Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mai 2023, n°C-200/21

Par cet arrêt du 4 mai 2023, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours de la protection effective que les États membres doivent assurer aux consommateurs face à l’application de clauses potentiellement abusives. En l’espèce, des consommateurs avaient conclu en 2007 un contrat de prêt avec un établissement bancaire. La créance issue de ce contrat a par la suite été cédée à une autre société. En 2015, cette dernière a engagé une procédure de recouvrement forcé sur la base du contrat de prêt, lequel constituait un titre exécutoire en droit national. Diverses mesures d’exécution, telles que des saisies sur comptes et sur salaires, ont été mises en œuvre.

Après une première opposition à l’exécution jugée tardive en 2019, les consommateurs ont formé une nouvelle opposition en 2020. Ils arguaient cette fois du caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt. Cette nouvelle opposition fut cependant rejetée en première instance comme étant tardive, car elle avait été formée au-delà du délai de quinze jours prévu par le droit procédural national à compter de la notification du premier acte d’exécution. Les consommateurs ont interjeté appel de ce jugement, faisant valoir le primat du droit de l’Union en matière de protection contre les clauses abusives. La juridiction d’appel, le Tribunalul București, a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle.

La juridiction de renvoi cherchait à savoir si la directive 93/13/CEE s’opposait à une réglementation nationale qui enferme dans un bref délai de forclusion de quinze jours la possibilité pour un consommateur d’invoquer le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une opposition à l’exécution forcée. La question se posait avec d’autant plus d’acuité qu’il existait en parallèle une autre voie de droit, une action au fond non soumise à un délai, permettant de faire constater le caractère abusif desdites clauses et de demander la suspension de l’exécution, mais dont les modalités pratiques pouvaient en limiter l’efficacité.

La Cour de justice de l’Union européenne répond que la directive 93/13 s’oppose à une telle disposition nationale lorsque la voie de recours alternative, bien qu’existante, est subordonnée à des conditions la rendant inopérante en pratique. Elle précise que tel est le cas si la suspension de l’exécution forcée est conditionnée au versement d’une garantie financière dont le montant est susceptible de dissuader le consommateur d’engager ou de poursuivre son action. La Cour affirme ainsi la nécessité d’un contrôle effectif du caractère abusif des clauses à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution forcée.

I. L’exigence d’une protection effective du consommateur face aux règles procédurales nationales

La décision commentée réaffirme avec force que l’effectivité des droits tirés de la directive 93/13 ne saurait être neutralisée par les modalités procédurales internes. La Cour examine ainsi la réalité du système de protection offert au consommateur, au-delà de sa simple existence théorique.

A. La critique d’une voie de recours alternative conditionnée et potentiellement dissuasive

La Cour analyse la portée du recours au fond dont disposait le consommateur en droit roumain. Si cette action permettait en théorie un contrôle des clauses abusives sans contrainte de délai, elle n’offrait pas pour autant une protection suffisante. En effet, pour obtenir la suspension de la procédure d’exécution en cours, le consommateur était tenu de constituer une caution. La Cour reprend ici un raisonnement pragmatique en soulignant que cette exigence financière peut constituer un obstacle majeur. Elle juge ainsi qu’une réglementation nationale ne respecte pas le principe d’effectivité si elle subordonne la suspension de l’exécution à des conditions qui « rendent impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union ». En l’espèce, l’exigence d’une garantie financière est jugée susceptible de décourager un consommateur, souvent déjà en situation de précarité financière, d’exercer ses droits. La Cour conclut que ce mécanisme n’est « pas de nature à assurer l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 si le niveau du montant exigé pour la constitution de cette garantie est susceptible de décourager ce consommateur d’introduire et de maintenir un tel recours ». Cette approche concrète garantit que la protection ne demeure pas une simple faculté théorique.

B. La primauté de la protection du consommateur sur un délai de forclusion bref

En conséquence de l’inefficacité de la voie de recours alternative, la Cour se penche sur la règle de forclusion de quinze jours applicable à l’opposition à l’exécution. Elle estime qu’un tel délai, par sa brièveté, est de nature à priver le consommateur de sa capacité à se défendre efficacement. La Cour rappelle que le système de protection de la directive « repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel ». Un délai aussi court ne permet pas à un consommateur non averti d’identifier la présence de clauses abusives et d’organiser sa défense. Permettre qu’une procédure d’exécution forcée soit menée à son terme sans qu’un contrôle effectif des clauses du contrat ait pu avoir lieu viderait de sa substance le droit de ne pas être lié par des clauses abusives, tel que consacré par l’article 6 de la directive. En jugeant que le droit de l’Union s’oppose à une telle règle procédurale dans ces circonstances, la Cour privilégie la protection matérielle du consommateur sur les exigences nationales de célérité et de sécurité des procédures d’exécution.

II. Les obligations renforcées du juge national en matière de contrôle des clauses abusives

Cet arrêt ne se limite pas à invalider la règle de forclusion ; il en tire des conséquences directes quant au rôle et aux devoirs du juge national, qui devient le garant ultime de l’effectivité de la directive.

A. Le devoir de contrôle d’office étendu au-delà des délais procéduraux

La Cour réaffirme l’obligation pour le juge national d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles dès lors qu’il dispose des éléments de fait et de droit nécessaires. La portée de l’arrêt réside dans l’extension de ce devoir en dépit d’une règle de forclusion nationale. Le juge de l’exécution ne peut se retrancher derrière l’expiration du délai de quinze jours pour refuser d’examiner les arguments du consommateur ou pour s’abstenir de soulever lui-même la question. La Cour est explicite en énonçant que le juge national a « l’obligation d’examiner d’office si les clauses de celui-ci présentent un caractère abusif, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions nationales qui s’opposent à un tel examen ». Le juge national se voit ainsi conférer le pouvoir et imposer le devoir de neutraliser toute règle de procédure interne qui ferait obstacle à l’application pleine et entière de la protection accordée par la directive. Il n’est plus simplement l’arbitre d’un litige encadré par des règles nationales, mais un agent actif de la mise en œuvre du droit de l’Union.

B. La consécration d’un pouvoir de suspension inhérent à la fonction du juge

La décision de la Cour implique que le juge de l’exécution doit disposer des moyens nécessaires pour garantir l’utilité de son contrôle. Si le juge peut et doit examiner le caractère abusif des clauses même après l’expiration du délai d’opposition, il doit logiquement pouvoir en tirer toutes les conséquences pour éviter un préjudice irréparable au consommateur. Cela inclut la possibilité de suspendre la procédure d’exécution forcée le temps de procéder à cet examen. L’arrêt souligne l’insuffisance d’une protection purement indemnitaire a posteriori, qui serait accordée après que l’exécution a été menée à son terme. Une telle protection serait « incomplète et insuffisante et ne constituerait un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation de cette même clause ». En conférant au juge de l’exécution le devoir de contrôler les clauses, la Cour lui reconnaît implicitement le pouvoir de prendre les mesures conservatoires nécessaires, comme la suspension de la procédure, pour assurer que sa décision finale ait un effet utile et protecteur pour le consommateur.

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Hassan KOHEN
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