La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 13 juin 2019, une décision portant sur l’application du droit des marchés publics. Cette affaire concerne la conclusion de conventions d’affiliation entre des employeurs publics et des caisses de prévoyance pour la gestion d’indemnités de départ.
Des sociétés soumises au droit public ont souhaité changer de prestataire pour le placement des cotisations sociales de leur personnel salarié en Autriche. Elles ont conclu de nouvelles conventions sans publicité préalable, après avoir retiré une première procédure de sélection engagée au niveau national. Une entreprise concurrente a contesté cette procédure devant le tribunal administratif fédéral, invoquant une violation flagrante des règles de mise en concurrence. Le tribunal administratif fédéral a rejeté le recours le 14 septembre 2016, avant que la Cour administrative ne saisisse le juge européen.
La question posée porte sur l’applicabilité des articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à ces contrats de services. Il s’agit de déterminer si l’exigence d’un accord collectif préalable soustrait le pouvoir adjudicateur aux principes d’égalité de traitement et de transparence. La Cour affirme que ces principes s’appliquent dès lors qu’un intérêt transfrontalier est établi, malgré le caractère collectif de la négociation sociale obligatoire. Elle précise que l’influence exercée par l’employeur sur le choix du prestataire justifie le maintien des obligations de publicité adéquate.
I. L’assujettissement des conventions de prévoyance aux principes fondamentaux du traité
La Cour précise d’abord les conditions d’application du droit primaire de l’Union européenne à un marché dont la valeur est inférieure aux seuils.
A. L’identification d’un intérêt transfrontalier certain
Le juge européen rappelle que la directive 2014/24 ne s’applique pas lorsque le montant estimé du marché n’atteint pas le seuil financier prescrit. Toutefois, les règles fondamentales du traité demeurent applicables si le marché « présente un intérêt transfrontalier certain » selon ses propres caractéristiques spécifiques. La Cour valide l’appréciation de la juridiction de renvoi fondée sur le montant significatif du marché et la nature dématérialisée des prestations financières. Ces activités de gestion et de placement peuvent être effectuées à distance sans nécessiter de présence physique du personnel sur le territoire national.
B. La soumission des prestations de gestion financière aux règles de mise en concurrence
La décision souligne que les activités de collecte et de placement de cotisations constituent des services financiers soumis aux règles de libre concurrence. Ces prestations sont rémunérées par des frais administratifs prélevés par la caisse, ce qui caractérise sans ambiguïté le caractère onéreux du contrat conclu. La Cour rejette implicitement toute assimilation de ces services à des contrats d’emploi ou à des missions administratives échappant par nature à la commande publique. Cette qualification impose au pouvoir adjudicateur de respecter un degré de publicité suffisant pour permettre une réelle ouverture à la concurrence européenne.
II. L’articulation entre l’autonomie collective et les impératifs de transparence
Le cœur de l’arrêt réside dans le refus d’accorder une immunité aux contrats issus d’un dialogue social obligatoire entre l’employeur et ses salariés.
A. Le refus d’une exemption liée à l’exercice du droit de négociation collective
Le juge européen écarte l’argument selon lequel le droit de codécision du comité d’entreprise supprimerait l’autonomie de volonté propre du pouvoir adjudicateur. Il affirme que le caractère fondamental du droit de négociation collective « ne saurait, en tant que tel, impliquer la soustraction automatique d’un employeur ». La Cour considère qu’il est « suffisant que les employeurs concernés aient pu exercer une influence sur le choix de leur cocontractant » potentiellement. L’influence exercée lors de la conclusion de la convention d’affiliation justifie ainsi le maintien intégral des obligations de mise en concurrence.
B. L’encadrement du pouvoir discrétionnaire pour garantir l’égal accès au marché
L’obligation de transparence exige que toutes les modalités de la procédure soient formulées de manière « claire, précise et univoque » pour chaque opérateur économique. Cette exigence permet d’encadrer le pouvoir discrétionnaire du pouvoir adjudicateur et de vérifier l’adéquation des offres aux critères prédéfinis par l’autorité. La Cour limite ainsi la portée de l’autonomie collective pour garantir l’absence de risque d’arbitraire lors du choix définitif du futur prestataire. Cette solution assure une protection effective des libertés de circulation contre les pratiques de sélection opaque au sein des organismes de droit public.