Cour de justice de l’Union européenne, le 4 décembre 2008, n°C-223/08

Par un arrêt rendu sur le fondement d’un recours en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a constaté l’inaction d’un État membre dans la mise en œuvre du droit communautaire. Une directive du 20 novembre 2006 visait à adapter la législation sur la libre circulation des personnes, suite à l’adhésion de deux nouveaux États. Le texte imposait aux États membres de prendre les dispositions nationales de transposition nécessaires dans un délai déterminé. Or, une institution agissant en sa qualité de gardienne des traités a constaté que l’un des États membres n’avait pas procédé à cette transposition dans le temps imparti. Après l’échec d’une phase précontentieuse, cette institution a saisi la Cour de justice afin qu’elle reconnaisse officiellement cette défaillance. Il s’agissait donc de déterminer si l’absence de transposition d’une directive dans les délais constitue, en soi, un manquement aux obligations d’un État membre. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en déclarant qu’« en ne prenant pas, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». La solution, classique, repose sur une conception objective de l’infraction au droit communautaire (I), dont la constatation par la Cour emporte des conséquences juridictionnelles précises (II).

I. La caractérisation objective du manquement d’État

Le jugement de la Cour de justice repose sur une application stricte des obligations qui pèsent sur les États membres. Le manquement est caractérisé par la seule violation de la lettre des traités, résultant ici d’une obligation de transposition inconditionnelle (A), face à laquelle les éventuelles justifications d’ordre interne sont indifférentes (B).

A. L’obligation de transposition, une contrainte inconditionnelle

La directive est un acte normatif qui lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique nécessairement une transposition effective et complète dans l’ordre juridique interne, et ce, dans le délai fixé par le texte lui-même. Le respect de ce délai n’est pas une simple recommandation mais une exigence juridique fondamentale garantissant l’application simultanée et uniforme du droit de l’Union.

En l’espèce, l’arrêt sanctionne une omission pure et simple. L’État membre n’a pris aucune mesure pour intégrer les dispositions de la directive en droit interne. La Cour n’a donc pas besoin d’examiner la conformité matérielle d’une législation de transposition, mais seulement de constater une carence. Cette approche formaliste assure la primauté et l’effet direct du droit de l’Union, en considérant que le simple non-respect du calendrier de transposition constitue une violation suffisante pour engager la responsabilité de l’État.

B. L’indifférence des justifications internes

Face à un tel manquement, la jurisprudence de la Cour de justice est constante : un État membre ne peut invoquer des dispositions, des pratiques ou des situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit de l’Union. Des difficultés administratives, des contraintes budgétaires ou des blocages politiques ne sauraient constituer des excuses valables. Le manquement est apprécié de manière purement objective.

Dans cette affaire, le caractère non contesté du manquement par l’État mis en cause rend le raisonnement de la Cour d’autant plus simple. Il n’y a pas lieu de débattre des motifs de l’inaction. La seule constatation matérielle de l’absence de mesures de transposition à la date butoir suffit à fonder la condamnation. Cette rigueur est la condition de l’efficacité du système juridique de l’Union, qui repose sur la confiance mutuelle et le respect scrupuleux des règles communes par tous les États membres.

II. La portée juridictionnelle du constat de manquement

La décision rendue par la Cour de justice n’est pas une simple déclaration de principe. Elle constitue un acte juridictionnel dont la nature avant tout déclaratoire (A) ouvre la voie à des suites contraignantes en cas de persistance de la défaillance (B).

A. Le rôle déclaratoire de l’arrêt de la Cour de justice

L’arrêt en manquement a pour objet principal de constater officiellement et avec force de chose jugée la violation par un État membre de ses obligations. La Cour ne se substitue pas à l’État défaillant ; elle n’annule pas une loi nationale contraire au droit de l’Union ni n’édicte à sa place les mesures de transposition manquantes. Son rôle est de dire le droit et de rendre un jugement déclaratoire qui met fin à toute incertitude sur la légalité du comportement de l’État.

La première conséquence d’un tel arrêt est donc de faire naître une obligation de se conformer à la décision, comme le prévoit l’article 260, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’État condamné doit prendre, dans les plus brefs délais, toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme au manquement constaté. La portée de l’arrêt est donc d’abord de contraindre juridiquement l’État à régulariser sa situation.

B. Les suites de la déclaration de manquement

Bien que l’arrêt commenté se limite à un constat et à une condamnation aux dépens, sa véritable portée se mesure à l’aune des procédures ultérieures qu’il rend possibles. Si l’État membre persiste dans son manquement et ne se conforme pas à l’arrêt, l’institution gardienne des traités peut engager une seconde procédure, dite de « manquement sur manquement ». Cette nouvelle saisine de la Cour peut aboutir à la condamnation de l’État au paiement de sanctions financières.

Ces sanctions peuvent prendre la forme d’une somme forfaitaire, destinée à punir la persistance de l’infraction, ou d’une astreinte journalière, visant à inciter l’État à se conformer le plus rapidement possible. L’arrêt initial en manquement est donc une étape procédurale indispensable. Il constitue le fondement juridique sur lequel pourra s’appuyer une éventuelle condamnation pécuniaire, transformant une obligation juridique en une contrainte financière concrète et souvent dissuasive.

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Hassan KOHEN
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