Cour de justice de l’Union européenne, le 4 juin 2020, n°C-3/19

Par un arrêt dont la portée est significative pour l’organisation de la commande publique locale, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité de certaines restrictions nationales avec le droit européen des marchés publics. En l’espèce, une législation nationale imposait à des petites collectivités locales des contraintes spécifiques pour recourir à des centrales d’achat, notamment en limitant les modèles d’organisation à des structures exclusivement publiques et en circonscrivant leur champ d’action à un territoire défini. Confronté à un litige portant sur l’application de cette législation, une juridiction nationale a saisi la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de déterminer si la directive 2004/18/CE, qui vise à coordonner les procédures de passation des marchés publics, s’opposait à de telles dispositions nationales qui restreignent l’autonomie des pouvoirs adjudicateurs locaux. La question de droit posée à la Cour était donc double : d’une part, le droit de l’Union autorise-t-il un État membre à exclure la participation de capitaux privés dans les centrales d’achat utilisées par ses petites collectivités locales ? D’autre part, un État membre peut-il légalement limiter l’activité de ces centrales au territoire des collectivités qui les ont instituées ? À ces deux interrogations, la Cour répond par l’affirmative, considérant que la directive « ne s’oppose pas à une disposition de droit national qui limite l’autonomie d’organisation des petites collectivités locales » de la sorte. Cette décision valide ainsi la marge d’appréciation reconnue aux États membres pour structurer leurs services d’achat centralisé (I), tout en précisant l’articulation entre cette autonomie organisationnelle et les principes fondamentaux du marché intérieur (II).

I. La confirmation de la marge d’appréciation des États dans l’organisation des centrales d’achat

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une interprétation pragmatique des objectifs de la directive, reconnaissant aux États membres une latitude certaine pour définir les modalités de la mutualisation des achats publics. Cette reconnaissance se manifeste tant dans la validation du choix d’un modèle de coopération exclusivement public (A) que dans l’admission de restrictions d’ordre territorial (B).

A. La légitimité d’un modèle de coopération exclusivement public

La Cour de justice considère que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à une législation nationale qui réserve aux seules entités publiques la possibilité de constituer et de gérer une centrale d’achat pour le compte de petites collectivités. En affirmant que la directive « ne s’oppose pas à une disposition de droit national qui limite l’autonomie d’organisation des petites collectivités locales pour faire appel à une centrale d’achat à seulement deux modèles d’organisation exclusivement publique, sans la participation de personnes ou d’entreprises privées », elle valide une approche qui peut sembler, à première vue, restrictive au regard des principes de concurrence. Toutefois, le raisonnement des juges s’ancre dans la finalité même des centrales d’achat, qui constituent un outil d’organisation administrative interne des pouvoirs adjudicateurs. La directive encadre la manière dont ces centrales passent leurs marchés, mais elle n’impose pas un modèle structurel unique. Les États membres demeurent donc libres de privilégier des mécanismes de coopération « in house » ou de coopération horizontale entre entités publiques, considérant que ces formes de mutualisation répondent mieux aux impératifs de service public, de contrôle démocratique ou d’efficacité administrative à l’échelon local.

B. L’admission d’une compétence territoriale limitée

Dans le prolongement de son raisonnement sur la structure des centrales d’achat, la Cour admet également la validité des limitations géographiques qui leur sont imposées. La décision énonce clairement que la directive 2004/18 « doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une disposition de droit national qui limite le champ d’action des centrales d’achat créées par des collectivités locales au territoire de ces collectivités locales ». Cette position renforce l’idée que l’organisation des centrales d’achat relève de l’autonomie administrative des États membres. Une telle limitation territoriale peut se justifier par des motifs de bonne administration, de proximité et de connaissance fine du tissu économique local. En circonscrivant l’activité de la centrale à une zone géographique cohérente avec celle de ses membres, le législateur national assure une meilleure adéquation entre les besoins des pouvoirs adjudicateurs et les prestations fournies. La Cour estime ainsi que cette restriction n’entrave pas en soi les libertés fondamentales du marché intérieur, dès lors que les procédures de passation de marchés menées par la centrale respectent, elles, les règles de publicité et de mise en concurrence européennes.

Cette double validation des contraintes organisationnelles et territoriales témoigne de la volonté de la Cour de préserver un équilibre délicat. Elle clarifie la portée de l’autonomie des États membres tout en la maintenant dans le cadre des objectifs supérieurs du droit de l’Union.

II. La portée de la solution : un équilibre entre autonomie locale et principes du marché intérieur

L’arrêt commenté ne se limite pas à une simple exégèse de la directive ; il revêt une portée plus large en consacrant une forme de subsidiarité dans l’organisation de la commande publique (A), tout en offrant une sécurité juridique appréciable pour les pouvoirs adjudicateurs locaux (B).

A. La consécration du principe d’autonomie organisationnelle

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres, pourvu que celle-ci ne compromette pas l’effet utile du droit de l’Union. En l’espèce, la Cour juge que le choix d’un modèle de coopération publique et la définition de son ressort territorial relèvent de cette autonomie. La valeur de cet arrêt réside dans l’affirmation que l’objectif d’efficacité de la commande publique, poursuivi par la directive, peut être atteint par différentes voies. La centralisation des achats n’est pas une fin en soi, mais un moyen dont les modalités peuvent être adaptées aux spécificités de chaque État membre, notamment pour tenir compte de la situation particulière des petites collectivités. Celles-ci disposent de ressources administratives et financières limitées, justifiant que le législateur national encadre et facilite la mutualisation de leurs achats par des structures dont il garantit la nature publique et la cohérence territoriale. La solution n’est donc pas une remise en cause des principes de concurrence, mais une reconnaissance que l’organisation administrative interne des États membres jouit d’une sphère de compétence protégée.

B. Une clarification bienvenue pour l’organisation de la commande publique locale

Sur le plan de sa portée, l’arrêt apporte une clarification importante pour l’avenir. Il offre une base juridique solide aux États membres qui souhaitent promouvoir des modèles de coopération publique pour la gestion des achats de leurs collectivités. La décision écarte le risque de voir de telles législations nationales systématiquement contestées au nom d’une conception extensive des libertés du marché intérieur. Pour les petites collectivités locales, cette jurisprudence garantit que les cadres de mutualisation définis au niveau national sont conformes au droit de l’Union, leur permettant de recourir à ces centrales d’achat avec une sécurité juridique accrue. En définitive, en validant des restrictions qui visent à structurer l’action publique locale, la Cour de justice conforte une vision de la commande publique où l’efficacité économique ne saurait primer de manière absolue sur les choix d’organisation politique et administrative propres à chaque État membre. Cet équilibre, subtil mais essentiel, garantit la coexistence harmonieuse des logiques du marché unique et des impératifs de la gestion publique locale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture