Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mars 2021, n°C-362/19

Par un arrêt du 4 mars 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur un pourvoi formé par la Commission européenne à l’encontre d’une décision du Tribunal de l’Union européenne. L’affaire portait sur la qualification d’aide d’État d’un régime fiscal préférentiel dont bénéficiaient certains clubs de football professionnels. En substance, une législation nationale permettait à quatre clubs de conserver le statut d’entité à but non lucratif, les assujettissant ainsi à un taux d’imposition sur les bénéfices inférieur à celui applicable aux sociétés anonymes sportives, statut imposé à l’ensemble des autres clubs professionnels.

La Commission européenne avait, par une décision du 4 juillet 2016, considéré que cet avantage fiscal constituait une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur, ordonnant par conséquent sa récupération. Saisi par l’un des clubs concernés, le Tribunal de l’Union européenne, par un arrêt du 26 février 2019, avait annulé la décision de la Commission. Les juges de première instance avaient estimé que la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit que le régime dérogatoire procurait un avantage effectif à ses bénéficiaires, n’ayant pas pris en compte certaines spécificités du régime fiscal applicable aux entités sans but lucratif qui pouvaient neutraliser le bénéfice du taux réduit. La Commission a donc formé un pourvoi, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit dans l’interprétation de la notion d’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si, pour établir l’existence d’un avantage découlant d’une mesure fiscale dérogatoire, la Commission est tenue de procéder à une analyse de l’ensemble des composantes du régime fiscal applicable pour en quantifier l’impact net, ou si la seule existence d’un traitement fiscal préférentiel suffit à caractériser cet avantage.

La Cour de justice de l’Union européenne annule l’arrêt du Tribunal. Elle juge qu’un régime fiscal qui applique un taux d’imposition réduit à une catégorie d’entreprises constitue bien un avantage, sans qu’il soit nécessaire pour la Commission de prouver l’avantage net final après considération de tous les éléments, favorables ou défavorables, du régime fiscal en question. Statuant ensuite sur le litige au fond, la Cour rejette le recours initial du club et valide la décision de la Commission.

Cette décision permet à la Cour de justice de clarifier les contours de la notion d’avantage en matière d’aide d’État fiscale (I), consacrant par là même une approche rigoureuse du contrôle exercé par la Commission (II).

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I. La redéfinition du critère de l’avantage dans les aides d’État fiscales

La Cour de justice, en censurant l’analyse du Tribunal, opère une distinction nette entre l’existence de l’avantage et son éventuelle quantification. Elle affirme que l’avantage naît du caractère dérogatoire de la mesure elle-même (A), ce qui a pour conséquence directe de réaménager la charge de la preuve en la matière (B).

A. La consécration d’un avantage par nature

Le Tribunal avait adopté une approche économique concrète, exigeant de la Commission qu’elle démontre que, tout bien considéré, le régime fiscal spécifique plaçait réellement ses bénéficiaires dans une situation plus favorable. Pour les juges de première instance, l’existence d’un taux nominal inférieur ne suffisait pas, car d’autres aspects du régime, telle une déductibilité moindre des charges, pouvaient annuler ce bénéfice.

La Cour de justice rejette ce raisonnement en rappelant que la notion d’avantage vise les mesures qui, « sous une forme quelconque, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ». Elle estime que l’existence d’un avantage est établie dès lors qu’une mesure fiscale permet à certaines entreprises de supporter une charge fiscale inférieure à celle qui résulterait de l’application du régime fiscal « normal ». En l’espèce, le simple fait de bénéficier d’un taux d’imposition réduit constitue un avantage, car il allège les charges qui pèsent normalement sur le budget des entreprises concernées. Exiger de la Commission une analyse contrefactuelle complexe des effets nets du régime reviendrait à la soumettre à une charge probatoire excessive et à paralyser son action.

B. Le réaménagement de la charge de la preuve

La conséquence logique de cette approche est un déplacement de la charge de la preuve. En jugeant que la Commission devait prouver l’avantage net, le Tribunal faisait peser sur elle la responsabilité de démontrer l’absence de tout mécanisme compensateur au sein du régime fiscal national.

La Cour de justice restaure une orthodoxie juridique plus conforme à la logique du contrôle des aides d’État. Il appartient à la Commission de prouver qu’une mesure est sélective et procure un avantage apparent, ce qu’elle fait en identifiant un traitement fiscal dérogatoire. Une fois cette preuve rapportée, il incombe à l’État membre concerné, et non à la Commission, de démontrer que cette différenciation est justifiée par la nature ou l’économie générale du système dans lequel elle s’inscrit. En l’absence d’une telle justification, « l’avantage est présumé ». En l’espèce, ni l’État membre ni le bénéficiaire n’avaient apporté la preuve que les éléments prétendument défavorables du régime des entités sans but lucratif neutralisaient systématiquement l’avantage découlant du taux réduit.

En affinant ainsi la méthode d’identification de l’avantage, la Cour de justice renforce considérablement l’efficacité du contrôle des aides d’État, ce qui ne manque pas d’affecter l’autonomie fiscale des États membres.

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II. Le renforcement du contrôle des aides d’État et ses implications

La solution retenue par la Cour de justice a une portée significative. Elle consolide les pouvoirs de la Commission dans sa lutte contre les subventions déguisées (A) et adresse un message clair aux États membres quant à la sélectivité de leurs mesures fiscales (B).

A. La simplification de l’office de la Commission européenne

En déliant la Commission de l’obligation de mener une analyse économique exhaustive et souvent hypothétique des effets finaux d’un régime fiscal, la Cour lui fournit un outil d’intervention plus direct et efficace. L’identification d’un traitement préférentiel suffit à enclencher le mécanisme de contrôle, ce qui permet à la Commission de se concentrer sur le caractère sélectif de la mesure et sur sa justification potentielle par la logique interne du système fiscal.

Cette approche pragmatique est essentielle pour garantir l’application uniforme des règles de concurrence au sein du marché intérieur. Elle empêche que des régimes fiscaux complexes ne deviennent des paravents pour des aides d’État, difficiles à déceler et à combattre. La décision commentée garantit ainsi que la Commission dispose des moyens juridiques nécessaires pour remplir sa mission de gardienne des traités, sans être entravée par des exigences probatoires disproportionnées. La Cour rappelle que le contrôle des aides d’État porte sur les régimes eux-mêmes et non sur leurs effets sur chaque bénéficiaire individuel.

B. Une conception stricte de l’autonomie fiscale des États membres

Cet arrêt illustre une nouvelle fois la tension entre la souveraineté fiscale des États membres et les impératifs du droit de la concurrence de l’Union. En adoptant une interprétation extensive de la notion d’avantage et en facilitant sa preuve, la Cour de justice limite la marge de manœuvre des États qui souhaiteraient utiliser l’outil fiscal pour soutenir certains secteurs ou certaines entreprises.

La décision confirme qu’une mesure fiscale, même si elle poursuit un objectif légitime aux yeux du droit national, peut être qualifiée d’aide d’État si elle est sélective et n’est pas justifiée par la nature et la logique du système fiscal. Toute dérogation doit donc trouver sa cohérence dans les principes fondamentaux qui structurent l’impôt concerné. Le message est clair : la politique fiscale ne saurait servir d’instrument pour fausser la concurrence, et le contrôle exercé par la Commission en la matière sera interprété de manière à lui donner son plein effet utile, affirmant ainsi la primauté du droit de l’Union sur les particularismes fiscaux nationaux.

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Hassan KOHEN
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