Par un arrêt rendu le 7 août 2018, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision intervient dans un contexte où la livraison finale des biens est devenue impossible suite à des manoeuvres frauduleuses et à l’insolvabilité des fournisseurs. Deux acquéreurs avaient versé des sommes importantes pour l’achat de centrales de cogénération qui ne furent jamais livrées. L’administration fiscale nationale s’opposa à la déduction de la taxe, estimant que la réalisation de l’opération était incertaine au moment du versement. Saisie d’un recours en révision, la Cour fédérale des finances d’Allemagne a décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la juridiction européenne. Il s’agit de déterminer si la certitude de la livraison s’apprécie objectivement ou selon les informations connues par l’assujetti. La Cour juge que le droit naît dès l’encaissement si la prestation paraît certaine tout en aménageant les modalités de régularisation. La juridiction précise d’abord les conditions de naissance du droit à déduction avant d’analyser les mécanismes de sa régularisation ultérieure.
I. La reconnaissance du droit à déduction fondé sur la certitude subjective de l’opération
A. L’exigibilité de la taxe liée à la précision du fait générateur
Le droit à déduction constitue un principe fondamental du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée garantissant la neutralité fiscale. Selon la juridiction européenne, l’exigibilité de la taxe lors du versement d’un acompte déroge à la règle générale de la livraison effective. Pour que cette exception s’applique, il faut que « tous les éléments pertinents du fait générateur […] soient déjà connus » lors du paiement. Les biens doivent être désignés avec précision pour permettre l’identification claire de l’opération taxable future par les autorités. La Cour souligne que l’absence d’une date de livraison précise ne suffit pas à rendre la prestation incertaine pour l’assujetti. L’acquéreur peut ainsi prétendre à la déduction dès lors que l’intention des cocontractants de réaliser l’opération est manifestée par l’acompte. La naissance du droit dépend donc de la réunion des conditions d’exigibilité au moment même de l’encaissement des fonds. Si la précision des éléments matériels fonde le droit, son maintien dépend étroitement de l’attitude psychologique du demandeur.
B. L’appréciation de la bonne foi de l’assujetti lors du paiement
La protection de l’assujetti agissant de bonne foi constitue le pivot du raisonnement suivi par les juges de la cinquième chambre. Le bénéfice de la déduction ne peut être refusé que s’il est établi que l’acquéreur « savait ou ne pouvait raisonnablement ignorer » l’incertitude. Cette appréciation se place impérativement au jour du versement de l’acompte sans tenir compte d’éléments de fait connus postérieurement par l’administration. Les autorités nationales doivent démontrer, par des éléments objectifs, que l’assujetti n’avait pas l’intention de réaliser une opération économique réelle. Une telle exigence évite de faire peser sur le commerçant une charge excessive liée à la vérification de la probité des tiers. La Cour préserve ainsi la sécurité juridique des transactions commerciales face à des fraudes commises exclusivement par les représentants du fournisseur. L’admission du droit à déduction en amont soulève nécessairement la question de sa correction lorsque l’opération n’aboutit finalement pas.
II. La protection de la neutralité fiscale par l’aménagement de la régularisation
A. Le principe de la modification des éléments de déduction
La survenance d’événements postérieurs au versement de l’acompte impose normalement une modification de la déduction initialement opérée par l’assujetti. L’article 185 de la directive prévoit une régularisation lorsque les éléments pris en compte pour déterminer le montant ont varié. La Cour reconnaît qu’une livraison non réalisée constitue une telle modification ouvrant droit à une correction par l’administration fiscale nationale. Toutefois, le mécanisme de régularisation doit s’articuler avec les impératifs de neutralité qui régissent l’ensemble de la matière fiscale. Dans cette affaire, les acquéreurs avaient commencé à tirer des revenus des biens avant que le litige ne survienne effectivement. Le Trésor public n’encourt aucun risque de perte de recettes car les fournisseurs ont initialement versé la taxe collectée aux autorités. L’exercice du droit à déduction par les acquéreurs de bonne foi n’altère donc pas l’équilibre financier du système commun de taxe.
B. La subordination de la régularisation au remboursement de l’acompte
L’insolvabilité des fournisseurs rend souvent impossible le remboursement effectif des sommes versées par les acquéreurs lésés dans ces opérations. La Cour juge qu’il serait « manifestement déraisonnable d’imposer auxdits acquéreurs de régulariser ces déductions » sans garantie de restitution préalable. Les États membres sont donc habilités à « subordonner la régularisation de la TVA […] au remboursement de cet acompte par le fournisseur ». Cette solution évite à l’assujetti de bonne foi de supporter une double charge financière injustifiée par la perte du capital. Les principes d’effectivité peuvent exiger que l’acquéreur puisse, dans certains cas, diriger sa demande directement contre les autorités fiscales compétentes. La solution retenue assure une protection efficace du droit à déduction dans des circonstances exceptionnelles d’insolvabilité ou de fraude avérée. Une telle pratique nationale s’avère conforme aux objectifs de la directive visant à garantir la parfaite neutralité de la charge.