Cour de justice de l’Union européenne, le 31 janvier 2013, n°C-642/11

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 31 janvier 2013, une décision fondamentale relative à l’interprétation du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Le litige porte sur le droit à déduction d’une taxe mentionnée sur des factures dont la réalité des livraisons effectives est contestée par l’administration fiscale nationale. Une société a déduit la taxe résultant de l’acquisition de combustible, mais un contrôle fiscal a conclu à l’absence de preuve suffisante concernant le parcours des biens. L’administration a donc émis un avis de rectification refusant la déduction, bien que la taxe collectée et déclarée par les fournisseurs n’ait fait l’objet d’aucune régularisation. L’acquéreur a saisi la juridiction administrative pour contester ce redressement en invoquant la force probante du maintien de la taxation chez ses différents fournisseurs. La juridiction de renvoi demande si la taxe est due par le seul fait de sa mention et si le silence administratif vaut reconnaissance implicite de l’opération. La Cour affirme que la taxe est exigible indépendamment de la réalité de l’opération et que l’absence de rectification chez l’émetteur ne lie pas l’administration. L’examen de cette décision commande d’analyser l’autonomie de la dette fiscale née de la facture avant d’étudier les conditions du refus du droit à déduction.

I. L’autonomie de la dette fiscale résultant de la seule mention sur la facture

A. La rigueur de l’exigibilité de la taxe par l’émetteur de la facture

L’article 203 de la directive 2006/112 dispose de manière univoque que « la TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture ». La Cour souligne que cette obligation s’applique indépendamment de toute obligation d’acquitter la taxe en raison d’une opération effectivement soumise à ce régime. Cette règle stricte vise principalement à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que pourrait engendrer l’exercice indû de l’article 178 du même texte. La simple existence d’un document mentionnant la taxe crée une apparence de droit que le Trésor public est légitimement fondé à transformer en créance certaine.

La juridiction européenne précise que ce paiement ne présente pas le caractère d’une sanction, malgré la sévérité apparente du dispositif de recouvrement immédiat. Les États membres conservent la faculté de prévoir des mécanismes de correction, mais ceux-ci demeurent subordonnés à la démonstration de la bonne foi de l’émetteur. À défaut d’une telle régularisation volontaire, la taxe demeure due au Trésor par celui qui a pris l’initiative de la porter à la connaissance de son client. Cette certitude de la dette chez l’émetteur garantit la cohérence du système fiscal global contre les risques de facturation de complaisance ou de pure fiction.

B. L’absence de présomption de réalité tirée de l’inaction administrative

Le fait que l’administration fiscale n’ait pas corrigé la taxe déclarée par l’émetteur ne saurait constituer une reconnaissance de la réalité de l’opération imposable invoquée. La Cour énonce clairement qu’il « ne saurait être déduit du seul fait que l’administration fiscale n’a pas corrigé […] la TVA déclarée […] qu’elle a reconnu l’opération effective ». L’absence d’obligation de vérification lors du contrôle du fournisseur justifie cette solution, car le fisc n’est pas tenu de valider chaque facture déposée. Le juge national ne peut donc pas se fonder uniquement sur ce silence administratif pour valider le droit à déduction dont se prévaut l’acquéreur.

Cette position renforce l’indépendance des contrôles fiscaux menés auprès des différents opérateurs composant une même chaîne de livraison de biens ou de services. Chaque situation individuelle est appréciée au regard des preuves produites, sans que la passivité de l’administration envers un tiers ne puisse créer de confiance légitime. Le résultat d’un contrôle chez le fournisseur n’est qu’un élément parmi d’autres que le juge doit souverainement apprécier lors de son examen global. La neutralité fiscale n’impose pas de présumer la véracité d’une facture par le simple encaissement de la taxe par le Trésor public concerné.

II. Le refus conditionnel du droit à déduction du destinataire de la facture

A. La déconnexion nécessaire entre taxation de l’amont et déduction de l’aval

Le principe de neutralité fiscale ne s’oppose pas au refus de déduction opposé au destinataire, même si la taxe du fournisseur n’a pas été rectifiée. La Cour rappelle que l’exercice du droit à déduction est strictement « limité aux seules taxes correspondant à une opération soumise à la TVA » conformément aux articles 63 et 167. Il existe une différence de traitement structurelle entre les deux opérateurs car l’émetteur est lié par son écrit tandis que le destinataire doit justifier d’une réalité. Cette asymétrie apparente est compensée par la possibilité pour le fournisseur de corriger sa facture s’il parvient à démontrer son erreur ou sa loyauté.

La jurisprudence confirme que les deux opérateurs impliqués ne sont pas nécessairement traités de manière identique lorsque la facture est indûment établie sans opération réelle. L’exigence de réalité de la livraison prévaut sur le formalisme pour protéger les ressources budgétaires contre les déductions opérées sur des bases inexistantes ou fictives. Le refus de déduire n’est donc pas conditionné par le remboursement préalable de la taxe versée par l’émetteur de la facture litigieuse ou erronée. Cette règle préserve l’efficacité de la lutte contre l’évasion fiscale tout en maintenant les principes cardinaux du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

B. La protection de l’assujetti de bonne foi face aux fraudes des tiers

Le refus du droit à déduction ne peut intervenir que s’il est établi que l’assujetti « savait ou aurait dû savoir » que l’opération était frauduleuse. La Cour insiste sur le fait qu’il appartient aux autorités nationales d’apporter cette preuve par des éléments objectifs lors de la procédure de rectification. L’administration ne peut exiger du destinataire de la facture des vérifications complexes qui ne lui incombent pas normalement dans le cadre de ses relations commerciales habituelles. Des lacunes comptables chez le fournisseur ne suffisent pas, à elles seules, à priver un acquéreur honnête de son droit fondamental à la déduction.

Une juridiction nationale doit veiller à ce que l’appréciation des preuves n’oblige pas indirectement l’assujetti à se substituer aux missions de contrôle de la puissance publique. Si l’opération est considérée comme inexistante en raison d’irrégularités commises en amont, la bonne foi du destinataire demeure un rempart contre le redressement fiscal systématique. Le juge doit effectuer une appréciation globale de toutes les circonstances de fait pour déterminer si le contribuable a agi avec la diligence requise. Cette protection garantit que la lutte nécessaire contre la fraude ne sacrifie pas la sécurité juridique des opérateurs économiques agissant dans la légalité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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