Cour de justice de l’Union européenne, le 4 juin 2015, n°C-161/14

Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.

En l’espèce, un État membre avait mis en place une législation permettant l’application d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée réduit à des prestations de services relatives à l’installation de matériaux visant à l’économie d’énergie, ainsi qu’aux livraisons de ces mêmes matériaux. Cette mesure, à portée générale pour les immeubles résidentiels, semble avoir été motivée par une politique de transition énergétique. Une institution européenne, gardienne de la bonne application des traités, a estimé que cette réglementation nationale n’était pas conforme au droit de l’Union.

En conséquence, cette institution a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre de l’État membre concerné. La requérante soutenait que la législation en cause étendait de manière indue le champ des dérogations autorisant un taux réduit, telles que prévues par la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. L’État membre défendeur, pour sa part, justifiait vraisemblablement sa position par la nécessité de poursuivre des objectifs environnementaux reconnus.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un État membre peut appliquer un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à des opérations liées à l’efficacité énergétique des logements au-delà des cas strictement et limitativement énumérés par la directive fiscale.

La Cour de justice répond à cette question par la négative, en consacrant une interprétation stricte des textes. Elle juge que l’État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l’article 98 de la directive 2006/112, telle que modifiée […], lues conjointement avec l’annexe iii de ladite directive ». La solution rappelle que le recours à un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée demeure une exception au principe du taux normal, dont le champ d’application ne peut être étendu par analogie ou pour des motifs de politique nationale, aussi légitimes soient-ils.

Cette décision, qui rappelle les exigences de l’harmonisation fiscale, se fonde sur une application rigoureuse des dérogations prévues par la directive (I), affirmant ainsi la primauté du droit fiscal de l’Union sur les considérations politiques nationales (II).

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I. L’application rigoureuse des dérogations prévues par la directive

La Cour de justice examine successivement les deux principales dérogations qui auraient pu fonder la législation nationale, à savoir celle relative à la politique sociale du logement et celle concernant la rénovation des logements privés. Dans les deux cas, elle retient une lecture restrictive, excluant l’application du taux réduit tel que mis en œuvre par l’État membre. Elle circonscrit ainsi le champ d’application de la politique sociale du logement (A) avant de préciser les conditions strictes de la rénovation des logements privés (B).

A. Le champ d’application circonscrit de la politique sociale du logement

La directive de 2006 autorise les États membres à appliquer un taux réduit pour les opérations s’inscrivant dans le cadre de leur politique sociale. La Cour constate cependant que la mesure litigieuse ne répond pas à cette finalité spécifique. En effet, la législation nationale s’appliquait à l’ensemble des immeubles résidentiels sans distinction, ne se limitant pas aux logements fournis sous des conditions sociales particulières.

La Cour sanctionne ainsi l’État membre au motif que ses mesures ne peuvent être considérées comme relevant de « la livraison, [la] construction, [la] rénovation et [la] transformation de logements fournis dans le cadre de la politique sociale ». Cette précision confirme que la notion de « politique sociale » doit être entendue de manière autonome et uniforme en droit de l’Union. Elle ne saurait être interprétée de manière extensive par un État pour y inclure des mesures générales de politique environnementale ou énergétique, même si celles-ci peuvent indirectement avoir un impact social positif. Le bénéfice du taux réduit est donc conditionné à un lien direct et avéré avec une politique spécifiquement sociale.

B. Les conditions strictes de la rénovation des logements privés

La seconde dérogation potentiellement applicable concernait les prestations de rénovation et de réparation de logements privés. La Cour relève ici deux obstacles à l’application d’un taux réduit. D’une part, les opérations en cause ne relevaient pas toutes de la simple rénovation et, d’autre part, la valeur des matériaux fournis excédait souvent celle de la prestation de service elle-même.

Le manquement est ainsi caractérisé lorsque « ces mêmes prestations et livraisons incluent des matériaux représentant une part importante de la valeur des services fournis ». Par cette formule, la Cour rappelle une règle fondamentale du système de taxe sur la valeur ajoutée : une prestation de services ne doit pas dissimuler ce qui est en réalité une livraison de biens. Lorsque la fourniture des matériaux n’est plus l’accessoire de la pose mais en constitue l’élément principal, l’opération dans son ensemble doit être taxée au taux normal. La Cour empêche ainsi un détournement de la règle, qui viderait de sa substance la distinction entre livraison de biens et prestation de services.

II. La primauté de l’harmonisation fiscale sur les politiques nationales

Au-delà de l’analyse technique, cet arrêt revêt une portée de principe en ce qu’il réaffirme la prééminence des règles d’harmonisation fiscale sur les autres objectifs poursuivis par les États membres. Il rejette ainsi implicitement toute justification fondée sur une politique environnementale (A) et confirme par là même le caractère exhaustif de la liste des dérogations autorisées (B).

A. Le rejet implicite de la justification environnementale

L’État membre poursuivait vraisemblablement un objectif de transition écologique, en incitant fiscalement les propriétaires à réaliser des travaux d’économie d’énergie. Cet objectif est pourtant reconnu et même encouragé par d’autres politiques de l’Union européenne. Toutefois, la Cour de justice choisit délibérément de ne pas évaluer la pertinence de cette politique nationale.

Son raisonnement demeure strictement cantonné au champ fiscal. En ne se prononçant que sur la base de la directive relative à la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour signifie que la cohérence du système commun de taxe prime sur les objectifs politiques nationaux, fussent-ils conformes à d’autres buts de l’Union. Il n’existe pas d’exception non écrite au principe de l’application du taux normal, qui serait fondée sur des considérations environnementales. Cette approche garantit la sécurité juridique et l’uniformité de l’impôt, mais peut être perçue comme un frein à l’utilisation du levier fiscal par les États pour répondre à des enjeux sociétaux urgents.

B. La confirmation du caractère exhaustif des dérogations

La portée de cette décision est considérable pour l’ensemble des États membres. Elle constitue un rappel sévère que les catégories de biens et de services éligibles à un taux réduit, listées à l’annexe III de la directive, sont d’interprétation stricte et ne peuvent être étendues. L’arrêt confirme que cette liste est exhaustive et non simplement illustrative.

En conséquence, toute volonté d’un État d’élargir le champ d’application des taux réduits pour des motifs économiques, sociaux ou environnementaux doit nécessairement passer par une modification de la directive elle-même, au niveau du Conseil de l’Union européenne. Un État ne peut unilatéralement créer de nouvelles niches fiscales, sous peine de violer ses obligations et de porter atteinte aux fondements du marché intérieur. La décision renforce ainsi la compétence de l’Union en matière d’harmonisation de la taxe sur la valeur ajoutée et prévient le risque d’une concurrence fiscale dommageable entre les États membres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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