Par un arrêt du 31 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime des intérêts applicables à une dette douanière recouvrée a posteriori. En l’espèce, une société avait importé des marchandises en déclarant une valeur provisoire, conformément à son accord commercial. Une fois le prix final fixé, celui-ci s’est révélé supérieur à la valeur initialement déclarée. La société en a informé de sa propre initiative les autorités douanières. Celles-ci ont alors émis un avis de recouvrement pour le montant de taxe supplémentaire, assorti d’intérêts calculés non pas à compter de l’échéance du paiement de ce supplément, mais dès la naissance de la dette douanière initiale lors de l’importation.
La société s’est acquittée du principal mais a contesté le point de départ du calcul des intérêts. Le tribunal administratif de première instance a rejeté sa demande, confirmant la position de l’administration. Saisie en cassation, la juridiction administrative suprême bulgare a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice. La question centrale posée à la Cour était de déterminer si les intérêts de retard sur une dette douanière supplémentaire sont dus à compter de la naissance de cette dette ou seulement après l’expiration du délai de paiement accordé pour son règlement. Il lui était également demandé si des intérêts dits compensatoires pouvaient être appliqués en l’absence de texte spécifique, et plus largement, si le droit de l’Union s’opposait à l’application par les autorités nationales de sanctions non expressément prévues par leur législation.
La Cour répond que les intérêts de retard ne courent qu’après l’expiration du délai de paiement de la dette supplémentaire. Elle juge ainsi que « les intérêts de retard relatifs au montant des droits de douane restant à recouvrer ne peuvent être perçus, en vertu de cette disposition, que pour la période postérieure à l’expiration du délai de paiement dudit montant ». De plus, elle exclut l’application d’intérêts compensatoires en dehors des cas limitativement énumérés par la réglementation et réaffirme l’interdiction d’appliquer une sanction non prévue par un texte, en vertu du principe de légalité des délits et des peines.
Cette décision délimite strictement le cadre des sanctions pécuniaires pouvant être imposées à un opérateur économique (I), avant de consacrer la primauté du principe de légalité comme une garantie fondamentale contre l’arbitraire (II).
I. La délimitation du cadre temporel et matériel des sanctions pécuniaires en matière douanière
La Cour clarifie la finalité des intérêts de retard en en fixant un point de départ rigoureux (A), tout en rejetant l’application d’intérêts compensatoires en l’absence d’une base légale expresse (B).
A. L’encadrement strict du point de départ des intérêts de retard
La Cour adopte une lecture littérale et téléologique de l’article 232, paragraphe 1, sous b), du code des douanes communautaire. Elle juge que les intérêts de retard, par leur nature même, ne peuvent être perçus que « lorsque le montant de droits n’a pas été payé dans le délai fixé ». Ces intérêts visent donc à sanctionner le non-respect d’un délai de paiement imparti par les autorités douanières, et non à compenser un avantage financier qui aurait été obtenu par l’opérateur avant même que la dette supplémentaire ne soit liquidée et communiquée.
La décision souligne que cet article « n’a pour vocation ni de prévenir les pertes financières subies par les autorités douanières ni de compenser les avantages découlant, pour les opérateurs, des retards intervenus […] dans la prise en compte […] de la dette douanière ». La fonction de l’intérêt de retard est donc répressive et non indemnitaire. Son fait générateur est l’irrespect d’une échéance de paiement, et non le simple décalage temporel entre la naissance d’une dette et sa constatation. En liant la perception des intérêts à la seule période postérieure à l’expiration du délai de paiement, la Cour assure une prévisibilité pour l’opérateur et une cohérence dans le système répressif douanier.
B. Le rejet de l’application d’intérêts compensatoires faute de base légale expresse
La Cour examine ensuite la possibilité d’appliquer des intérêts dits compensatoires sur le fondement de l’article 214, paragraphe 3, du code des douanes, afin de neutraliser un éventuel avantage financier pour le débiteur. Elle constate que cette disposition renvoie à des cas et conditions définis dans les dispositions d’application. Or, l’analyse du règlement d’application révèle que le recours à de tels intérêts est strictement circonscrit à des régimes douaniers particuliers.
La Cour relève que l’article 519 du règlement d’application ne prévoit de tels intérêts « qu’en cas de naissance d’une dette douanière pour des produits compensateurs ou des marchandises d’importation sous perfectionnement actif ou en admission temporaire ». La situation de l’espèce, relevant de la mise en libre pratique, n’entrait dans aucun de ces cas. Par conséquent, en l’absence de disposition expresse, les autorités nationales ne peuvent se fonder sur l’objectif général de l’article 214 pour créer une obligation de paiement. La solution affirme ainsi un principe de spécialité des sanctions pécuniaires : une sanction ne peut être étendue par analogie à des situations non expressément et limitativement prévues par les textes.
II. La consécration du principe de légalité comme rempart contre l’arbitraire des autorités nationales
L’arrêt dépasse la seule technique douanière pour réaffirmer la prohibition de toute sanction créée par voie d’interprétation (A), précisant ainsi la portée de ce principe au regard de l’autonomie des États membres (B).
A. La prohibition de la création de sanctions par voie d’interprétation
Au-delà de la question technique des intérêts, l’arrêt réaffirme avec force le principe de la légalité des délits et des peines comme un principe général du droit de l’Union. Ce principe fondamental, applicable en matière de sanctions administratives, exige que toute sanction soit fondée sur un texte clair, précis et prévisible pour le justiciable. Il s’oppose à ce que l’administration ou le juge puisse infliger une peine qui ne serait pas expressément prévue par la loi.
La Cour rappelle que la condition de prévisibilité est remplie « lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale ». Appliqué à l’espèce, ce principe interdit aux autorités nationales d’imposer une majoration de droits ou une autre forme de sanction pécuniaire pour compenser la période entre la naissance de la dette et sa prise en compte, si la législation nationale ne le prévoit pas explicitement. Le silence de la loi ne peut être interprété au détriment de l’opérateur économique.
B. La portée de la solution pour l’autonomie procédurale des États membres
Cette décision a une portée significative pour l’exercice de la compétence des États membres en matière de sanctions douanières. En l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans ce domaine, les États disposent d’une autonomie pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées afin d’assurer le respect du droit douanier. Cependant, la Cour rappelle que cette compétence doit impérativement s’exercer dans le respect des principes généraux du droit de l’Union, au premier rang desquels figure le principe de légalité.
L’arrêt interdit donc aux autorités nationales, et par extension aux juridictions, de combler un éventuel vide législatif en appliquant une sanction non expressément prévue par la législation nationale, même si une telle mesure pouvait paraître économiquement justifiée pour compenser une perte pour le Trésor public. En définitive, la solution renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques dans l’ensemble de l’Union. Elle circonscrit fermement le pouvoir de sanction des administrations nationales au strict respect des textes en vigueur, protégeant ainsi les justiciables contre toute forme d’arbitraire.