L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en grande chambre le 31 janvier 2017 offre une clarification substantielle des conditions d’exclusion du statut de réfugié en matière de terrorisme. En l’espèce, un ressortissant marocain, après un premier rejet de sa demande d’asile en Allemagne, était entré illégalement en Belgique. Par un jugement du 16 février 2006, le tribunal correctionnel de Bruxelles l’avait condamné à une peine de six ans d’emprisonnement pour sa participation, en tant que membre dirigeant, aux activités d’un groupe terroriste, le « groupe islamique des combattants marocains ». Les faits retenus incluaient un soutien logistique, la contrefaçon de passeports et l’organisation d’une filière d’envoi de volontaires en Irak, mais sans qu’il soit lui-même l’auteur ou le complice direct d’un acte terroriste spécifique. Craignant des persécutions dans son pays d’origine en raison de cette condamnation, il avait sollicité l’asile en Belgique en 2010.
La procédure administrative et contentieuse qui s’ensuivit fut particulièrement longue et complexe. Le Commissaire général au statut des réfugiés et des apatrides lui refusa le statut de réfugié à trois reprises, en se fondant sur la clause d’exclusion pour « agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ». Saisi à plusieurs reprises, le Conseil du contentieux des étrangers annula d’abord ces décisions pour des motifs procéduraux, avant de finalement lui accorder le statut de réfugié par un arrêt du 12 février 2013. Cette juridiction estimait que les faits reprochés, bien que graves, n’atteignaient pas le seuil requis pour l’exclusion, car le demandeur n’avait ni commis ni participé à une infraction terroriste caractérisée par la violence, telle que définie par le droit de l’Union. Le Commissaire général forma alors un pourvoi en cassation administrative devant le Conseil d’État belge. Ce dernier, constatant l’incertitude quant à l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union, décida de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.
Il était donc demandé à la Cour de justice de l’Union européenne si la clause d’exclusion du statut de réfugié, prévue par la directive 2004/83, pour des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies, suppose nécessairement la commission personnelle d’une infraction terroriste caractérisée par sa violence, ou si la participation aux activités d’un groupe terroriste, même sans implication directe dans de tels actes, suffit à justifier cette exclusion.
La Cour de justice répond que l’application de cette clause d’exclusion n’est pas subordonnée à une condamnation pour une infraction terroriste principale. Elle juge que des actes de participation aux activités d’un groupe terroriste, tels que le soutien logistique, peuvent justifier l’exclusion du statut de réfugié, même si la personne concernée n’a pas commis elle-même d’acte de terrorisme. Pour fonder cette exclusion, les autorités nationales doivent procéder à une évaluation individuelle des faits, dans laquelle une condamnation pénale définitive pour participation aux activités d’un groupe terroriste revêt une « importance particulière ».
Cette décision clarifie de manière significative le champ d’application de la clause d’exclusion, en l’autonomisant par rapport à la définition pénale stricte du terrorisme (I), et précise les modalités de son application par les autorités nationales, en conférant un poids déterminant à la participation à un groupe structuré (II).
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I. L’interprétation extensive de la clause d’exclusion pour agissements contraires aux buts et principes des Nations unies
La Cour de justice adopte une interprétation large de la notion d’« agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies », la détachant d’une définition purement pénale (A) pour la fonder sur une approche fonctionnelle tirée des instruments de droit international (B).
A. Le rejet d’une application conditionnée à la commission d’une infraction terroriste principale
La première question posée à la Cour visait à déterminer si l’exclusion du statut de réfugié exigeait que le demandeur ait été condamné pour l’une des infractions terroristes listées à l’article 1er de la décision-cadre 2002/475, lesquelles se caractérisent principalement par leur nature violente. La Cour répond par la négative, affirmant qu’« il n’est pas nécessaire que le demandeur de protection internationale ait été condamné pour une des infractions terroristes prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/475/JAI ».
Ce raisonnement repose sur une analyse littérale et téléologique de la directive 2004/83. La Cour observe que l’article 12, paragraphe 2, de cette directive ne contient aucune référence à la décision-cadre, alors même que celle-ci préexistait à son adoption. Si le législateur de l’Union avait souhaité restreindre le champ de la clause d’exclusion aux seules infractions pénales qu’il avait lui-même définies, il l’aurait fait expressément. Au contraire, la directive renvoie à la Charte des Nations unies et au considérant 22, qui vise les résolutions des Nations unies relatives à la lutte contre le terrorisme. Par cette autonomisation, la Cour refuse de lier la protection internationale au seul champ du droit pénal de l’Union et préserve une marge d’appréciation plus large pour les autorités chargées de l’asile.
B. La consécration d’une conception autonome et fonctionnelle fondée sur les résolutions des Nations unies
En écartant la référence à la décision-cadre, la Cour ancre sa définition des « agissements contraires aux buts et principes des Nations unies » directement dans le droit international public. Elle se réfère explicitement aux résolutions du Conseil de sécurité, notamment les résolutions 1377 (2001) et 2178 (2014). Celles-ci condamnent non seulement les actes de terrorisme eux-mêmes, mais également « le financement, la planification et la préparation des actes de terrorisme international, de même que toutes les autres formes d’appui à cet égard ».
L’arrêt met particulièrement en exergue les activités de soutien aux combattants terroristes étrangers, que le Conseil de sécurité a identifiées comme une menace majeure. Sont ainsi visées les activités de « recrutement, d’organisation, de transport ou d’équipement » de personnes se rendant à l’étranger dans un but terroriste. La Cour en déduit logiquement que la clause d’exclusion ne vise pas uniquement les auteurs directs d’attentats, mais peut s’étendre à ceux qui fournissent un soutien logistique essentiel à la mouvance terroriste. Cette interprétation fonctionnelle permet ainsi de cibler des individus qui, sans commettre personnellement de violence, jouent un rôle indispensable dans la perpétration d’actes terroristes par d’autres.
II. Les modalités d’application de la clause d’exclusion au soutien logistique du terrorisme
Après avoir défini le périmètre de la clause d’exclusion, la Cour en précise les conditions de mise en œuvre, en exigeant une analyse au cas par cas de la gravité des faits (A) tout en accordant une valeur probante quasi décisive à une condamnation pénale pour participation à un groupe terroriste (B).
A. L’exigence d’une évaluation individualisée de la gravité des faits
La Cour rappelle que l’application de la clause d’exclusion ne peut être automatique. Elle impose à l’autorité nationale compétente de « procéder, pour chaque cas individuel, à une évaluation des faits précis dont elle a connaissance ». Cette exigence garantit le respect des droits du demandeur d’asile et évite qu’une simple suspicion ou une participation mineure à un groupe entraîne une exclusion. La participation aux activités d’un groupe terroriste peut en effet couvrir des comportements d’une gravité très variable, allant du simple soutien idéologique à une implication logistique ou financière de premier plan.
L’évaluation doit donc permettre de déterminer si les actes commis par l’individu sont d’une gravité telle qu’ils portent réellement atteinte aux buts et principes fondamentaux des Nations unies, notamment la paix et la sécurité internationales. Ce faisant, la Cour encadre le pouvoir d’appréciation des États membres, qui ne peuvent se contenter d’invoquer l’appartenance à un groupe mais doivent examiner le rôle personnel et l’implication concrète du demandeur. Cette approche individualisée constitue une garantie essentielle contre l’arbitraire et assure la proportionnalité de la mesure d’exclusion.
B. Le poids déterminant de la condamnation pénale pour participation aux activités d’un groupe terroriste
Tout en maintenant le principe d’une évaluation individuelle, la Cour fournit une ligne directrice claire pour l’appréciation des faits. Elle énonce que « la circonstance que cette personne a été condamnée, par les juridictions d’un État membre, du chef de participation aux activités d’un groupe terroriste revêt une importance particulière ». De même, le fait que l’intéressé ait été un « membre dirigeant » de ce groupe est un élément aggravant.
En conférant un tel poids à une condamnation pénale devenue définitive, la Cour reconnaît l’autorité de la chose jugée par une juridiction d’un État membre. Une telle condamnation, surtout lorsqu’elle sanctionne la participation à une organisation inscrite sur les listes des Nations unies, établit avec un haut degré de certitude la gravité des agissements et l’implication de l’individu. Dès lors, bien qu’elle ne soit pas une condition nécessaire à l’exclusion, une condamnation pour des faits de soutien logistique à un groupe terroriste crée une présomption forte justifiant l’application de l’article 12, paragraphe 2, sous c), de la directive, dispensant ainsi l’autorité d’asile de devoir prouver que le demandeur a personnellement « été l’instigateur d’un acte de terrorisme ou qu’il y a participé ».