Par un arrêt du 8 juillet 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des droits des fonctionnaires européens face à une réforme substantielle de leur statut. Cette décision aborde la question des modifications de carrière consécutives à l’entrée en vigueur du règlement (CE, Euratom) n° 723/2004, modifiant le statut des fonctionnaires.
En l’espèce, plusieurs fonctionnaires du Parlement européen avaient, sous l’empire de l’ancien statut, réussi des concours internes leur permettant de passer à une catégorie supérieure. Ce succès leur avait conféré un grade plus élevé que celui de leurs collègues n’ayant pas obtenu une telle promotion. Avec l’entrée en vigueur du nouveau statut le 1er mai 2004, une nouvelle structure de carrières et de grades a été instaurée, accompagnée de règles de transition. Les fonctionnaires concernés ont alors reçu des décisions de reclassement qui, selon eux, annulaient l’avantage hiérarchique acquis par leur réussite aux concours.
Soutenant que ce reclassement portait atteinte à leurs droits, ils ont introduit un recours en annulation et en indemnité devant le Tribunal de première instance. Le Tribunal a rejeté leur recours, considérant que la réforme n’enfreignait ni leurs droits acquis, ni le principe de confiance légitime, ni celui de l’égalité de traitement. Les fonctionnaires ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne, contestant l’analyse du Tribunal.
Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si une modification réglementaire du statut de la fonction publique, qui altère la hiérarchie relative entre les fonctionnaires, peut porter atteinte aux droits acquis, à la confiance légitime et au principe d’égalité de traitement pour les agents ayant bénéficié d’une progression de carrière sous l’ancien régime.
La Cour de justice rejette le pourvoi. Elle juge que si les fonctionnaires ont bien un droit acquis au grade obtenu sous l’empire de l’ancien statut, ce droit ne s’étend pas au maintien d’un avantage hiérarchique relatif par rapport à d’autres fonctionnaires. Le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour réformer le statut. La Cour estime que les mesures transitoires prévues par le nouveau statut, en différenciant les perspectives de carrière, respectent les exigences découlant des principes généraux du droit de l’Union.
La solution retenue par la Cour de justice consacre la primauté du pouvoir d’organisation du législateur de l’Union sur les situations de carrière individuelles (I), tout en procédant à une interprétation stricte des garanties juridiques invoquées par les fonctionnaires (II).
***
**I. La consécration du large pouvoir d’appréciation du législateur dans la réforme de la fonction publique**
La Cour réaffirme que la relation d’emploi dans la fonction publique de l’Union est de nature statutaire, ce qui autorise des modifications unilatérales par le législateur (A), et que ces nouvelles règles s’appliquent immédiatement aux effets futurs des situations en cours (B).
**A. La nature statutaire de la relation d’emploi comme fondement de la mutabilité des règles**
La Cour rappelle un principe fondamental du droit de la fonction publique de l’Union. Elle énonce que « le lien juridique entre les fonctionnaires et l’administration est de nature statutaire et non contractuelle ». Cette nature statutaire signifie que les droits et obligations des agents ne sont pas figés dans un accord de volontés, mais sont définis par un ensemble de règles réglementaires impersonnelles et générales. Par conséquent, le législateur de l’Union conserve la faculté de modifier ces règles à tout moment pour les adapter aux besoins changeants de l’administration, sous réserve du respect des principes supérieurs du droit.
Cette approche s’oppose à une vision contractualiste où les termes de l’emploi seraient intangibles sans le consentement des deux parties. En l’espèce, la réforme de 2004, qui a refondu l’intégralité du système des carrières, s’inscrit pleinement dans cette prérogative du législateur. La Cour valide ainsi une modification d’envergure, même si elle bouleverse des équilibres et des hiérarchies établis de longue date. L’argument des requérants, qui tendait à cristalliser leur position relative, ne pouvait donc prospérer face à ce pouvoir de réorganisation.
**B. L’application immédiate du nouveau statut aux situations futures**
La Cour applique une règle classique de droit transitoire en affirmant que « les lois modificatives d’une disposition législative […] s’appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne ». Le nouveau statut, entré en vigueur le 1er mai 2004, a donc vocation à régir le déroulement futur de la carrière de tous les fonctionnaires, y compris ceux recrutés avant cette date. Les perspectives de carrière, les promotions futures et l’évolution des grades sont désormais soumises aux nouvelles dispositions.
La réussite à un concours de passage de catégorie sous l’ancien statut a créé une situation juridique instantanée, à savoir l’accession à un grade supérieur à ce moment précis. Cependant, les effets futurs de ce nouveau positionnement, notamment la progression de carrière ultérieure et le maintien d’un différentiel avec d’autres agents, relèvent de l’application des règles en vigueur au fur et à mesure de leur déroulement. En décidant que le législateur n’était pas tenu de préserver indéfiniment l’ancienne structure hiérarchique, la Cour confirme que la réforme a pu légalement redéfinir les perspectives d’avenir de l’ensemble du personnel.
Cette affirmation du pouvoir du législateur conduit la Cour à rejeter l’idée d’une protection étendue des situations individuelles des fonctionnaires.
**II. Le rejet d’une protection extensive des situations individuelles des fonctionnaires**
Face aux arguments des requérants, la Cour opte pour une lecture restrictive de la notion de droit acquis, qu’elle distingue de la simple attente d’une progression de carrière (A). Elle applique avec la même rigueur les principes de confiance légitime et d’égalité de traitement, considérant que les différenciations opérées par le nouveau statut sont objectivement justifiées (B).
**A. La portée limitée de la notion de droit acquis en matière de carrière**
La Cour de justice se livre à une analyse minutieuse de la notion de droit acquis. Elle juge qu’« un droit est considéré comme acquis lorsque le fait générateur de celui-ci s’est produit avant la modification législative ». En l’espèce, le fait générateur est la réussite au concours interne, qui a conféré aux requérants le droit au grade qu’ils ont obtenu et au traitement correspondant. Ce droit-là est intangible et n’est pas remis en cause. Toutefois, la Cour juge que le maintien d’une position hiérarchique supérieure par rapport à d’autres collègues ne constitue pas un droit acquis.
Selon la Cour, un tel avantage comparatif est une conséquence de l’application de l’ancien statut à un instant T, mais il ne saurait être projeté dans le futur comme un droit immuable. Elle précise que le droit des requérants « implique uniquement qu’il leur soit appliqué le même traitement statutaire […] que celui visant tous les fonctionnaires du nouveau grade auquel ils ont ainsi accédé ». Ainsi, le seul droit dont ils peuvent se prévaloir est d’être traités comme les autres fonctionnaires de leur grade d’accueil dans le nouveau système, et non de conserver une primauté héritée de l’ancien. Le législateur, en prévoyant des perspectives de carrière différenciées à l’article 10 de l’annexe XIII, a suffisamment pris en compte les mérites passés.
**B. Une application rigoureuse des principes de confiance légitime et d’égalité de traitement**
La Cour écarte également le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime. Elle considère que les fonctionnaires ne sauraient se prévaloir de ce principe « pour s’opposer à l’application d’une disposition réglementaire nouvelle, surtout dans un domaine dans lequel le législateur dispose, comme en l’espèce, d’un large pouvoir d’appréciation ». L’ampleur de la réforme et l’intérêt général qui la sous-tend justifient que les attentes individuelles, même légitimes, cèdent le pas.
Quant au principe d’égalité de traitement, la Cour juge qu’il n’est pas violé. Comparer les requérants aux fonctionnaires n’ayant pas réussi de concours de passage n’est pas pertinent, car le nouveau statut prévoit pour eux des perspectives de carrière différentes, même si elles ne reproduisent pas l’écart antérieur. La comparaison d’un requérant avec un lauréat du même concours recruté sous l’empire du nouveau statut est également rejetée. La Cour estime que « deux fonctionnaires qui sont reclassés à un grade supérieur sous l’empire de règles statutaires différentes se trouvent, de ce fait même, dans des situations différentes ». Le traitement différencié qui en résulte est donc objectivement justifié par la différence de contexte normatif de leur classement.