En l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale. Cette dernière s’interrogeait sur la compatibilité de sa législation interne avec l’article 34 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011. La réglementation nationale en cause imposait aux bénéficiaires d’une protection internationale de suivre un parcours d’intégration civique, sanctionné par un examen. L’échec à cet examen entraînait une amende, et les frais relatifs aux cours et à l’examen lui-même étaient entièrement à la charge des bénéficiaires, bien qu’un système de prêt public avec possibilité de remise de dette fût prévu. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer dans quelle mesure un État membre peut imposer de telles obligations et modalités financières aux personnes bénéficiant d’une protection internationale, au regard de l’objectif d’intégration prévu par le droit de l’Union. En réponse, la Cour a jugé que l’obligation de réussir un examen d’intégration n’est pas en soi contraire à la directive, mais elle a encadré cette faculté de conditions strictes. Elle a précisé que la mise en œuvre doit tenir compte des besoins spécifiques des bénéficiaires, que le niveau de connaissance exigé doit rester proportionné à l’objectif d’intégration, et qu’une dispense doit être possible pour les personnes déjà intégrées. La Cour a par ailleurs jugé incompatible avec la directive la sanction systématique par une amende en cas d’échec, ainsi que le fait de faire supporter aux bénéficiaires l’intégralité des coûts, jugeant le mécanisme de prêt insuffisant pour assurer la conformité. La solution de la Cour précise ainsi les contours de l’obligation d’intégration, en cherchant un équilibre entre la marge d’appréciation des États membres et la protection des droits des bénéficiaires (I), tout en posant une limite claire à la charge financière qui peut leur être imposée (II).
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I. La validation conditionnelle de l’obligation d’intégration civique
La décision de la Cour reconnaît la légitimité pour un État membre d’instituer un parcours d’intégration pour les bénéficiaires d’une protection internationale (A). Toutefois, elle assortit cette reconnaissance d’un encadrement rigoureux visant à garantir que cette obligation ne devienne pas un obstacle à l’intégration elle-même (B).
A. La consécration du principe d’une obligation d’intégration
La Cour admet qu’un État membre puisse mettre en place des programmes visant à faciliter l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale. Elle considère en effet que l’article 34 de la directive 2011/95/UE « ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui oblige les bénéficiaires d’une protection internationale à réussir un examen d’intégration civique ». Cette position reconnaît implicitement que l’acquisition de connaissances sur la société d’accueil constitue un facteur pertinent d’intégration. En n’excluant pas par principe une telle obligation, la Cour laisse aux États une marge d’appréciation non négligeable dans la conception de leurs politiques d’accueil. Cette approche pragmatique témoigne d’une volonté de concilier l’objectif d’harmonisation des statuts de protection au niveau européen et le respect des compétences nationales en matière de politique sociale et d’intégration. Le silence de la directive sur les modalités concrètes de l’intégration permet ainsi une interprétation qui ne désavoue pas les initiatives nationales visant à structurer l’accueil des personnes protégées.
B. La définition de limites strictes à la discrétion des États membres
Si le principe de l’examen est admis, sa mise en œuvre est soumise à des conditions cumulatives et précises. La Cour exige d’abord que soit assurée « une réelle prise en compte des besoins spécifiques et des caractéristiques de la situation de ces bénéficiaires ». Cette première condition impose une approche individualisée, reconnaissant que les personnes ayant fui leur pays peuvent rencontrer des difficultés particulières, liées à des traumatismes, à leur niveau d’éducation initial ou à leur situation personnelle. Ensuite, la Cour impose que les connaissances requises soient fixées à un niveau raisonnable, sans excéder « ce qui est nécessaire pour favoriser l’intégration ». Enfin, une dispense doit être accordée à toute personne pouvant démontrer être déjà « effectivement intégré dans la société ». Ces garanties sont complétées par une censure claire des sanctions pécuniaires automatiques. La Cour estime que la directive « s’oppose à ce que le fait d’avoir échoué à un tel examen soit systématiquement sanctionné par une amende ». Une telle sanction risquerait en effet de précariser davantage les bénéficiaires et de produire un effet contraire à l’objectif d’intégration recherché.
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II. La prohibition du transfert de la charge financière de l’intégration
Au-delà des conditions de fond, la Cour se prononce de manière tranchée sur la question des coûts, affirmant l’incompatibilité d’une prise en charge intégrale par les bénéficiaires (A), et jugeant que les mécanismes de prêt ne sauraient pallier cette non-conformité (B).
A. L’incompatibilité de principe de la gratuité absente avec le droit de l’Union
La Cour établit une règle claire en matière de financement des parcours d’intégration. Elle juge que l’article 34 de la directive « s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les bénéficiaires d’une protection internationale supportent eux-mêmes l’intégralité des frais des cours et des examens d’intégration civique ». Le raisonnement sous-jacent est que faire peser la totalité du fardeau financier sur des personnes souvent en situation de grande vulnérabilité économique constitue un obstacle majeur à leur intégration. Une telle charge est de nature à les décourager ou à les empêcher matériellement de suivre les cours nécessaires à la réussite de l’examen, vidant ainsi l’obligation de son sens et de son utilité. En imposant aux États de ne pas faire supporter l’intégralité des coûts à ces personnes, la Cour rappelle que l’intégration est une responsabilité partagée, et non une charge qui incomberait exclusivement aux nouveaux arrivants. Cette solution renforce la portée de l’article 34 en lui donnant un contenu concret et protecteur sur le plan économique.
B. L’inefficacité du mécanisme de prêt pour corriger l’incompatibilité
La Cour examine ensuite l’argument de l’État membre selon lequel le système de prêt public, assorti d’une remise de dette en cas de succès, permettrait de respecter les exigences de la directive. Elle rejette cette analyse avec fermeté. Elle juge en effet que cette modalité « n’est pas susceptible de remédier à l’incompatibilité de cette réglementation avec cet article 34 ». La Cour considère que le simple fait de devoir contracter une dette, même avec une perspective d’effacement, constitue en soi une pression et une contrainte financière déraisonnable pour les bénéficiaires d’une protection internationale. Le risque de devoir rembourser le prêt en cas d’échec crée une anxiété et une précarité qui vont à l’encontre de l’objectif de faciliter l’intégration. Cette interprétation met en lumière une approche substantielle et non purement formelle des droits des bénéficiaires. La Cour évalue l’effet concret du dispositif sur leur situation et conclut qu’un mécanisme qui transforme une obligation d’intégration en un risque financier est fondamentalement vicié.