Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mai 2023, n°C-127/22

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime de régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) déduite afférente à des biens mis au rebut. En l’espèce, une société de télécommunications avait acquis divers biens pour les besoins de son activité et avait déduit la TVA grevant ces acquisitions. Postérieurement, elle a procédé à la mise au rebut de certains de ces biens, considérés comme devenus impropres à l’usage ou à la vente en raison de leur usure ou de leur obsolescence. Ces biens mis au rebut ont, pour certains, été vendus en tant que déchets à des tiers, et pour d’autres, ont été détruits. L’administration fiscale nationale a exigé la régularisation de la TVA initialement déduite sur ces biens, en application de la législation nationale. Saisie d’une demande de remboursement par la société, qui contestait la compatibilité de la loi nationale avec la directive TVA, la juridiction de première instance puis la juridiction d’appel ont rejeté ses prétentions. Un pourvoi a alors été formé devant la Cour administrative suprême de Bulgarie. Cette dernière, estimant que la solution du litige dépendait de l’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer si la mise au rebut de biens, suivie de leur vente taxable ou de leur destruction, constitue une « modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions » au sens de l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA, justifiant une régularisation. En cas de réponse affirmative, il était demandé si une telle opération pouvait néanmoins être exemptée de régularisation au titre d’une « destruction ou perte dûment prouvée ou justifiée », selon l’article 185, paragraphe 2, de la même directive. La Cour de justice répond que la vente des biens mis au rebut dans le cadre d’une opération taxable ne constitue pas une modification justifiant une régularisation. En revanche, si la destruction d’un bien constitue bien une telle modification, elle peut être exemptée de régularisation dès lors que la destruction est justifiée par la perte objective d’utilité du bien pour l’activité économique de l’assujetti.

La solution retenue par la Cour de justice renforce le principe de neutralité de la TVA en adaptant son application à la réalité de la vie économique des entreprises. Il convient ainsi d’analyser le maintien du droit à déduction lorsque le bien, bien que déprécié, fait l’objet d’une cession taxable (I), avant d’examiner l’absence d’obligation de régularisation lorsque le bien est détruit pour des motifs économiques avérés (II).

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I. Le maintien du droit à déduction en cas de cession taxable subséquente du bien mis au rebut

La Cour de justice considère que la revente d’un bien mis au rebut, même en tant que déchet, prolonge son utilisation dans le cadre d’opérations taxées, préservant ainsi le droit à déduction initial. Cette position consacre une approche matérielle de l’affectation du bien à l’activité économique (A), en se montrant indifférente à la dépréciation ou à la requalification formelle de ce dernier (B).

A. La continuité de l’affectation à l’activité économique par la vente du bien

Le droit à déduction de la TVA est intimement lié à l’utilisation des biens et services pour les besoins des opérations taxées de l’assujetti. La Cour rappelle que cet objectif est de « soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques ». En l’occurrence, la vente des biens mis au rebut, même en tant que déchets, constitue une opération taxable soumise à la TVA. Par conséquent, cette cession s’inscrit dans le prolongement de l’activité économique de l’assujetti. Le lien direct et immédiat entre l’acquisition initiale du bien et une opération taxée en aval n’est donc pas rompu. La Cour estime ainsi qu’est « remplie la condition permettant l’application et le maintien du droit à déduction », à savoir que les biens ont continué à être utilisés pour des opérations soumises à la TVA. La mise au rebut, simple étape intermédiaire avant la cession, ne saurait en elle-même constituer une modification des éléments justifiant une régularisation.

Cette analyse assure la parfaite neutralité de la taxe, en garantissant que la charge fiscale ne pèse pas sur un opérateur économique qui a maintenu le bien dans le circuit des opérations taxées.

B. L’indifférence de la nature et de la valeur de la cession

La Cour précise le caractère non pertinent de plusieurs circonstances factuelles pour apprécier le maintien du droit à déduction. Il importe peu que « la vente de déchets ne relève pas des activités économiques habituelles de l’assujetti » ou que la valeur de réalisation des biens soit très inférieure à leur valeur d’acquisition. De même, le fait que la nature des biens ait été altérée, ceux-ci étant devenus des déchets, n’a aucune incidence. Cette approche privilégie la substance économique sur la forme. Ce qui est déterminant n’est pas la nature de l’opération de sortie ni sa rentabilité, mais son assujettissement à la TVA. En jugeant que le droit à déduction est maintenu « quels que soient [les] buts ou [les] résultats » des activités économiques, la Cour s’oppose à une vision purement comptable ou formelle qui consisterait à considérer la mise au rebut comme une sortie définitive du patrimoine professionnel. La solution s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, laquelle avait déjà admis qu’il n’y avait pas lieu à régularisation lorsque des déchets issus de la démolition d’immeubles étaient revendus dans le cadre d’opérations taxables.

Ainsi, tant que le bien aboutit à une opération taxée, la chaîne de déduction n’est pas interrompue, ce qui n’est pas le cas lorsque le bien est détruit.

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II. L’absence d’obligation de régularisation en cas de destruction justifiée du bien mis au rebut

La Cour adopte un raisonnement en deux temps concernant la destruction des biens. Elle reconnaît que la destruction constitue en principe une rupture du lien d’affectation justifiant une régularisation (A), mais elle admet que cette opération peut bénéficier d’une exemption lorsqu’elle est économiquement justifiée, en procédant à une interprétation extensive de cette exception (B).

A. La rupture du lien d’affectation par la destruction du bien

Contrairement à la vente, la destruction physique d’un bien met un terme définitif à son utilisation potentielle pour des opérations taxées en aval. La Cour constate logiquement que « la destruction d’un bien entraîne nécessairement la disparition de toute possibilité de l’utiliser dans le cadre d’opérations taxées ». Cet événement constitue donc une rupture de la « relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation du bien concerné pour des opérations taxées en aval ». En conséquence, la destruction est qualifiée de « modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant de la déduction », au sens de l’article 185, paragraphe 1, de la directive TVA. Cette première étape du raisonnement confirme que toute disparition d’un bien du circuit économique taxable déclenche, en principe, l’obligation de restituer la TVA initialement déduite. La confirmation de ce principe est d’ailleurs renforcée, selon la Cour, par l’existence même d’exceptions prévues au paragraphe 2 de ce même article, notamment pour la destruction.

Le principe d’une régularisation étant posé, l’enjeu se déplace alors sur le champ d’application de l’exception prévue pour les cas de destruction.

B. L’interprétation extensive de la notion de destruction exonératoire

La Cour de justice livre une clarification essentielle sur la portée de l’exception de régularisation pour « destruction […] dûment prouvée ou justifiée ». Elle juge que cette notion ne se limite pas aux événements involontaires, subis par l’assujetti. Une destruction volontaire, décidée par l’entreprise, peut également en bénéficier, à la condition qu’elle soit la conséquence de la perte objective d’utilité du bien pour l’activité économique. La Cour précise ainsi que « la destruction d’un bien décidée à la suite du constat que celui-ci est devenu impropre à son utilisation dans le cadre des activités économiques habituelles de l’assujetti » relève de l’article 185, paragraphe 2. Cette solution, fondée sur la prise en compte de la « réalité économique et commerciale », vise à éviter qu’une perte économique inévitable (l’obsolescence d’un bien) ne soit aggravée par une charge fiscale. L’exemption est toutefois subordonnée à une double condition : la destruction doit être « dûment prouvée ou justifiée » et le bien doit avoir « objectivement perdu toute utilité ». L’appréciation de cette perte d’utilité relève du juge national. La Cour étend cette logique à l’« élimination » d’un bien, telle que sa mise en décharge, dès lors qu’elle « implique concrètement la disparition irréversible de ce bien ».

Cette interprétation pragmatique aligne le droit fiscal sur les contraintes de gestion des entreprises, tout en encadrant l’exception pour prévenir les abus.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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