Cour de justice de l’Union européenne, le 4 juillet 2019, n°C-624/17

La question de la qualification de « déchet » est au cœur du droit de l’environnement, déterminant l’application d’un régime juridique contraignant pour la protection de la santé humaine et de l’environnement. Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser les contours de cette notion pour les appareils électriques et électroniques d’occasion. En l’espèce, une société de gros néerlandaise, spécialisée dans l’acquisition et la revente de lots d’articles non écoulés, avait l’intention d’exporter vers la Tanzanie un lot d’appareils divers, comprenant des articles retournés par des consommateurs sous garantie et des articles retirés des assortiments de ses fournisseurs. Certains de ces appareils étaient défectueux. Faisant l’objet d’un contrôle, cette expédition a été considérée par les autorités nationales comme un transfert illicite de déchets, car effectué sans la notification et le consentement préalables requis par le règlement européen n° 1013/2006.

Poursuivie devant les juridictions néerlandaises, la société a été condamnée en première instance par le tribunal de Rotterdam. Elle a interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de la Haye, contestant la qualification de déchets pour des marchandises qu’elle considérait comme des produits de seconde main ayant une valeur marchande. Le ministère public soutenait au contraire que les fournisseurs de la société s’étaient défaits de ces objets, les transformant ainsi en déchets au sens de la directive 2008/98. Face à cette incertitude d’interprétation, la juridiction d’appel a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il était essentiellement demandé à la Cour de déterminer dans quelles circonstances un lot d’appareils électriques et électroniques, retournés ou devenus superflus et destinés à la revente, doit être qualifié de « déchet » au sens du droit de l’Union.

La Cour de justice répond que le transfert de tels appareils doit être considéré comme un transfert de déchets lorsque le lot contient des appareils dont le bon état de fonctionnement n’a pas été préalablement vérifié ou qui ne sont pas protégés de manière adéquate contre les dommages liés au transport. Elle précise en revanche que les biens neufs, dans leur emballage d’origine non ouvert et devenus superflus, ne constituent pas des déchets, sauf indices contraires. La solution apportée par la Cour réaffirme ainsi le rôle central de l’intention de se défaire dans la définition du déchet (I), tout en objectivant cette intention à travers l’instauration de critères de vérification matériels à la charge du détenteur (II).

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I. La persistance d’une définition subjective du déchet conditionnée par l’acte de se défaire

La Cour de justice rappelle que la notion de déchet repose sur une interprétation large du verbe « se défaire », critère finaliste qui prime sur toute autre considération (A), et confirme par la même occasion l’indifférence du droit de l’Union à la valeur économique que peut conserver un objet qualifié de déchet (B).

A. La confirmation du critère finaliste de l’abandon

La Cour fonde son raisonnement sur la définition posée à l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, selon laquelle un déchet est « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». Conformément à sa jurisprudence constante, elle souligne que l’interprétation de ces termes doit être menée à la lumière des objectifs de la directive et du principe de précaution. Il en résulte que la notion de déchet « ne saurai[t] être interprété[e] de manière restrictive ». L’acte de « se défaire » englobe ainsi non seulement l’élimination mais aussi la valorisation d’un bien.

La Cour rappelle qu’il convient de prêter une attention particulière à la circonstance qu’un objet « n’a pas ou n’a plus d’utilité pour son détenteur, de sorte que cet objet ou cette substance constituerait une charge dont celui-ci chercherait à se défaire ». Cette approche finaliste, centrée sur le comportement et l’intention du détenteur, constitue la clef de voûte de la qualification. L’existence d’une charge pour le détenteur emporte le risque que celui-ci s’en débarrasse d’une manière préjudiciable à l’environnement, justifiant l’application du régime protecteur applicable aux déchets. La Cour maintient donc une approche subjective de la notion de déchet, intimement liée à la volonté de son détenteur, avant d’en préciser les indices.

B. L’indifférence maintenue de la valeur économique résiduelle

L’un des arguments de la société poursuivie était que les appareils en cause avaient été achetés pour un certain prix et conservaient une valeur marchande, ce qui devait exclure leur qualification de déchets. La Cour de justice écarte fermement cet argument en se fondant sur une jurisprudence établie. Elle réaffirme que « la notion de “déchet” ne doit pas s’entendre comme excluant les substances et les objets ayant une valeur commerciale et qui sont susceptibles de donner lieu à une réutilisation économique ».

Cette position est essentielle pour garantir l’effectivité de la législation sur les déchets. Admettre que l’existence d’une valeur économique résiduelle ou la conclusion d’une transaction commerciale suffirait à écarter la qualification de déchet ouvrirait la voie à de nombreux contournements. Il serait aisé de déguiser des opérations d’élimination de déchets, notamment leur exportation vers des pays aux normes environnementales moins strictes, en simples transactions commerciales portant sur des biens d’occasion. En confirmant que la valeur marchande est un critère inopérant pour exclure la qualification de déchet, la Cour préserve la finalité protectrice de la réglementation et oblige les opérateurs à se concentrer sur la nature réelle de l’objet et sur l’intention qui préside à son transfert.

Dépassant cette approche conceptuelle, la Cour ancre sa solution dans des exigences pragmatiques, déplaçant le débat du terrain de la seule intention vers celui de la preuve matérielle de la fonctionnalité et de la destination des biens.

II. L’objectivation de l’intention de se défaire par des critères de vérification pratiques

Pour donner corps à la notion d’intention, la Cour de justice établit une distinction fondamentale entre la simple possibilité de réemploi et la certitude de celui-ci (A), ce qui la conduit à consacrer des obligations concrètes de contrôle et de protection pesant sur le détenteur des appareils (B).

A. La certitude de la réutilisation comme condition d’exclusion de la qualification de déchet

La Cour précise qu’un bien ne peut échapper à la qualification de déchet que si sa réutilisation est « non pas seulement éventuelle, mais certaine, sans qu’il soit nécessaire à cette fin de recourir au préalable à l’un des procédés de valorisation ». Cette exigence de certitude est déterminante. Elle signifie qu’un détenteur ne peut plus se contenter d’alléguer qu’un appareil est destiné à être réutilisé ; il doit être en mesure d’établir cette certitude. La Cour opère ainsi un glissement probatoire significatif.

Dans le cas des appareils retournés sous garantie, souvent en raison d’un défaut, cette certitude de réutilisation sans réparation n’existe pas. Un appareil qui ne peut être utilisé conformément à sa destination initiale en raison d’un défaut « constitue une charge pour son détenteur et, ainsi, doit être considéré comme un déchet ». La Cour estime en effet que dans une telle situation, l’utilisation future de l’objet n’est pas certaine. Elle en déduit que lorsqu’un détenteur cède un bien « sans avoir préalablement constaté son état de fonctionnement, il y a lieu de considérer que ledit bien représente pour le détenteur une charge dont il se défait ». L’absence de vérification préalable devient ainsi un indice majeur de l’intention de se défaire.

B. La consécration de l’obligation de contrôle et de protection des appareils

La conséquence directe de ce raisonnement est l’établissement de critères objectifs et vérifiables. Pour qu’un lot d’appareils d’occasion ne soit pas qualifié de déchet, son détenteur doit apporter la preuve de sa démarche positive pour en assurer la réutilisation. La Cour le formule clairement dans le dispositif de son arrêt : le transfert constitue un transfert de déchets « lorsque ce lot contient des appareils dont le bon fonctionnement n’a pas été préalablement constaté ou qui ne sont pas correctement protégés contre les dommages liés au transport ».

Ces deux critères sont cumulatifs et éminemment pratiques. Le premier impose une obligation de test et de contrôle fonctionnel avant l’exportation. Le second impose une obligation d’emballage adéquat, considérant que l’absence de protection contre les risques du transport vaut acceptation de la dégradation potentielle des appareils, et donc intention de s’en défaire. Cette solution a une portée considérable. Elle fournit aux autorités de contrôle des États membres des outils concrets pour lutter contre les exportations illégales de déchets électroniques, souvent masquées en dons ou en ventes de matériel de seconde main. Elle impose aux acteurs du secteur de la revente d’équipements d’occasion une professionnalisation de leurs pratiques, les obligeant à trier, tester et emballer rigoureusement les produits pour prouver qu’il ne s’agit pas de déchets.

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Hassan KOHEN
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