Par un arrêt dont la portée est double, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’articulation entre les règles de l’Union relatives à la libéralisation du marché des télécommunications et les principes fondamentaux de procédure des ordres juridiques nationaux. En l’espèce, une réglementation nationale avait maintenu, pour l’année 1998, une redevance imposée à une entreprise de télécommunications, calculée sur la base de son chiffre d’affaires. Cette obligation financière, héritée d’un régime antérieur à la libéralisation du secteur, a fait l’objet d’un contentieux devant les juridictions nationales. Une décision de justice nationale, ayant acquis l’autorité de la chose jugée, a vraisemblablement validé le paiement de cette redevance. Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur deux points de droit distincts. D’une part, il lui était demandé si la directive 97/13/CE, qui établit un cadre commun pour les autorisations dans le secteur des services de télécommunications, s’opposait à une telle redevance proportionnelle au chiffre d’affaires. D’autre part, la question se posait de savoir si le droit de l’Union imposait à une juridiction nationale de revenir sur une décision devenue définitive mais qui se révèlerait contraire à ce même droit de l’Union. La Cour répond à la première question par l’affirmative, jugeant la redevance incompatible avec les objectifs de la directive. Elle répond cependant par la négative à la seconde, tout en précisant qu’une voie de droit alternative demeure ouverte.
Il conviendra d’analyser dans un premier temps la primauté du droit de l’Union sur la fiscalité sectorielle nationale (I), avant d’étudier, dans un second temps, l’articulation de ce principe avec l’autorité de la chose jugée (II).
I. La censure d’une redevance sectorielle contraire au droit de l’Union
La Cour de justice réaffirme avec force l’objectif des directives de libéralisation, ce qui la conduit à invalider une charge financière nationale qui y contrevient. Il convient ainsi de préciser le sens de cette opposition (A) avant d’en apprécier la portée pour l’harmonisation du marché intérieur (B).
A. La finalité de la directive comme obstacle à la survivance d’une fiscalité de rendement
La décision commentée s’attache à l’esprit de la directive 97/13/CE, qui visait à remplacer les régimes d’autorisation discrétionnaires et hétérogènes par un cadre commun, transparent et non discriminatoire. En interprétant l’article 22, paragraphe 3, de ce texte, la Cour juge qu’il « s’oppose à une réglementation nationale prorogeant (…) l’obligation (…) de payer une redevance calculée en fonction du chiffre d’affaires ». Le raisonnement sous-jacent est que de telles redevances ne constituent pas une simple contrepartie pour les coûts de gestion des autorisations, mais une véritable imposition sectorielle. Or, la directive entend limiter les charges pécuniaires aux seuls « frais administratifs de délivrance, de gestion, de contrôle et de mise en œuvre du régime d’autorisations ». Une redevance assise sur le chiffre d’affaires, par sa nature même, excède cet objectif et se transforme en un prélèvement fiscal qui peut fausser la concurrence et entraver l’accès au marché, allant ainsi à l’encontre du but de libéralisation poursuivi par le législateur de l’Union.
B. Le rappel de l’application stricte du cadre harmonisé des télécommunications
En adoptant cette position, la Cour de justice ne se contente pas de régler un litige particulier ; elle adresse un message clair aux États membres sur la portée de l’harmonisation. La valeur de cet arrêt réside dans sa réaffirmation que, dans un secteur harmonisé, la compétence fiscale nationale se trouve encadrée et limitée par les objectifs du droit de l’Union. Permettre la survie de taxes de rendement déguisées en redevances administratives reviendrait à vider de sa substance l’harmonisation des conditions d’accès au marché. La portée de la décision dépasse donc le seul secteur des télécommunications de la fin des années 1990. Elle constitue une illustration du principe selon lequel les États membres, bien que conservant leur autonomie fiscale, ne peuvent l’exercer d’une manière qui compromettrait l’effet utile des actes d’harmonisation adoptés par l’Union européenne pour établir le marché intérieur.
II. La conciliation entre primauté du droit de l’Union et sécurité juridique
Après avoir établi l’incompatibilité de la loi nationale avec le droit de l’Union, la Cour examine les conséquences procédurales de cette constatation sur une décision judiciaire nationale définitive. Elle consacre une solution de compromis, préservant l’autorité de la chose jugée (A) tout en orientant les justiciables vers une autre forme de protection (B).
A. La consécration de l’autonomie procédurale nationale face à l’autorité de la chose jugée
La Cour de justice énonce de manière explicite que le droit de l’Union « n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle ». Cette affirmation est fondamentale, car elle reconnaît que le principe de sécurité juridique, dont l’autorité de la chose jugée est une manifestation essentielle, constitue également un principe général du droit de l’Union. En l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de définir les modalités de mise en œuvre de ce principe. La Cour juge ainsi que l’obligation de remédier à une violation du droit de l’Union ne saurait aller jusqu’à imposer la révision d’une décision devenue inattaquable, garantissant par là la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice.
B. L’action en responsabilité de l’État comme voie de droit alternative
Toutefois, le respect de l’autonomie procédurale nationale ne laisse pas le justiciable sans recours face à une violation avérée de ses droits. La Cour prend soin de nuancer sa position en précisant que sa conclusion « n’exclut pas la possibilité pour les intéressés d’engager la responsabilité de l’État ». Cette mention est cruciale, car elle désigne la voie de droit adéquate pour obtenir réparation. Si la décision de justice définitive ne peut être remise en cause, la violation du droit de l’Union qui a conduit à un préjudice pour le particulier peut fonder une action en responsabilité contre l’État membre défaillant. La portée de cette solution est considérable : elle assure un équilibre entre le respect de la sécurité juridique attachée aux décisions nationales finales et l’exigence d’une protection juridictionnelle effective des droits que les particuliers tirent du droit de l’Union. La réparation du préjudice se substitue ainsi à la correction de l’illégalité initiale.