Cour de justice de l’Union européenne, le 4 décembre 2019, n°C-342/18

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 20 janvier 2022, s’est prononcée sur les conditions de recevabilité du recours en annulation. Une société anonyme de droit polonais avait saisi le Tribunal d’une demande visant à l’annulation d’une décision de la Commission européenne relative à des engagements. Cette décision rendait obligatoires les propositions d’un opérateur dominant afin de mettre fin à des pratiques prétendument contraires au droit de la concurrence. La requérante, opérant sur le même secteur d’activité, soutenait que ces mesures étaient insuffisantes pour garantir un accès équitable au marché gazier. Le Tribunal de l’Union européenne, par une ordonnance du 15 décembre 2020, a déclaré le recours irrecevable faute pour la requérante d’être individuellement concernée. La société a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant une erreur de droit dans l’appréciation de sa situation juridique. Le litige porte sur l’interprétation de la notion de personne individuellement concernée au sens de l’article 263, quatrième alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union. La question fondamentale consiste à déterminer si l’impact commercial d’une décision de régulation suffit à singulariser un concurrent par rapport aux autres opérateurs. La Cour de justice rejette le pourvoi en confirmant que la qualité de concurrent ne saurait suffire à fonder une affectation individuelle du requérant. L’analyse portera d’abord sur la confirmation des critères stricts de recevabilité avant d’examiner la préservation de l’efficacité de l’action administrative dans la régulation économique.

I. La confirmation d’une interprétation restrictive des conditions de recevabilité du recours

A. L’application constante des critères de l’affectation individuelle du requérant La Cour de justice rappelle que les sujets autres que les destinataires d’un acte ne peuvent prétendre être individuellement concernés que sous conditions strictes. Ces personnes doivent être atteintes « en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne ». Cette jurisprudence classique impose que l’acte attaque le requérant de la même manière qu’il le ferait pour le destinataire réel de la décision. En l’espèce, la Cour souligne que l’acte litigieux concernait de manière générale tous les opérateurs actifs sur le marché de l’énergie de l’Union. La société requérante ne démontrait pas l’existence de droits spécifiques que la décision de la Commission aurait méconnus lors de la procédure d’engagement. L’absence de singularisation par rapport à l’ensemble des autres concurrents empêche ainsi la reconnaissance d’un intérêt à agir au sens du Traité.

B. L’insuffisance des intérêts commerciaux pour fonder une qualité à agir autonome Le juge de l’Union précise que l’affectation des intérêts commerciaux d’un opérateur ne saurait suffire à caractériser une situation juridique propre et distincte. La requérante prétendait que sa position sur le marché national justifiait une protection juridictionnelle particulière contre les décisions affectant les conditions d’approvisionnement. Cependant, la Cour considère que les effets économiques de la décision sur les concurrents ne constituent que des conséquences indirectes de la régulation sectorielle. L’existence d’une concurrence intense entre les opérateurs ne permet pas de transformer un intérêt économique en un droit subjectif invocable devant le juge. Cette approche restrictive vise à éviter que tout concurrent ne puisse paralyser les décisions de la Commission par des recours en annulation systématiques. Le maintien de cette barrière procédurale assure la stabilité des relations juridiques nées des engagements souscrits par les entreprises en position dominante.

II. La protection de la marge de manœuvre décisionnelle de la Commission européenne

A. La consécration de la spécificité procédurale des décisions relatives aux engagements La solution retenue par la Cour de justice conforte la nature particulière des procédures simplifiées prévues par le règlement relatif à la concurrence. Les décisions d’engagement permettent à la Commission d’accepter des solutions négociées pour mettre fin rapidement à des préoccupations de concurrence sur un marché. En limitant le droit de recours des tiers, le juge de l’Union préserve l’attractivité de ce mécanisme pour les entreprises faisant l’objet d’enquêtes. Une ouverture trop large de la recevabilité risquerait de décourager la conclusion d’accords transactionnels pourtant nécessaires à la célérité de la régulation. La Cour valide ainsi la priorité donnée à l’efficacité administrative sur la contestation exhaustive des mesures de correction par les acteurs tiers. Le cadre juridique actuel privilégie la recherche d’un équilibre global entre les impératifs du marché et les droits des parties à la procédure.

B. La limitation du contrôle juridictionnel au profit de l’efficacité de la régulation Le rejet du pourvoi confirme enfin que le contrôle du juge sur les actes de régulation économique demeure encadré par des exigences de stabilité. La participation d’un État membre en tant qu’intervenant ne suffit pas à modifier l’analyse de la recevabilité du recours principal formé par l’entreprise. La Cour estime que la protection juridictionnelle effective n’est pas méconnue dès lors que les tiers disposent d’autres voies de contestation nationale. Le système des recours de l’Union repose sur une répartition des compétences entre les juridictions européennes et les juges des États membres. Cette architecture juridictionnelle assure une cohérence dans l’application du droit de la concurrence tout en évitant l’engorgement des tribunaux par des contentieux commerciaux. La décision commentée renforce ainsi la sécurité juridique des opérateurs économiques ayant choisi de coopérer avec les autorités de régulation européennes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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