Par un arrêt en date du 4 mars 2004, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec les libertés fondamentales du marché intérieur. La décision examine une disposition fiscale qui réserve un traitement potentiellement avantageux aux revenus de capitaux mobiliers provenant de débiteurs établis sur le territoire national.
En l’espèce, une réglementation fiscale d’un État membre offrait aux contribuables personnes physiques la possibilité d’opter pour un prélèvement forfaitaire libératoire sur les revenus de certains placements financiers, tels que les contrats d’assurance-vie ou de capitalisation. Cette option fiscale, souvent plus favorable que l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu, était cependant conditionnée à la domiciliation ou à l’établissement du débiteur de ces revenus en France. En conséquence, les revenus issus de produits financiers souscrits auprès d’entités établies dans d’autres États membres en étaient exclus.
L’organe exécutif de l’Union, considérant cette différence de traitement comme une entrave à la libre prestation de services et à la libre circulation des capitaux, a engagé une procédure en manquement à l’encontre de l’État membre concerné. Après une mise en demeure et un avis motivé n’ayant pas conduit à une modification de la législation en cause, la Cour de justice a été saisie. La question de droit posée était de déterminer si le fait de subordonner un avantage fiscal à la localisation géographique du prestataire de services financiers constituait une restriction injustifiée aux libertés garanties par le traité.
La Cour répond par l’affirmative, jugeant que l’État membre a manqué à ses obligations. Elle consacre l’existence d’une entrave caractérisée aux libertés fondamentales (I), avant de procéder à un rejet méthodique des justifications avancées par l’État défendeur pour maintenir cette mesure (II).
I. La caractérisation d’une restriction aux libertés fondamentales
La Cour établit sans équivoque que le dispositif fiscal national constitue une restriction à la fois à la libre prestation de services et à la libre circulation des capitaux. Elle fonde son analyse sur le caractère dissuasif du régime pour les opérations transfrontalières (A) et rejette les arguments visant à minimiser la portée de cet effet restrictif (B).
A. Un régime fiscal dissuasif pour les opérations transfrontalières
La juridiction de l’Union constate que la législation en cause a pour conséquence directe de rendre moins attractifs les produits financiers proposés par des prestataires établis hors du territoire national. En privant les résidents de la possibilité de bénéficier du prélèvement libératoire pour les revenus issus de contrats souscrits auprès de ces prestataires, la mesure les dissuade de se tourner vers eux. La Cour rappelle à cet égard que l’article 49 du traité « s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre ».
Parallèlement, la Cour identifie une restriction à la libre circulation des capitaux, protégée par l’article 56 du traité. Le traitement fiscal moins favorable appliqué aux revenus de placements effectués à l’étranger constitue un obstacle à l’exportation de capitaux par les résidents. De manière symétrique, il entrave la capacité des sociétés établies dans d’autres États membres à collecter des capitaux sur ce marché, leurs produits étant désavantagés par rapport à ceux offerts par les sociétés locales. L’attractivité des investissements est directement affectée par le régime fiscal qui leur est réservé.
B. L’indifférence du caractère variable de l’avantage fiscal
Face à cette constatation, l’État membre arguait que l’avantage fiscal devait être relativisé, car le taux du prélèvement libératoire n’était pas systématiquement inférieur au taux d’imposition résultant du barème progressif. La Cour écarte cet argument avec fermeté, soulignant que l’existence même d’une situation où l’avantage est réel suffit à caractériser la restriction. Elle précise qu’« un tel avantage n’est pas affecté par le fait que, dans d’autres situations, l’avantage pour le contribuable est relativement mineur ou compensé ».
De surcroît, le caractère optionnel du prélèvement libératoire renforce la pertinence de l’analyse. Un contribuable n’exercera cette option que si elle lui est favorable. La suppression de cette possibilité pour les seuls produits étrangers prive donc nécessairement le contribuable d’un avantage potentiel, ce qui est suffisant pour constituer une mesure dissuasive. Le fait que l’impôt soit perçu plus tardivement dans le régime de droit commun ne constitue pas un avantage structurel suffisant pour compenser la perte du bénéfice d’un taux potentiellement plus bas.
II. Le rejet des justifications fondées sur l’efficacité du contrôle fiscal
Une fois la restriction établie, la Cour examine si celle-ci peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, comme le soutenait l’État défendeur. Elle rejette cette argumentation en s’appuyant sur le principe de proportionnalité (A) et sur l’existence de mécanismes de coopération administrative déjà établis (B).
A. L’exigence de proportionnalité face à une exclusion absolue
L’État membre invoquait principalement la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux, affirmant qu’il était plus simple de vérifier et de prélever l’impôt auprès de débiteurs nationaux. Tout en reconnaissant que la lutte contre l’évasion fiscale et l’efficacité des contrôles constituent des objectifs légitimes, la Cour juge la mesure en cause disproportionnée. L’exclusion absolue de tous les produits étrangers du bénéfice du prélèvement libératoire va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé.
La Cour qualifie les difficultés de contrôle des débiteurs étrangers de « simples inconvénients administratifs », qui ne sauraient justifier une entrave aussi manifeste aux libertés fondamentales. Elle souligne qu’une présomption générale de fraude ou de difficulté de contrôle ne peut légitimer une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité. D’autres solutions moins contraignantes, comme une déclaration annuelle par le contribuable lui-même, permettraient de concilier les impératifs de contrôle et le respect du droit de l’Union.
B. L’effectivité des mécanismes d’assistance mutuelle entre États membres
Pour parfaire sa démonstration, la Cour rappelle l’existence d’instruments de coopération entre les administrations fiscales des États membres. Elle vise explicitement la directive 77/799/CEE concernant l’assistance mutuelle, qui permet à un État membre de solliciter des informations auprès d’un autre pour assurer l’établissement correct de l’impôt. Le recours à ce mécanisme constitue une voie moins attentatoire aux libertés que l’exclusion systématique d’un avantage fiscal.
L’argument selon lequel cette directive serait inopérante dans les États pratiquant le secret bancaire est également balayé, la Cour se référant à sa jurisprudence antérieure. Elle affirme que « l’impossibilité de demander une telle collaboration ne saurait justifier la non-application d’un avantage fiscal aux revenus obtenus dans ces États ». En conséquence, l’État membre ne peut se prévaloir de difficultés, réelles ou supposées, dans la mise en œuvre de la coopération administrative pour justifier une mesure aussi radicale. Le gouvernement n’est donc pas parvenu à établir une justification valable pour la restriction constatée.