Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure en manquement sur manquement, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences financières de l’inexécution persistante par un État membre d’un de ses précédents arrêts. En l’espèce, un État membre avait été condamné par un arrêt de la Cour du 19 juillet 2012 pour ne pas avoir respecté les obligations découlant de la directive 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, notamment en ce qui concerne l’équipement de ses agglomérations en systèmes de collecte et de traitement. Plusieurs années après cette décision, la Commission, estimant que l’État membre n’avait toujours pas pris toutes les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un grand nombre d’agglomérations, a engagé une nouvelle procédure sur le fondement de l’article 260, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Après une lettre de mise en demeure restée sans effet complet dans le délai imparti, la Commission a saisi la Cour d’une demande visant à faire constater l’inexécution de l’arrêt de 2012 et à imposer à l’État membre le paiement d’une astreinte ainsi que d’une somme forfaitaire. L’État membre défaillant a soulevé une exception d’irrecevabilité pour une partie des agglomérations concernées, arguant que leur charge polluante avait diminué, et a contesté le bien-fondé et le montant des sanctions pécuniaires demandées en invoquant des difficultés internes et les efforts déjà accomplis. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si le manquement à l’obligation d’exécuter l’arrêt initial était caractérisé, malgré les évolutions factuelles postérieures, et, le cas échéant, de fixer des sanctions pécuniaires appropriées pour garantir l’application effective du droit de l’Union. La Cour de justice constate le manquement de l’État membre à ses obligations découlant de l’article 260, paragraphe 1, du traité, en jugeant que la date de référence pour apprécier l’inexécution est celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure. Elle rejette l’argument de l’État membre fondé sur une modification de la charge polluante de certaines agglomérations, considérant qu’une telle circonstance postérieure à l’arrêt initial ne saurait le libérer de ses obligations. En conséquence, la Cour impose à l’État membre le paiement cumulé d’une somme forfaitaire de vingt-cinq millions d’euros et d’une astreinte semestrielle dégressive, conçue pour inciter à une mise en conformité progressive.
L’analyse de la Cour confirme avec rigueur la persistance du manquement de l’État membre (I), justifiant ainsi le prononcé de sanctions pécuniaires dont le caractère est tout à la fois dissuasif et incitatif (II).
I. La confirmation du manquement persistant de l’État membre
La Cour de justice fonde sa décision sur une appréciation stricte de l’inexécution de l’arrêt initial (A) et écarte toute tentative de l’État membre de redéfinir l’objet du litige pour se soustraire à ses obligations (B).
A. L’appréciation rigoureuse de l’inexécution à une date de référence déterminée
La Cour rappelle que la procédure prévue à l’article 260, paragraphe 2, du traité vise à sanctionner l’inexécution d’un arrêt antérieur. Pour ce faire, elle établit une date de référence précise pour évaluer l’existence du manquement, qui correspond à « celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure émise en vertu de cette disposition ». En l’espèce, à cette date, il était constant que l’État membre n’avait pas encore adopté toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt de 2012. La Cour examine la situation de plusieurs groupes d’agglomérations et constate que, pour chacune d’entre elles, soit les travaux n’étaient pas achevés, soit les systèmes installés n’étaient pas conformes, soit la preuve de leur efficacité n’était pas rapportée.
Ce raisonnement met en lumière l’obligation de résultat qui pèse sur l’État membre. Les justifications avancées, telles que la complexité des réformes structurelles ou les difficultés internes, sont jugées inopérantes, conformément à une jurisprudence constante selon laquelle « un État membre ne saurait exciper de difficultés d’ordre interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union ». La Cour refuse ainsi de tenir compte des efforts ou des intentions, se concentrant uniquement sur la conformité effective et complète à la date fixée. Cette approche rigoureuse est essentielle pour garantir l’autorité des arrêts de la Cour et l’application uniforme du droit de l’Union, en évitant que les États membres ne puissent différer indéfiniment l’exécution de leurs obligations.
B. Le rejet de l’évolution factuelle comme cause d’exonération
L’État membre a tenté de faire valoir que le recours était irrecevable pour certaines agglomérations au motif que leur charge polluante, exprimée en équivalent habitant, était devenue inférieure au seuil fixé par la directive, et ce, à une date postérieure au prononcé de l’arrêt de 2012. Cet argument visait à réduire le champ du manquement en modifiant l’objet du litige tel que défini dans la décision initiale. La Cour rejette fermement cette thèse en rappelant que la procédure en manquement sur manquement est une voie d’exécution spéciale. Par conséquent, son objet est strictement délimité par l’arrêt initial constatant le manquement.
La Cour juge que « la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle les agglomérations en cause auraient, en vertu de changements intervenus à une date ultérieure au prononcé de l’arrêt à exécuter, un eh inférieur à cette valeur, ne saurait libérer [l’État membre] des obligations qui lui incombent au titre de la directive 91/271, telles que constatées par l’arrêt du 19 juillet 2012 ». Cette solution est fondamentale car elle cristallise les obligations de l’État à la date de l’arrêt initial, voire aux échéances fixées par la directive elle-même. Permettre une remise en cause fondée sur des faits postérieurs reviendrait à priver l’arrêt initial de son autorité de la chose jugée et à ouvrir la porte à des manœuvres dilatoires. La Cour assure ainsi la sécurité juridique et l’effectivité de ses propres décisions.
II. Le prononcé de sanctions pécuniaires à la fois dissuasives et incitatives
Face à la persistance avérée du manquement, la Cour use de son pouvoir d’appréciation pour infliger des sanctions pécuniaires. Elle combine l’imposition d’une somme forfaitaire et d’une astreinte (A) tout en modulant cette dernière pour encourager une exécution progressive de ses obligations par l’État défaillant (B).
A. Le cumul d’une somme forfaitaire et d’une astreinte pour une dissuasion renforcée
La Cour rappelle qu’elle est habilitée à imposer cumulativement une astreinte et une somme forfaitaire. Ces deux sanctions répondent à des objectifs distincts mais complémentaires. La somme forfaitaire a une fonction principalement répressive ; elle vise à sanctionner la persistance du manquement entre la date de l’arrêt initial et celle du nouvel arrêt. Son infliction est jugée nécessaire pour « la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union », ce qui requiert « l’adoption d’une mesure dissuasive ». Pour en fixer le montant à vingt-cinq millions d’euros, la Cour tient compte de la gravité et de la durée de l’infraction, mais aussi du fait que l’État membre avait déjà été condamné à plusieurs reprises pour des manquements similaires, ce qui constitue une circonstance aggravante.
L’astreinte, quant à elle, a une finalité coercitive. Elle est destinée à inciter l’État membre à mettre fin au manquement le plus rapidement possible après le prononcé du second arrêt. Le principe même de l’astreinte se justifie par le fait que l’inexécution perdurait au jour de l’examen des faits par la Cour. Le cumul de ces deux instruments financiers envoie un signal fort : l’inexécution des arrêts de la Cour a un coût certain pour le passé et un coût continu pour l’avenir, créant ainsi une pression financière maximale pour contraindre l’État récalcitrant à se conformer au droit de l’Union.
B. La modulation de l’astreinte comme instrument d’incitation à l’exécution
Au-delà de son caractère coercitif, l’astreinte est façonnée par la Cour de manière pragmatique. Plutôt que d’imposer un montant fixe et journalier, elle opte pour une astreinte semestrielle et dégressive. Le montant de base est fixé à 30 112 500 euros par semestre de retard. Toutefois, ce montant peut être réduit à la fin de chaque semestre. La réduction est calculée au prorata des progrès accomplis, mesurés par « la proportion représentant le nombre d’équivalents habitants des agglomérations dont les systèmes de collecte et de traitement des eaux urbaines résiduaires ont été mis en conformité ».
Cette technique de l’astreinte dégressive est particulièrement éclairante. Elle transforme une sanction purement punitive en un véritable outil de gestion de la conformité. La Cour reconnaît implicitement qu’une mise en conformité totale et immédiate peut être complexe pour des projets d’infrastructure d’envergure. En offrant une « récompense » financière pour chaque progrès partiel, elle incite l’État membre à poursuivre ses efforts de manière continue, même s’il ne peut atteindre une conformité totale rapidement. Cette modulation proportionnelle confère à la sanction une flexibilité remarquable, permettant de maintenir une pression constante tout en reconnaissant les avancées concrètes. La Cour ne se contente pas de sanctionner un manquement, elle pilote activement son extinction.