Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conséquences financières découlant de la défaillance des autorités d’un pays et territoire d’outre-mer. En l’espèce, les autorités d’Anguilla avaient délivré, au cours des années 1999 et 2000, des certificats d’exportation pour des produits en aluminium qui n’étaient pas conformes aux règles d’origine prévues par la décision d’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté. Ces importations irrégulières sur le territoire de l’Union ont engendré une perte de ressources propres, notamment des droits de douane qui auraient dû être perçus. La Commission européenne a initié une procédure en manquement à l’encontre de l’État membre de tutelle, considérant que celui-ci devait assumer la responsabilité de cette perte financière. L’État membre contestait devoir compenser une perte résultant des agissements d’une autorité locale distincte de son administration centrale. La question de droit soulevée était donc de savoir si un État membre pouvait être tenu pour financièrement responsable, sur le fondement du principe de coopération loyale, de la perte de ressources propres de l’Union causée par les actes irréguliers des autorités de l’un de ses pays et territoires d’outre-mer. La Cour de justice y répond par l’affirmative en jugeant qu’« en n’ayant pas compensé la perte des ressources propres résultant de la délivrance irrégulière […] par les autorités d’Anguilla, de certificats d’exportation […] le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE ». Cette solution consacre une conception extensive de la responsabilité de l’État membre pour les actes de ses territoires associés (I), fondée sur une application rigoureuse du principe de coopération loyale (II).
I. L’imputation à l’État membre de la défaillance d’un territoire d’outre-mer associé
La décision de la Cour repose sur l’identification d’une irrégularité préjudiciable aux finances de l’Union (A) dont la responsabilité est imputée directement à l’État membre de rattachement (B).
A. La constatation d’une irrégularité préjudiciable aux ressources propres de l’Union
La Cour constate en premier lieu l’existence d’une pratique non conforme au droit de l’Union. Les certificats d’exportation délivrés par les autorités d’Anguilla pour des produits en aluminium ne respectaient pas les conditions de la décision 91/482/CEE, qui régit l’association des pays et territoires d’outre-mer. Ce régime d’association permet à ces territoires de bénéficier d’un accès préférentiel au marché intérieur, à condition que des règles précises, notamment en matière d’origine des produits, soient scrupuleusement respectées. Le non-respect de ces règles par les autorités locales constitue une irrégularité qui fausse les conditions d’importation et porte atteinte à l’intégrité du système douanier commun. La conséquence directe de cette irrégularité est d’ordre financier. Les ressources propres de l’Union, qui sont principalement constituées des droits de douane perçus aux frontières extérieures, n’ont pas été collectées sur les produits en cause. Cette situation crée un préjudice financier direct pour le budget de l’Union, que les institutions européennes sont fondées à vouloir recouvrer.
B. L’engagement de la responsabilité de l’État membre du fait des autorités locales
Face à cette perte, la Cour estime que la responsabilité incombe à l’État membre auquel le territoire d’outre-mer est rattaché. En droit de l’Union, l’État membre est le seul sujet de droit pleinement responsable de l’application de la législation européenne sur l’ensemble des territoires relevant de sa souveraineté, quel que soit leur statut constitutionnel interne. L’autonomie administrative ou politique accordée à Anguilla est inopposable à l’Union européenne. L’État membre agit comme le garant du respect de ses engagements européens par toutes ses entités publiques, y compris celles des pays et territoires d’outre-mer. Par conséquent, la défaillance des autorités locales dans la gestion des certificats d’exportation est juridiquement attribuée à l’État membre lui-même, qui doit en assumer toutes les conséquences. Cette solution réaffirme que les divisions administratives internes ne sauraient permettre à un État de se soustraire à ses obligations communautaires.
II. La portée du principe de coopération loyale en matière de responsabilité financière
La Cour fonde son raisonnement sur le principe de coopération loyale, qu’elle érige en fondement d’une obligation de compensation (A), consolidant ainsi une conception large de la responsabilité financière des États membres (B).
A. L’article 4, paragraphe 3, du TUE comme fondement de l’obligation de compensation financière
La Cour de justice ancre explicitement la condamnation dans la violation de l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne. Ce texte dispose que les États membres doivent prendre toute mesure propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités et s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts de l’Union. Dans cet arrêt, le principe de coopération loyale n’est pas seulement interprété comme une obligation de faire ou de ne pas faire, mais également comme la source d’une obligation de réparer un préjudice financier. En ne compensant pas la perte de ressources propres, l’État membre a manqué à son devoir de garantir l’efficacité du système financier de l’Union. Le manquement ne réside donc pas tant dans la délivrance irrégulière des certificats, qui est le fait générateur, que dans le refus subséquent de restaurer l’intégrité du budget européen. Cette approche transforme une obligation de comportement en une créance de réparation au profit de l’Union.
B. La consolidation d’une conception extensive de la responsabilité des États membres
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer la primauté et l’effet utile du droit de l’Union. En faisant peser sur l’État membre la charge financière ultime des irrégularités commises par ses entités associées, la Cour renforce la discipline budgétaire et l’uniformité d’application du droit douanier. La solution prévient le risque que des failles dans la surveillance exercée par les États membres sur leurs territoires ne se traduisent par des pertes sèches pour le budget commun. La portée de cet arrêt est donc significative : il rappelle que la responsabilité d’un État membre est engagée non seulement pour les actions de ses organes centraux, mais aussi pour celles de toutes les autorités agissant sous sa juridiction. Le principe de coopération loyale justifie ainsi une responsabilité objective de l’État pour la protection des intérêts financiers de l’Union, garantissant la solidité de l’édifice communautaire.