Cour de justice de l’Union européenne, le 4 décembre 2008, n°C-249/07

Par un arrêt de manquement rendu sur le fondement d’une procédure initiée par la Commission européenne, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut restreindre la libre circulation des marchandises pour des motifs de protection sanitaire et environnementale. En l’espèce, un État membre avait mis en place une législation nationale soumettant à une autorisation préalable l’ensemencement de ses eaux côtières par des huîtres et des moules. Cette exigence s’appliquait y compris lorsque lesdits produits de la mer provenaient légalement d’autres États membres et qu’ils appartenaient à des espèces déjà présentes, à l’état indigène, dans les eaux de l’État de destination. La Commission européenne, estimant cette réglementation contraire aux règles du marché unique, a intenté un recours en manquement à l’encontre de cet État. Le problème de droit qui se posait à la Cour était de savoir si une telle mesure d’autorisation préalable constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, prohibée par l’article 28 du traité instituant la Communauté européenne, et, dans l’affirmative, si elle pouvait néanmoins être justifiée au titre des dérogations prévues à l’article 30 du même traité. La Cour a jugé qu’« en instaurant un système d’autorisation préalable pour l’ensemencement, dans les eaux côtières néerlandaises, des huîtres et des moules provenant légalement d’autres États membres et appartenant à des espèces indigènes aux Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 ce et 30 ce ». La solution consacre une application rigoureuse du principe de libre circulation, en qualifiant la mesure litigieuse d’entrave injustifiée (I), et réaffirme par là même l’étroitesse de l’interprétation des exceptions admises au nom de la protection de la santé des animaux (II).

I. La qualification d’entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises

La Cour, fidèle à une jurisprudence bien établie, a d’abord qualifié le régime d’autorisation préalable de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative (A), avant de procéder à un contrôle de sa justification au regard des objectifs de protection sanitaire invoqués par l’État membre (B).

A. Un régime d’autorisation constitutif d’une mesure d’effet équivalent

Le droit communautaire consacre le principe de la libre circulation des marchandises entre les États membres, impliquant l’interdiction des restrictions quantitatives et de toute mesure d’effet équivalent. Depuis une jurisprudence fondatrice, la Cour définit cette dernière notion de manière très large comme toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire. En l’espèce, le système d’autorisation préalable, en subordonnant l’importation de mollusques à l’obtention d’un permis administratif, crée nécessairement une charge pour les opérateurs économiques des autres États membres. Ce dispositif engendre des délais et une incertitude qui suffisent à le qualifier d’entrave, et ce, indépendamment du fait que des autorisations soient ou non régulièrement délivrées en pratique. Le seul fait d’imposer une telle démarche administrative pour des produits légalement commercialisés dans un autre État membre place ces derniers dans une situation moins favorable que les produits nationaux et freine ainsi les échanges. La Cour confirme donc que l’obligation de solliciter une autorisation constitue, par sa nature même, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par l’article 28 CE.

B. L’absence de justification au titre de la protection de la faune

Une mesure restrictive peut exceptionnellement être justifiée si elle poursuit un des objectifs d’intérêt général énumérés à l’article 30 CE, telle la protection de la santé et de la vie des animaux. Toutefois, il appartient à l’État membre qui invoque une telle dérogation d’apporter la preuve que la mesure est à la fois nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. En l’occurrence, la défense de l’État membre reposait sur la nécessité de prévenir les risques sanitaires et écologiques liés à l’introduction d’espèces dans ses eaux. Cependant, l’argumentation perdait une grande partie de sa force dès lors que les faits de l’espèce concernaient des huîtres et des moules appartenant à des espèces déjà indigènes sur le territoire national. Dans une telle configuration, le risque d’une perturbation écologique majeure par l’introduction d’une espèce exogène est par définition inexistant. Pour qu’une justification sanitaire soit admise, l’État aurait dû démontrer l’existence d’un risque spécifique, par exemple une maladie particulière véhiculée par les lots importés et absente de la faune locale, et prouver qu’un système d’autorisation préalable généralisé était le seul moyen d’y parer. En condamnant l’État membre, la Cour juge implicitement que ce dernier n’a pas apporté cette preuve et que la mesure était disproportionnée par rapport à l’objectif affiché.

II. La portée d’un contrôle rigoureux des dérogations au marché intérieur

Par cette décision, la Cour ne se contente pas de sanctionner un manquement ponctuel ; elle rappelle le cadre strict dans lequel les États membres peuvent exercer leurs compétences (A) et réaffirme ainsi sa mission de gardienne de l’intégrité du marché intérieur (B).

A. Le rappel de l’exigence de proportionnalité

L’arrêt s’inscrit dans le sillage d’une jurisprudence constante qui soumet les dérogations au principe de libre circulation à un contrôle de proportionnalité strict. Une mesure nationale ne peut être considérée comme justifiée que si elle est apte à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. De plus, si un État membre peut se prévaloir d’un niveau de protection de la santé publique plus élevé que celui d’un autre, il ne peut prendre des mesures de protection qui seraient manifestement disproportionnées. En l’espèce, un système moins contraignant, tel qu’un régime de certification sanitaire émis par les autorités de l’État d’origine selon des standards harmonisés ou mutuellement reconnus, aurait pu constituer une alternative efficace et moins attentatoire à la fluidité des échanges. En jugeant le système d’autorisation préalable global et systématique comme excessif, la Cour rappelle que la charge de la preuve d’un risque réel et de l’adéquation de la mesure pèse entièrement sur l’État membre, surtout lorsque la mesure s’écarte des principes fondamentaux du traité.

B. La préservation de l’intégrité du marché intérieur

La valeur de cette décision réside dans sa contribution à la lutte contre le protectionnisme déguisé. Sous couvert de préoccupations environnementales ou sanitaires, des réglementations nationales peuvent en effet avoir pour but ou pour effet de cloisonner les marchés et de favoriser les producteurs nationaux. La Cour de justice, par son contrôle rigoureux, veille à ce que les exceptions au principe de libre circulation ne deviennent pas un prétexte pour vider ce dernier de sa substance. La portée de l’arrêt est donc considérable pour les autorités nationales, qui se voient notifier qu’elles ne peuvent invoquer un risque purement hypothétique pour justifier des barrières commerciales. Elles doivent fonder leurs mesures sur une évaluation scientifique sérieuse des risques. Cette décision illustre parfaitement l’équilibre que la Cour s’efforce de maintenir entre le respect des compétences nationales en matière de police sanitaire et la nécessité impérieuse de garantir un marché unique sans frontières intérieures, qui demeure l’un des piliers de la construction européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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