Cour de justice de l’Union européenne, le 4 juin 2020, n°C-588/18

Saisi sur renvoi préjudiciel par l’Audiencia Nacional, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé l’articulation entre les droits au repos garantis par le droit de l’Union et les congés spéciaux prévus par une réglementation nationale. En l’espèce, un conflit collectif de travail a été initié en Espagne concernant l’interprétation des dispositions d’une convention collective instaurant des congés spéciaux rémunérés pour divers événements familiaux ou personnels. Les organisations syndicales soutenaient que, lorsque le fait générateur d’un tel congé survenait durant une période de repos hebdomadaire ou de congé annuel, le travailleur devait pouvoir reporter ce congé spécial à une période de travail ultérieure. La juridiction de renvoi, constatant que le droit national ne précisait pas explicitement ce point, a interrogé la Cour sur la compatibilité d’une absence de report avec les articles 5 et 7 de la directive 2003/88/CE relative à l’aménagement du temps de travail. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si la directive 2003/88 s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas le report d’un congé spécial lorsque l’événement y donnant droit se produit pendant une période de repos hebdomadaire ou de congé annuel. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que de tels congés spéciaux ne relèvent pas du champ d’application de la directive et que leur régime est défini par le droit national, sous réserve de ne pas porter atteinte à la protection minimale garantie par ladite directive.

La solution retenue par la Cour repose sur une distinction claire entre les prescriptions minimales de la directive et les dispositions nationales plus favorables (I), ce qui la conduit à valider la logique propre qui sous-tend l’octroi des congés spéciaux litigieux (II).

I. La délimitation stricte du champ d’application de la directive 2003/88

La Cour de justice rappelle que la directive sur le temps de travail établit des normes minimales, laissant aux États membres la liberté d’instituer des régimes plus protecteurs pour les travailleurs. Elle en déduit que les congés spéciaux en cause sont exclus du régime de la directive (A), tout en soulignant que cette compétence nationale demeure conditionnée au respect des garanties fondamentales du droit de l’Union (B).

A. L’exclusion des congés spéciaux du régime de la directive

L’argumentation de la Cour s’appuie sur le caractère minimal de l’harmonisation opérée par la directive 2003/88. Cet instrument vise à assurer la santé et la sécurité des travailleurs en leur garantissant des périodes de repos journalier, hebdomadaire et annuel, ainsi qu’une durée maximale de travail. Toutefois, il n’a pas pour objet de régir l’ensemble des situations d’absence autorisée du travailleur. La Cour affirme ainsi que les congés spéciaux, qui permettent de répondre à des besoins ou obligations spécifiques, ne sont pas couverts par le texte européen. Elle énonce clairement que « Les jours de congés spéciaux octroyés au titre de l’article 46 de la convention collective […] ne relèvent pas du champ d’application de la directive 2003/88 mais bien de l’exercice, par un État membre, de ses compétences propres ». Cette clarification confirme que les États membres conservent une latitude importante pour aménager des droits sociaux additionnels, sans que le droit de l’Union n’impose les modalités de leur exercice, pour autant que ces droits ne soient pas eux-mêmes régis par une autre directive.

B. L’autonomie conditionnée de la réglementation nationale

L’autonomie laissée aux États membres dans la définition du régime des congés spéciaux n’est cependant pas absolue. La Cour précise en effet que cette compétence ne doit pas compromettre les objectifs et l’effet utile des droits garantis par la directive. Le bénéfice effectif des périodes minimales de repos hebdomadaire et de congé annuel payé constitue une limite à la liberté des États. La Cour rappelle que « l’exercice de telles compétences propres ne saurait, pour autant, avoir pour effet de porter atteinte à la protection minimale garantie aux travailleurs par cette directive ». En l’espèce, le fait qu’un événement survienne durant une période de repos n’altère pas la nature de cette période, qui demeure consacrée au repos. Le travailleur bénéficie toujours de son droit au repos garanti par la directive ; le droit national décide simplement qu’une autre prérogative, le congé spécial, ne se cumule pas avec ce repos. La protection minimale est donc préservée.

Après avoir ainsi délimité les champs de compétence respectifs du droit de l’Union et du droit national, la Cour examine la nature même des congés spéciaux pour justifier leur traitement différencié.

II. La validation de la logique distincte du congé spécial

La Cour de justice opère une analyse fonctionnelle des congés spéciaux pour les distinguer d’autres types de congés, notamment le congé maladie. Elle met en évidence que le droit à ces congés est intrinsèquement lié à l’existence d’une obligation de travail (A), ce qui l’amène à rejeter l’analogie avec des congés poursuivant une finalité différente (B).

A. L’indissociable lien entre le congé spécial et le temps de travail

La Cour souligne que le bénéfice d’un congé spécial est subordonné à deux conditions cumulatives : la survenance de l’événement prévu par la réglementation et la coïncidence de cet événement avec une période de travail. L’objet même de ce type de congé est de permettre au travailleur de s’absenter d’un travail qu’il aurait dû accomplir. Par conséquent, si l’événement se produit un jour où le travailleur n’est pas tenu de travailler, la raison d’être du congé disparaît. La Cour formule ce raisonnement de manière concise en affirmant que « les congés spéciaux rémunérés […] sont indissociablement liés au temps de travail en tant que tel, si bien que les travailleurs ne sont pas susceptibles de s’en prévaloir lors des périodes de repos hebdomadaire ou de congé annuel payé ». Cette analyse justifie que le droit au congé spécial ne puisse être exercé que durant les jours ouvrés, car c’est seulement pendant ces jours que l’absence a un sens.

B. Le rejet de l’assimilation à d’autres formes de congés garantis

La juridiction de renvoi et les parties requérantes s’appuyaient sur la jurisprudence antérieure de la Cour, notamment celle relative au congé maladie survenant pendant le congé annuel. Dans cette hypothèse, la Cour a jugé que le travailleur a le droit de reporter son congé annuel, car la finalité du congé maladie (le rétablissement) est distincte de celle du congé annuel (le repos et la détente). Or, dans la présente affaire, la Cour refuse d’appliquer une telle analogie. Elle considère que la finalité des congés spéciaux est de répondre à des obligations spécifiques nécessitant une présence personnelle, ce qui suppose une absence au travail. Cette finalité n’est pas compromise si l’événement survient un jour de repos, car aucune obligation de travail n’existait ce jour-là. Contrairement au travailleur en congé maladie, qui est empêché de profiter de son repos, le travailleur dont l’obligation familiale coïncide avec un jour férié n’est pas privé de son droit au repos garanti par la directive. La Cour consacre ainsi une spécificité fonctionnelle au congé spécial qui justifie un régime juridique distinct.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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