Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mars 2010, n°C-221/08

Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’une réglementation nationale instaurant des prix de vente minimaux pour les tabacs manufacturés avec le droit de l’Union. La Cour examine également les conséquences d’un défaut de transmission d’informations par un État membre à la Commission européenne dans le cadre de la mission de surveillance de cette dernière.

En l’espèce, un État membre avait mis en place une législation qui imposait un prix de vente au détail minimal pour les cigarettes. La Commission européenne, considérant cette mesure contraire à la directive harmonisant les impôts sur les tabacs manufacturés, a initié une procédure en manquement. L’institution reprochait par ailleurs à cet État un défaut de coopération, au motif qu’il n’avait pas fourni les renseignements requis pour l’exercice de son contrôle. Saisie du litige, la Cour de justice devait donc déterminer si une telle législation nationale portait atteinte au principe de libre détermination des prix par les opérateurs économiques, tel que garanti par le droit de l’Union. La question se posait également de savoir si le refus de communiquer des informations constituait une violation autonome du devoir de coopération loyale.

La Cour répond positivement à ces deux interrogations. Elle constate que l’État membre, en maintenant un tel dispositif, a effectivement violé ses obligations découlant de la directive. Elle juge en outre que le manque de coopération constitue un manquement distinct, engageant également la responsabilité de l’État concerné.

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I. La primauté de la libre détermination des prix des tabacs manufacturés

La décision réaffirme avec force le principe selon lequel la fixation des prix de vente des produits du tabac relève de la liberté des opérateurs économiques, excluant en principe toute intervention étatique contraignante qui viendrait fausser ce mécanisme.

A. L’incompatibilité d’un régime de prix minimaux avec la directive

L’apport principal de la décision réside dans la condamnation sans équivoque du système de prix imposés. La Cour juge en effet qu’« en imposant des prix minimaux de vente au détail des cigarettes, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 95/59/ce ». Cette disposition, au cœur du raisonnement, établit la liberté pour les fabricants et importateurs de déterminer les prix de vente au détail maximaux de leurs produits. En instaurant un prix plancher, la législation nationale se substitue à la volonté des opérateurs et entrave directement l’exercice de cette liberté.

Le mécanisme de la directive repose sur une structure fiscale qui combine un droit d’accise spécifique et un droit d’accise proportionnel au prix de vente. La libre détermination de ce prix par les acteurs du marché est donc une composante essentielle au fonctionnement du système fiscal harmonisé. Un prix minimal imposé par l’État neutralise la concurrence par les prix entre les différents fabricants, notamment sur les produits d’entrée de gamme, et affecte ainsi la base de l’impôt proportionnel de manière artificielle.

B. La finalité concurrentielle du système fiscal harmonisé

Au-delà de l’aspect fiscal, le principe de liberté des prix poursuit un objectif de saine et loyale concurrence sur le marché intérieur. L’harmonisation des structures d’imposition des tabacs manufacturés vise à garantir des conditions de concurrence neutres entre les produits nationaux et ceux importés d’autres États membres. Un système de prix minimaux, même s’il est appliqué sans distinction d’origine, a pour effet de rigidifier le marché et de protéger les opérateurs établis en limitant l’attractivité des offres à bas prix.

La Cour confirme ainsi que la protection de la santé publique, souvent invoquée pour justifier de telles mesures, ne saurait prévaloir sur une disposition claire du droit dérivé qui organise spécifiquement la liberté des prix dans un secteur harmonisé. Si les États membres conservent la faculté de mener des politiques de santé ambitieuses, notamment par le biais de la fiscalité, ils ne peuvent le faire en utilisant des instruments qui contredisent les règles établies par le législateur de l’Union pour assurer le bon fonctionnement du marché unique.

II. La sanction d’une coopération institutionnelle défaillante

La décision ne se limite pas à la violation matérielle du droit de l’Union ; elle met également en lumière l’importance du devoir de coopération qui incombe aux États membres dans leurs relations avec les institutions, et dont la violation constitue un manquement en soi.

A. Le manquement autonome au devoir de coopération loyale

La Cour constate un second manquement, distinct du premier, tenant au comportement de l’État mis en cause durant la phase précontentieuse. Elle affirme qu’« en ne fournissant pas les informations nécessaires à l’accomplissement, par la Commission européenne, de sa mission de contrôle […], l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10 ce ». Ce faisant, elle rappelle que le devoir de coopération loyale, anciennement prévu par cet article et aujourd’hui consacré à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne, est une pierre angulaire de l’ordre juridique de l’Union.

La Commission, en sa qualité de gardienne des traités, doit pouvoir disposer des éléments nécessaires pour vérifier la correcte application du droit de l’Union par les États membres. Le refus ou l’omission de fournir de telles informations paralyse son action et constitue une entrave directe à l’exercice de ses prérogatives. La sanction de ce comportement en tant que manquement autonome souligne son importance systémique, indépendamment du bien-fondé des reproches sur le fond.

B. La portée d’un arrêt en manquement

L’arrêt rendu par la Cour de justice a un caractère déclaratoire. Il constate l’existence d’une violation du droit de l’Union mais n’annule pas la législation nationale litigieuse. Il incombe désormais à l’État membre condamné de prendre, en vertu de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt et mettre fin aux manquements constatés. Cela implique l’abrogation ou la modification de la réglementation instaurant des prix minimaux.

Cette décision renforce la position de la Commission dans son dialogue avec les États membres et sert de jurisprudence préventive à l’égard d’autres réglementations nationales qui pourraient présenter des caractéristiques similaires. En sanctionnant à la fois la non-conformité matérielle et le défaut de coopération, la Cour adresse un signal clair sur l’intransigeance de l’ordre juridique de l’Union face aux atteintes portées tant aux règles du marché intérieur qu’aux principes fondamentaux régissant les relations institutionnelles.

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Hassan KOHEN
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