Par un arrêt rendu en matière de pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les modalités d’appréciation du risque de confusion entre deux marques figuratives. En l’espèce, une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne avait été déposée pour un signe figuratif composé des lettres « f » et « l » suivies d’un cœur stylisé et de la lettre « i ». Cette demande concernait divers produits et services, notamment dans les domaines du transport et de l’organisation de voyages. Une société titulaire d’une marque de l’Union européenne figurative antérieure, composée des éléments verbaux « fly.de », a formé opposition à cet enregistrement. La marque antérieure désignait des produits et services en partie identiques et en partie similaires à ceux visés par la demande d’enregistrement.
La division d’opposition de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a initialement accueilli l’opposition, retenant un risque de confusion. Toutefois, la chambre de recours de l’EUIPO a annulé cette décision, estimant qu’il n’existait aucune similitude visuelle et que les similitudes phonétique et conceptuelle étaient peu vraisemblables, écartant ainsi le risque de confusion. La société opposante a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation. Par un arrêt du 30 novembre 2017, le Tribunal a rejeté le recours, confirmant l’analyse de la chambre de recours sur l’absence de similitude pertinente entre les signes en conflit et, par conséquent, l’absence de risque de confusion. C’est contre cet arrêt que la société a formé un pourvoi devant la Cour de justice, invoquant une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. Le pourvoi s’articulait autour de l’idée que le Tribunal aurait commis des erreurs méthodologiques dans la comparaison des signes et outrepassé les limites de son contrôle.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si, dans l’examen du risque de confusion, la dénomination en écriture standard d’une marque figurative publiée au bulletin officiel doit être prise en compte pour apprécier la perception phonétique du signe par le public. Il s’agissait également de savoir si l’appréciation par le Tribunal de la perception d’un symbole stylisé relevait de son appréciation souveraine des faits, échappant ainsi au contrôle de la Cour de justice dans le cadre d’un pourvoi.
La Cour de justice rejette le pourvoi dans son intégralité. Elle juge que la dénomination d’une marque figurative dans le bulletin des marques est dépourvue de pertinence pour apprécier la perception phonétique qu’en a le public. Elle précise par ailleurs que l’évaluation de la manière dont le consommateur perçoit un élément figuratif spécifique constitue une appréciation de fait qui, sauf dénaturation, ne peut être remise en cause au stade du pourvoi.
Cet arrêt offre une clarification méthodologique sur la comparaison des signes (I), tout en rappelant fermement les limites inhérentes au contrôle opéré par la Cour de justice en matière de pourvoi (II).
I. La clarification méthodologique de la comparaison des signes
La Cour de justice profite de ce litige pour consolider sa jurisprudence relative aux critères d’appréciation de la similitude entre les marques. Elle écarte ainsi l’influence d’éléments extrinsèques à la perception du signe (A) et précise la portée de l’analyse comparative des différents aspects des signes en conflit (B).
A. L’exclusion des éléments extrinsèques de l’appréciation phonétique
La société requérante soutenait que le Tribunal aurait dû tenir compte de la dénomination de la marque demandée en écriture standard, « fly », telle que publiée au bulletin des marques. Selon elle, cet élément aurait dû guider l’analyse de la similitude phonétique. La Cour rejette cette argumentation en s’appuyant sur les principes fondamentaux de l’appréciation du risque de confusion. Elle rappelle que ce risque « doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause ».
La Cour confirme ainsi la position du Tribunal, qui avait jugé que cette dénomination « ne saurait régir l’appréciation de l’impression phonétique créée par des marques complexes dans le cadre d’une procédure d’opposition ». La solution est logique : la protection conférée par une marque figurative porte sur le signe tel qu’il est déposé et perçu visuellement, et non sur la description textuelle qui peut en être faite à des fins administratives. L’intention du déposant ou la mention faite par l’EUIPO dans le bulletin sont indifférentes, car seul compte l’impact du signe sur le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif. Admettre le contraire reviendrait à introduire une fiction juridique dans une analyse qui doit, par nature, être ancrée dans la réalité de la perception du marché.
B. La portée de l’analyse comparative des aspects visuel, phonétique et conceptuel
La requérante avançait également que le Tribunal aurait commis une erreur en laissant les différences visuelles « neutraliser » les similitudes phonétiques dès le stade de la comparaison des signes. La Cour écarte cet argument en le qualifiant de fondé sur une « lecture erronée de l’arrêt attaqué ». Elle observe qu’il ne ressort pas du raisonnement du Tribunal que celui-ci se serait livré à une telle neutralisation. Au contraire, le Tribunal a évalué séparément les éventuelles similitudes visuelle, phonétique et conceptuelle avant de conclure, pour chacune, à leur absence ou à leur faible degré.
Ce faisant, la Cour rappelle implicitement la méthode correcte : l’appréciation de chaque type de similitude est une étape distincte. C’est seulement dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion, qui intervient ultérieurement, que l’interdépendance entre les différents facteurs, y compris le degré de similitude des signes et des produits, doit être prise en compte. Une absence de similitude sur un plan ne neutralise pas automatiquement une similitude existant sur un autre ; elle ne fait que contribuer à l’impression d’ensemble qui se dégage des signes. La Cour censure donc l’idée qu’un aspect pourrait en annuler un autre avant même l’évaluation globale, ce qui garantit que tous les facteurs pertinents soient pesés dans la balance finale.
II. La délimitation stricte du contrôle exercé en matière de pourvoi
Au-delà des questions de méthode, cet arrêt constitue une illustration didactique de la répartition des compétences entre le Tribunal et la Cour de justice. Celle-ci réaffirme avec force que l’appréciation des faits échappe à son contrôle (A), tout en précisant le sort des moyens dirigés contre des motifs surabondants (B).
A. La perception d’un signe qualifiée de question de fait
La requérante tentait de convaincre la Cour que le symbole du cœur dans la marque demandée devait être perçu comme la lettre « y ». Elle s’appuyait pour cela sur des éléments factuels externes, comme l’usage de ce symbole dans d’autres marques ou sur le site Internet des titulaires de la marque. La Cour déclare cette argumentation irrecevable, car elle revient à contester une appréciation de nature factuelle. En effet, la question de savoir si le public pertinent est susceptible de déceler une lettre spécifique dans un élément figuratif stylisé relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
La Cour rappelle ainsi une règle fondamentale de la procédure de pourvoi, énoncée à l’article 256 TFUE : « le pourvoi est limité aux questions de droit ». Le contrôle de la Cour ne porte donc pas sur les faits eux-mêmes, mais sur la qualification juridique qui leur est donnée et sur d’éventuelles erreurs de droit commises par le Tribunal. Sauf en cas de dénaturation des faits ou des éléments de preuve, qui n’était pas alléguée en l’espèce, la Cour ne peut substituer son appréciation des faits à celle du Tribunal. Cette solution est essentielle pour garantir l’efficacité du double degré de juridiction et éviter que la Cour ne devienne un troisième degré de juridiction statuant sur le fond.
B. Le caractère inopérant du moyen visant un motif surabondant
Le Tribunal avait estimé que même si le consommateur identifiait la lettre « y » dans le cœur stylisé, une éventuelle coïncidence phonétique serait « atténuée par la présence de l’élément verbal “.de” dans la marque antérieure ». La requérante a contesté ce raisonnement, arguant que l’élément « .de » ne pouvait avoir un caractère dominant. La Cour de justice qualifie cette branche du moyen d’inopérante. Elle relève que le raisonnement principal du Tribunal reposait sur le caractère peu vraisemblable de l’identification de la lettre « y » dans le symbole du cœur. L’analyse relative à l’élément « .de » n’a donc été formulée qu’« à titre surabondant ».
La jurisprudence est constante sur ce point : « des griefs portant sur des motifs surabondants de l’arrêt attaqué ne sauraient en tout état de cause entraîner l’annulation de cet arrêt ». Un motif est surabondant lorsqu’il n’est pas nécessaire au soutien du dispositif de la décision. Quand bien même ce motif serait erroné, son annulation ne modifierait pas le fondement juridique de la solution retenue par le juge. En déclarant le moyen inopérant, la Cour fait preuve de pragmatisme procédural et refuse de se prononcer sur une question dont la résolution n’aurait aucune incidence sur l’issue du litige. Cette approche évite des débats théoriques et concentre le contrôle de la Cour sur les seuls éléments qui déterminent véritablement la légalité de l’arrêt attaqué.