. Les effets attachés à la défaillance de l’État membre
La constatation de ce manquement n’est pas purement symbolique ; elle emporte des effets juridiques significatifs tant à l’égard de l’État lui-même (A) que des particuliers (B).
A. L’ouverture d’une potentielle procédure de sanction
Si l’arrêt en manquement est de nature déclaratoire, il constitue le préalable nécessaire à une éventuelle sanction financière. En vertu de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, si l’État membre concerné ne se conforme pas à l’arrêt de la Cour, la Commission peut introduire un nouveau recours. Dans le cadre de cette seconde procédure, elle peut requérir l’imposition d’une somme forfaitaire et d’une astreinte journalière. Le but de ce mécanisme est d’inciter l’État défaillant à exécuter ses obligations le plus rapidement possible. La décision commentée agit donc comme un avertissement solennel, dont l’ignorance exposerait l’État à des conséquences pécuniaires potentiellement lourdes, destinées à garantir l’application effective et uniforme du droit de l’Union.
B. La protection subsidiaire des droits des particuliers
L’absence de transposition d’une directive peut priver les particuliers des droits que celle-ci entend leur conférer. Pour pallier cette carence, la jurisprudence a développé deux mécanismes principaux. D’une part, les dispositions d’une directive non transposée peuvent, sous certaines conditions de clarté, de précision et d’inconditionnalité, être invoquées par les particuliers à l’encontre de l’État et de ses émanations devant les juridictions nationales ; c’est le principe de l’effet direct vertical. D’autre part, la défaillance de l’État peut engager sa responsabilité. Lorsqu’un particulier subit un préjudice directement causé par la non-transposition d’une directive, il peut obtenir réparation auprès des tribunaux nationaux, à condition que la norme violée ait pour objet de lui conférer des droits et que la violation soit suffisamment caractérisée. La présente décision, en constatant le manquement, consolide ainsi le fondement d’éventuelles actions en responsabilité contre l’État défaillant.