Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mars 2004, n°C-264/02

Par un arrêt en date du 4 mars 2004, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le tribunal d’instance de Vienne, s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 87/102/CEE relative au crédit à la consommation. En l’espèce, un établissement financier avait consenti à un consommateur une ouverture de crédit d’une durée d’un an, renouvelable et associée à une carte de crédit. Suite à des échéances impayées, le prêteur a assigné le consommateur en paiement des sommes dues. Le juge national, examinant l’affaire, a soulevé d’office la question de la régularité des renouvellements successifs du contrat au regard des obligations d’information prévues par le droit de la consommation. Estimant que la solution dépendait de l’interprétation du droit communautaire, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si la directive imposait au prêteur de communiquer par écrit à l’emprunteur, avant chaque renouvellement du contrat, le taux annuel effectif global (TAEG) en vigueur ainsi que ses conditions de variation. Elle a également questionné la faculté pour le juge national d’écarter une règle de forclusion pour soulever une telle irrégularité. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si l’obligation d’information relative au TAEG, prévue par la directive sur le crédit à la consommation, s’applique non seulement à la conclusion du contrat initial mais également à chacun de ses renouvellements annuels. La Cour a répondu par la négative, jugeant que la directive n’impose une telle formalité que lors de la conclusion du contrat et non lors de ses renouvellements successifs à des conditions inchangées.

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte des obligations d’information pesant sur le prêteur, limitant leur application à la seule phase de formation du contrat (I). Cette décision, en affirmant la primauté d’une interprétation autonome du droit communautaire, circonscrit de fait le périmètre de la protection du consommateur lors de l’exécution du contrat de crédit (II).

I. L’affirmation d’une obligation d’information circonscrite à la formation du contrat

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture littérale et téléologique de la directive, qui la conduit à écarter l’application de l’obligation d’information lors du renouvellement du contrat (A) et à rejeter la pertinence du régime spécial prévu pour les avances en compte courant (B).

A. L’exclusion du renouvellement contractuel du champ de l’information précontractuelle

La Cour examine en premier lieu l’article 4 de la directive, qui impose la mention écrite du TAEG dans le contrat de crédit. Elle constate que cette disposition, tout comme l’article 1er bis relatif au calcul de ce taux, se réfère explicitement au « moment de la conclusion du contrat ». Ce faisant, le texte lui-même délimite temporellement l’obligation d’information à la phase initiale de l’engagement des parties. La Cour renforce cette lecture littérale par une analyse des objectifs de la directive, qui sont d’assurer la transparence du marché et de permettre au consommateur « d’apprécier la portée de son engagement ». Elle en déduit que cette information est « surtout utile si elle est communiquée au consommateur lors de la phase décisive qui précède la conclusion du contrat ». À un stade ultérieur, comme celui d’un renouvellement à des conditions identiques, cette information a déjà été fournie et perd son caractère essentiel. Par conséquent, la Cour juge que l’article 4 ne saurait être interprété comme imposant une nouvelle communication du TAEG avant chaque reconduction.

B. L’inapplicabilité du régime d’information propre aux avances en compte courant

La Cour examine ensuite si l’article 6 de la directive, qui prévoit un régime d’information spécifique, pourrait fonder une obligation pour le prêteur. Elle relève que cette disposition s’applique, selon ses propres termes, « [n]onobstant l’exclusion prévue à l’article 2 paragraphe 1 point e) », aux crédits consentis « sous la forme d’une avance sur compte courant, sauf dans le cas des comptes liés à des cartes de crédit ». La Cour en déduit que l’article 6 constitue une règle spéciale, dérogatoire au régime général de la directive. Son champ d’application est donc strictement limité à une catégorie de contrats dont l’espèce au principal est précisément exclue, puisqu’il s’agit d’une ouverture de crédit assortie d’une carte. Le contrat litigieux ne relevant pas de cette catégorie, le régime d’information continue en cours de contrat prévu à l’article 6, paragraphe 2, ne peut s’appliquer. Cette analyse confirme que la directive opère une distinction claire entre différents types de crédit et les obligations d’information qui leur sont attachées, empêchant toute application cumulative ou extensive des régimes.

Ayant ainsi précisé la portée de l’obligation d’information, la Cour livre une décision dont la portée dépasse le seul cadre du droit de la consommation pour toucher à la méthode même d’interprétation du droit communautaire.

II. La prévalence de l’interprétation uniforme du droit communautaire

La solution de la Cour emporte des conséquences significatives, en ce qu’elle consacre l’autonomie de l’interprétation du droit de l’Union face aux qualifications juridiques nationales (A), conduisant à une vision pragmatique mais potentiellement restrictive de la protection du consommateur (B).

A. Le rejet de l’influence des qualifications juridiques nationales

Un argument essentiel soulevé devant la Cour tenait au fait que, selon le droit français, le renouvellement d’un contrat de crédit s’analyse non comme une simple prorogation, mais comme la conclusion d’un nouveau contrat. Cette qualification aurait dû, en toute logique, entraîner l’application des règles relatives à la formation du contrat, et donc l’obligation d’informer à nouveau le consommateur sur le TAEG. La Cour écarte fermement cette approche en affirmant que « l’objectif d’harmonisation de la directive serait réduit à néant si les règles qu’elle prévoit devaient être interprétées en tenant compte des spécificités du droit national de tel ou tel État membre ». Cette prise de position est fondamentale car elle réaffirme le principe de l’interprétation autonome et uniforme du droit de l’Union. La notion de « conclusion du contrat » doit recevoir une définition communautaire, indépendante des concepts civilistes propres à chaque État membre, afin de garantir une application homogène de la protection sur l’ensemble du marché intérieur.

B. Une conception pragmatique de la protection du consommateur

En jugeant que les questions relatives aux pouvoirs du juge national et à la forclusion sont sans objet, la Cour se limite à l’interprétation stricte du droit communautaire. Si cette approche est juridiquement rigoureuse, elle a pour effet de limiter la protection offerte au consommateur dans le cadre d’un crédit renouvelable. En pratique, un consommateur engagé dans un tel contrat, dont le taux est variable, ne bénéficie pas d’un rappel périodique formalisé du coût actuel de son crédit au moment où il décide tacitement de le poursuivre. La Cour estime implicitement que la protection initiale suffit et que le consommateur, une fois informé, est suffisamment armé pour suivre l’évolution de son engagement. Cette vision pragmatique, axée sur l’efficacité du marché et la charge pesant sur les prêteurs, peut être perçue comme une limitation de la portée protectrice que les juridictions nationales pourraient être tentées de donner au droit de la consommation, en cantonnant le formalisme informatif au seul moment de la décision initiale de contracter.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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