Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mars 2020, n°C-155/18

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne est venu préciser les conditions d’application de la protection des marques renommées et l’appréciation de la similitude entre des services de vente au détail et des produits. En l’espèce, le titulaire de plusieurs marques antérieures, verbales et figuratives, enregistrées notamment pour des services de galerie commerciale relevant des classes 35 et 36, avait formé opposition à l’enregistrement de nouvelles marques, verbales et figuratives, par une autre société pour des produits relevant des classes 3, 14 et 18, tels que des savons, des articles de bijouterie et des articles en cuir. L’opposition était fondée sur le risque de confusion, l’action en usurpation d’appellation et, surtout, l’atteinte à la renommée des marques antérieures. La division d’opposition de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) avait accueilli l’opposition en se fondant sur la renommée de l’une des marques antérieures. Toutefois, la chambre de recours de l’EUIPO a annulé cette décision, estimant notamment que la renommée n’était pas prouvée pour les services de vente au détail et qu’il n’existait aucun risque de confusion, les produits et services étant différents. Saisi d’un recours, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé la décision de la chambre de recours, jugeant que le titulaire des marques antérieures n’avait pas démontré l’existence d’une atteinte à la renommée et qu’en l’absence de précision sur les produits vendus dans la galerie commerciale, aucune similitude ne pouvait être établie avec les produits visés par les marques demandées. Un pourvoi a alors été formé devant la Cour de justice. Il appartenait ainsi à la Cour de justice de déterminer si le Tribunal avait correctement appliqué les critères d’appréciation de l’atteinte à la renommée d’une marque et s’il avait, à juste titre, exclu toute similitude entre les services de galerie commerciale et les produits contestés en se fondant sur une interprétation stricte de la jurisprudence antérieure. La Cour de justice a répondu par la négative à ces deux questions, annulant l’arrêt du Tribunal et, statuant elle-même sur le fond, a annulé les décisions de la chambre de recours.

La décision de la Cour de justice vient ainsi censurer l’appréciation restrictive des conditions de protection d’une marque de renommée (I), avant de clarifier la méthode d’évaluation de la similitude entre des services de vente au détail et des produits (II).

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**I. La censure d’une appréciation restrictive de l’atteinte à la renommée**

La Cour rappelle d’abord les conditions strictes qui encadrent la protection élargie accordée aux marques jouissant d’une renommée (A), pour ensuite sanctionner l’analyse erronée du Tribunal qui n’a pas examiné l’ensemble des atteintes potentielles prévues par le texte (B).

**A. Le rappel des trois conditions cumulatives de la protection**

L’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 subordonne la protection d’une marque renommée à la réunion de trois conditions cumulatives. La Cour de justice prend soin de les rappeler. Il faut, premièrement, que la marque antérieure jouisse d’une renommée ; deuxièmement, que le public concerné établisse un lien entre les marques en conflit ; et, troisièmement, qu’il existe un risque que l’usage de la marque postérieure « tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porte préjudice ». Si l’une de ces conditions fait défaut, la protection spéciale ne peut être accordée.

Dans cette affaire, le Tribunal avait bien reconnu la renommée des marques antérieures pour les services visés. Cependant, la Cour de justice relève que le Tribunal a omis de se prononcer sur l’existence d’un lien entre les signes en conflit, passant directement à l’analyse de la troisième condition relative au risque d’atteinte. La Cour précise que cette démarche n’est pas en soi erronée. En effet, un juge peut, pour des raisons d’économie de procédure, examiner les conditions dans l’ordre de son choix et rejeter une demande si l’une d’elles n’est pas remplie, sans avoir à statuer sur les autres. Le problème ne résidait donc pas dans l’ordre d’analyse, mais dans la manière dont le Tribunal a examiné la condition relative au risque d’atteinte.

**B. La sanction d’une analyse juridiquement erronée du risque d’atteinte**

La Cour de justice critique sévèrement le raisonnement du Tribunal quant à l’appréciation du risque d’atteinte. Elle rappelle que le règlement vise trois types de préjudices distincts : le préjudice porté au caractère distinctif (ou dilution), le préjudice porté à la renommée (ou ternissement) et le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée (ou parasitisme). Or, le Tribunal ne s’est pas attaché à vérifier si les preuves fournies par le titulaire de la marque antérieure démontraient un risque sérieux de l’un de ces trois préjudices.

En effet, le Tribunal s’est contenté de constater que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments prouvant que l’usage de la marque contestée « diminuerait l’attrait de ses marques antérieures ». La Cour juge cette formule ambiguë et insuffisante, car la notion d’« attrait » ne correspond à aucun des trois types d’atteintes juridiquement définies. De plus, le Tribunal a affirmé que l’usage du même terme par un autre acteur économique pour des produits similaires à ceux vendus dans la galerie commerciale n’était pas de nature, à lui seul, à affecter « l’attractivité commerciale de ce lieu ». Là encore, la Cour souligne l’erreur de droit en précisant que la protection de l’article 8, paragraphe 5, ne vise pas l’« attractivité commerciale » d’un lieu, mais bien le caractère distinctif et la renommée de la marque elle-même. En ne procédant pas à une appréciation des éléments de preuve à l’aune des critères légaux, le Tribunal a commis une erreur de droit qui justifie l’annulation de son arrêt sur ce point.

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Après avoir redressé l’analyse relative à la protection de la renommée, la Cour de justice s’est attachée à corriger l’interprétation du Tribunal concernant la comparaison entre les produits et les services, redonnant ainsi toute sa portée à la protection des marques désignant des services de vente au détail.

**II. La clarification de l’évaluation de la similitude entre services de vente au détail et produits**

La Cour commence par définir de manière large la notion de « services de vente au détail » (A), pour ensuite limiter la portée de la jurisprudence antérieure qui imposait une spécification des produits concernés, ce qui avait conduit le Tribunal à une conclusion erronée (B).

**A. Une conception extensive des services de vente au détail**

Le Tribunal avait estimé qu’en l’absence de précision sur la nature des produits vendus dans les magasins de la galerie commerciale, il était impossible d’établir une similitude ou une complémentarité entre les services visés par les marques antérieures et les produits visés par les marques demandées. Ce raisonnement se fondait sur l’idée que les services d’une galerie commerciale se limitent essentiellement à la location et à la gestion immobilière, et non à la vente au détail elle-même. La Cour de justice rejette fermement cette vision.

Elle rappelle que l’objectif du commerce de détail est la vente de produits aux consommateurs, ce qui inclut « la sélection d’un assortiment des produits proposés à la vente et en l’offre de diverses prestations qui visent à amener le consommateur à conclure ledit acte ». Par conséquent, les services fournis par une galerie commerciale, qui consistent à regrouper des produits divers et à offrir des prestations pour attirer le consommateur, relèvent bien de la notion de « services de vente au détail » au sens de la classe 35. Le Tribunal a donc eu raison de considérer que les services de galerie commerciale sont inclus dans cette notion, mais il en a tiré des conséquences erronées en ce qui concerne la comparaison des produits et services.

**B. Une application tempérée de la jurisprudence « Praktiker »**

La principale erreur du Tribunal, selon la Cour de justice, réside dans son application mécanique de l’arrêt *Praktiker* du 7 juillet 2005. Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que le demandeur d’une marque pour des services de vente au détail devait préciser les produits ou types de produits concernés par ces services. Le Tribunal en a déduit que l’absence d’une telle précision dans l’enregistrement des marques antérieures empêchait toute comparaison. La Cour de justice invalide ce raisonnement pour deux motifs.

Premièrement, elle souligne que la jurisprudence issue de l’arrêt *Praktiker* ne s’applique qu’aux nouvelles demandes d’enregistrement et n’affecte pas la protection des marques enregistrées avant la date de son prononcé. En l’espèce, les trois marques britanniques antérieures ayant été enregistrées en 2003, elles n’étaient pas soumises à cette exigence. Deuxièmement, et de manière plus fondamentale, la Cour affirme que même pour une marque enregistrée après 2005 et ne précisant pas les produits, son titulaire ne perd pas le droit de s’opposer à l’enregistrement d’une marque similaire. Une telle approche reviendrait à priver la marque de tout caractère distinctif sans qu’une action en nullité ait été engagée. La détermination des produits précis couverts par les services peut notamment s’opérer par le biais d’une demande de preuve de l’usage sérieux de la marque. En concluant que l’absence de précision empêchait d’emblée toute association, le Tribunal a commis une erreur de droit.

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Hassan KOHEN
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