La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 4 juillet 2018, précise l’articulation entre l’intégration fiscale et la liberté d’établissement. Une société conteste le refus de l’administration de déduire les pertes d’une succursale établie localement mais appartenant à une filiale étrangère du groupe. L’Østre Landsret interroge les juges européens sur la conformité de l’article 31 de la loi relative à l’impôt sur les sociétés au droit de l’Union. Le litige porte sur le transfert des pertes subies par un établissement stable résident vers une société membre du même groupe fiscal intégré. La juridiction affirme que la législation nationale ne saurait priver un contribuable de toute possibilité effective de déduction de ses charges professionnelles. L’examen de la caractérisation d’une restriction à la liberté d’établissement permettra ensuite d’évaluer les justifications de la juridiction européenne.
I. L’existence d’une restriction à la liberté d’établissement A. La caractérisation d’une différence de traitement fiscal Le juge relève que « le traitement fiscal d’un groupe détenant un établissement stable par une filiale non-résidente est moins favorable que celui d’un groupe national ». Cette situation découle de l’impossibilité d’imputer les pertes de la succursale sur le résultat global du groupe si une déduction étrangère reste théoriquement possible. La Cour souligne que cette différence « est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par la création de filiales dans d’autres États membres ». La liberté garantie par les articles 49 et 54 du Traité protège le droit des sociétés de choisir la forme juridique adaptée à leur expansion européenne. Un désavantage lié à la détention d’une succursale via une entité non-résidente constitue ainsi une entrave de principe au développement des activités économiques.
B. Le constat d’une comparabilité objective des situations L’examen de la comparabilité s’effectue au regard de l’objectif de prévention de la double déduction des pertes affichée par la réglementation de l’État membre. La Cour rappelle qu’un groupe possédant une filiale non-résidente avec un établissement stable résident n’est pas, par principe, dans une situation comparable au groupe interne. Toutefois, cette distinction s’efface lorsqu’il « n’existe plus aucune possibilité de déduire les pertes de la filiale non‑résidente attribuables à l’établissement stable résident dans l’État de résidence ». La capacité contributive des deux structures est alors affectée de manière identique par les pertes subies sur le territoire où s’exerce le pouvoir d’imposition. La constatation d’une entrave injustifiée à la liberté de mouvement des capitaux impose alors de rechercher les fondements légitimes de cette mesure nationale.
II. La justification de la mesure nationale par des raisons impérieuses A. L’objectif légitime de prévention de la double déduction des pertes L’administration justifie la restriction par la volonté d’éviter qu’une même charge ne soit imputée deux fois dans des systèmes fiscaux nationaux distincts. La Cour reconnaît que « les États membres doivent pouvoir faire obstacle au risque d’une double prise en compte des pertes » afin de préserver la cohérence. Elle précise toutefois que le motif tiré d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition n’est pas pertinent puisque la perte de recettes n’avantage aucun État. L’existence d’une convention préventive de la double imposition permet de neutraliser l’exercice parallèle des compétences fiscales sans justifier un double avantage financier indu. La mesure vise donc à garantir que la situation transfrontalière ne confère pas un privilège injustifié par rapport à la situation domestique équivalente.
B. La nécessaire proportionnalité de l’impossibilité de déduire les charges Le dispositif national excède ce qui est nécessaire s’il prive le groupe de toute déduction alors même que l’imputation étrangère est impossible en pratique. La Cour juge que le principe de proportionnalité impose d’admettre les pertes dès lors que le contribuable démontre l’absence réelle d’une alternative fiscale. Elle affirme que le droit de l’Union « s’oppose à une telle législation si l’application de celle-ci a pour effet de priver ledit groupe de toute possibilité effective ». Il appartient alors au juge national de vérifier si les pertes résultant de la restructuration sont effectivement inutilisables dans l’État de la filiale. Cette solution protège la substance de la liberté d’établissement tout en autorisant les États membres à maintenir des contrôles contre les abus de déduction.