Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mai 2023, n°C-97/21

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en sa première chambre vient préciser les contours du principe *ne bis in idem* dans le contexte des sanctions fiscales. Un commerçant avait fait l’objet d’un contrôle par l’administration fiscale, laquelle avait constaté l’omission d’enregistrer la vente d’un paquet de cigarettes et de délivrer le bon de caisse correspondant. En conséquence de cette infraction mineure, l’administration avait, d’une part, infligé une sanction pécuniaire et, d’autre part, ordonné la mise sous scellés du local commercial pour une durée de quatorze jours. Saisie d’un recours contre la mesure de mise sous scellés, la juridiction bulgare a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de ce cumul de sanctions, issues de procédures distinctes et contestables devant des tribunaux différents, avec le droit de l’Union. La question posée revenait essentiellement à déterminer si l’article 273 de la directive TVA et l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux s’opposent à une réglementation nationale organisant une telle dualité répressive, sans prévoir de mécanisme de coordination garantissant la proportionnalité de l’ensemble des sanctions par rapport à la gravité de l’infraction. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’un tel système est contraire au droit de l’Union dès lors qu’il « n’assure pas une coordination des procédures permettant de réduire au strict nécessaire la charge supplémentaire que comporte le cumul desdites mesures et ne permet pas de garantir que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité de l’infraction concernée ». La solution de la Cour repose sur une application rigoureuse des garanties attachées à la matière pénale (I), ce qui la conduit à imposer des exigences procédurales précises pour la mise en œuvre des sanctions par les États membres (II).

I. L’application des garanties de la matière pénale au cumul de sanctions fiscales

La Cour de justice étend le champ de protection du principe *ne bis in idem* en retenant une qualification pénale pour les mesures en cause (A), ce qui la conduit à condamner un cumul de sanctions qui ne respecte pas les exigences de nécessité et de proportionnalité (B).

A. La qualification pénale des mesures administratives répressives

Pour déterminer l’applicabilité de l’article 50 de la Charte, la Cour examine la nature des sanctions infligées au contribuable. Elle rappelle les trois critères pertinents que sont la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature même de l’infraction, et le degré de sévérité de la sanction. Bien que la réglementation nationale qualifie les mesures d’« administratives », la Cour estime que leur nature est bien pénale. Elle relève en effet que les sanctions poursuivent « toutes les deux des objectifs de dissuasion et de répression des infractions en matière de TVA ». La mesure de mise sous scellés, en empêchant le commerçant d’exercer son activité, et la sanction pécuniaire, d’un montant sans commune mesure avec la taxe éludée, témoignent d’une finalité punitive. Le haut degré de sévérité de chaque sanction, apprécié indépendamment, renforce cette analyse. La mise sous scellés d’un local commercial, même temporaire, constitue une ingérence particulièrement grave dans la liberté d’entreprise. La Cour estime donc que le cumul de ces deux mesures, toutes deux de nature pénale, constitue une limitation du droit fondamental garanti par l’article 50 de la Charte, qui interdit qu’une personne soit poursuivie ou punie pénalement deux fois pour les mêmes faits.

B. La sanction d’un cumul automatique et disproportionné

Une fois le principe *ne bis in idem* jugé applicable, la Cour examine si la limitation qu’il subit peut être justifiée au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Si l’objectif de lutte contre la fraude fiscale est un objectif d’intérêt général légitime, la réglementation nationale doit néanmoins respecter le contenu essentiel du droit et le principe de proportionnalité. Or, la Cour constate que le cumul des sanctions « semble présenter un caractère automatique », l’administration fiscale étant tenue d’appliquer systématiquement les deux mesures pour une seule et même infraction. Un tel automatisme, dépourvu de tout encadrement, ne saurait respecter le contenu essentiel du droit à ne pas être sanctionné deux fois. De surcroît, la Cour critique l’absence de règles assurant une coordination entre les deux procédures distinctes. Le système national ne permet ni de réduire la charge procédurale pour le justiciable, ni de garantir que « la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité de l’infraction concernée ». Le fait que les recours soient portés devant des juridictions différentes sans qu’un mécanisme de concertation soit prévu empêche toute appréciation globale de la proportionnalité de la réponse répressive, ce que la Cour juge inacceptable.

II. Le renforcement des exigences procédurales en matière de répression fiscale

La décision de la Cour ne se limite pas à un simple constat d’incompatibilité ; elle définit les contours d’un cadre procédural que les États membres doivent respecter (A), renforçant ainsi la protection effective des contribuables contre les sanctions excessives (B).

A. L’obligation de coordination des procédures de sanction

En subordonnant la validité d’un cumul de sanctions à l’existence de « règles claires et précises » assurant une coordination, la Cour impose aux États membres une véritable obligation d’organisation procédurale. La décision implique que les législations nationales doivent prévoir des mécanismes concrets pour que l’appréciation de la proportionnalité soit globale. Cela peut se traduire par la compétence d’une seule autorité pour infliger l’ensemble des sanctions, la centralisation du contentieux devant une seule juridiction, ou à tout le moins l’obligation pour une autorité de prendre en compte la sanction déjà prononcée par une autre. L’arrêt met en lumière l’insuffisance d’un système où « les juridictions doivent procéder, chacune, à une appréciation autonome de la proportionnalité des mesures qui leur sont déférées ». Cette exigence de coordination vise à garantir que la charge globale résultant du cumul des sanctions ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif de lutte contre la fraude. La portée de cette décision est donc considérable, car elle contraint les États membres à revoir l’architecture de leurs systèmes répressifs en matière fiscale pour s’assurer de leur cohérence et de leur conformité aux droits fondamentaux.

B. La protection du contribuable par un contrôle de proportionnalité global

La solution retenue par la Cour a pour conséquence directe d’accroître la protection des justiciables. En exigeant une appréciation de la proportionnalité de l’ensemble des sanctions cumulées, elle s’oppose à une approche purement arithmétique de la répression. Elle met l’accent sur le fait que l’effet combiné de la sanction pécuniaire et de la mise sous scellés, pour une infraction de très faible gravité, apparaissait manifestement excessif. La Cour protège ainsi le contribuable contre des mesures dont la sévérité cumulée serait démesurée par rapport à la faute commise. Cette approche garantit une individualisation de la sanction, contraire à l’application automatique de peines planchers ou de mesures coercitives indifférenciées. En définitive, en imposant une vision d’ensemble de la réponse répressive, la Cour de justice assure que le pouvoir de sanction des États membres en matière fiscale, bien que légitime dans son principe, demeure strictement encadré par les exigences supérieures de la justice et de la mesure, au cœur de l’État de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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