Cour de justice de l’Union européenne, le 31 juillet 2003, n°C-208/03

Par un arrêt en date du 7 juillet 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la nature juridique de l’acte par lequel le Parlement européen prend acte de la déchéance du mandat d’un de ses membres. En l’espèce, un député européen avait fait l’objet d’une condamnation pénale dans son État membre d’origine. Conformément à la législation nationale de cet État, cette condamnation emportait une peine complémentaire d’inéligibilité, laquelle, survenue en cours de mandat, mettait fin à celui-ci. Cette déchéance fut formellement constatée par un décret du Premier ministre de l’État concerné, qui fut notifié au Parlement européen. Lors d’une séance plénière, la présidente de cette institution a déclaré que le Parlement prenait acte de la notification du gouvernement national.

Saisi d’un recours en annulation contre cette déclaration, le Tribunal de première instance des Communautés européennes l’avait jugé irrecevable, estimant qu’elle ne constituait pas un acte attaquable au sens de l’article 230 du traité CE. Le député déchu a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en déniant à cet acte tout effet juridique propre. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si la déclaration par laquelle le Parlement européen ‘prend acte’ de la notification par un État membre de la déchéance d’un mandat constituait un acte susceptible de recours en annulation. La Cour y répond par la négative, confirmant que cet acte, purement déclaratoire, ne modifie pas par lui-même la situation juridique de l’intéressé et n’est donc pas détachable de la décision nationale qui en est la seule cause. Cette solution, qui consacre une compétence parlementaire strictement encadrée (I), repose sur une application rigoureuse de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres en matière électorale (II).

I. La consécration d’une compétence parlementaire strictement encadrée

La Cour de justice, en confirmant l’arrêt du Tribunal, entérine une conception restrictive du rôle du Parlement européen lorsque la fin d’un mandat résulte de l’application du droit national. Elle qualifie ainsi l’acte de « prise d’acte » comme une simple formalité déclaratoire (A), ce qui réduit d’autant le pouvoir de vérification de l’institution parlementaire (B).

A. La qualification de l’acte litigieux : une simple formalité déclaratoire

L’enjeu central du litige portait sur la nature de l’acte par lequel le Parlement a officialisé la fin du mandat du requérant. Pour la Cour, cet acte ne constitue pas une décision créatrice de droits ou d’obligations. Il se borne à reconnaître une situation juridique déjà constituée, née de la seule décision des autorités nationales. La Cour souligne que « le rôle du Parlement ne consiste nullement à ‘mettre en œuvre’ la déchéance du mandat, […] mais se limite à prendre acte de la constatation, déjà faite par les autorités nationales, de la vacance du siège ». En d’autres termes, l’effet juridique principal, à savoir la perte du mandat, découle exclusivement du décret national. L’intervention du Parlement n’est qu’une conséquence formelle et nécessaire de la notification qui lui est faite, dépourvue d’autonomie décisionnelle. La Cour rejette ainsi l’idée que l’attitude de l’institution parlementaire, qui avait retardé sa déclaration, ou les conséquences pratiques qui en ont découlé pour le député, pourraient modifier la nature juridique de l’acte final.

B. Un pouvoir de vérification parlementaire réduit à sa plus simple expression

Cette qualification emporte une conséquence logique quant à l’étendue du contrôle que le Parlement peut exercer. Si l’institution ne fait que « prendre acte », son pouvoir de vérification se trouve drastiquement limité. La Cour précise qu’il n’appartient pas au Parlement « de vérifier le respect de la procédure prévue par le droit national applicable ou des droits fondamentaux de l’intéressé ». Cette mission de contrôle relève exclusivement des juridictions nationales compétentes et, le cas échéant, de la Cour européenne des droits de l’homme. Le pouvoir parlementaire se réduit donc, en substance, à un contrôle de l’exactitude matérielle de l’information transmise par l’État membre. Le Parlement ne peut refuser de prendre acte de la vacance au motif que la procédure nationale serait irrégulière. Une telle prérogative reviendrait à lui conférer un pouvoir d’appréciation sur les décisions nationales que les textes ne lui accordent pas. Cette limitation drastique du pouvoir de l’institution parlementaire s’explique par l’état du droit de l’Union, qui n’a pas encore unifié les procédures électorales.

II. La réaffirmation de la primauté du droit national en l’absence de procédure électorale uniforme

La décision de la Cour repose entièrement sur le cadre juridique spécifique régissant les élections européennes, lequel demeure incomplet. C’est l’application distributive des compétences prévue par l’Acte de 1976 qui fonde la solution (A), dont la portée doit être appréciée au regard de l’autonomie du Parlement européen (B).

A. L’application distributive des compétences en vertu de l’Acte de 1976

La Cour rappelle qu’en l’absence de procédure électorale uniforme, l’article 7, paragraphe 2, de l’Acte de 1976 portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct renvoie aux dispositions nationales pour régir la procédure électorale. C’est surtout l’article 12, paragraphe 2, de cet Acte qui s’avère décisif. Cette disposition opère une distinction fondamentale selon l’origine de la vacance d’un siège. Lorsque celle-ci « résulte de l’application des dispositions nationales en vigueur dans un État membre, celui-ci en informe [le Parlement] qui en prend acte ». En revanche, « dans tous les autres cas », par exemple le décès ou la démission, « le Parlement constate la vacance et en informe l’État membre ». La Cour souligne que cette dualité de régimes met « clairement en relief l’absence totale de marge d’appréciation du Parlement » dans la première hypothèse. Son rôle n’est pas de « constater » lui-même la vacance, mais de simplement enregistrer une vacance déjà juridiquement consommée au niveau national.

B. La portée de la décision au regard de l’autonomie parlementaire

En apparence, cette solution pourrait sembler porter atteinte à l’autonomie du Parlement, qui ne serait pas maître de la composition de sa propre assemblée. Toutefois, la Cour de justice se positionne en gardienne de la hiérarchie des normes et de la répartition des compétences. Elle observe qu’une disposition du règlement intérieur du Parlement ne saurait conférer à ce dernier des compétences plus étendues que celles prévues par un acte de droit primaire comme l’Acte de 1976. La décision ne fait donc que refléter l’état actuel du droit positif. Elle souligne implicitement que toute évolution vers un pouvoir de vérification plus substantiel du Parlement européen en la matière ne pourrait venir que d’une modification des traités ou de l’adoption, enfin, d’une procédure électorale uniforme. En l’état, la solution est juridiquement imparable : la déchéance d’un mandat pour une cause d’inéligibilité prévue par une loi nationale est une compétence qui échappe au contrôle du Parlement européen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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