Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2007, n°C-144/06

Par un arrêt en date du 4 octobre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’appréciation du caractère distinctif d’une marque figurative représentant l’aspect d’un produit. En l’espèce, une société avait déposé une demande d’enregistrement de marque communautaire pour un signe figuratif représentant une tablette rectangulaire bicolore, rouge et blanche, avec un noyau ovale de couleur bleue. Cette demande concernait notamment des « produits pour laver la vaisselle et le linge ». L’examinateur de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) a rejeté la demande au motif que la marque était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. La chambre de recours de l’Office a confirmé cette décision, estimant que le signe serait perçu par le consommateur non comme une indication d’origine, mais comme une simple représentation du produit. La société requérante a alors formé un recours en annulation de cette décision devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes. Celui-ci a rejeté le recours, jugeant que la marque demandée ne permettait pas au consommateur de distinguer les produits concernés de ceux d’autres entreprises, car sa forme et ses couleurs ne divergeaient pas de manière significative des normes et habitudes du secteur. La société a finalement formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur dans l’appréciation du caractère distinctif requis. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si les critères d’appréciation du caractère distinctif d’une marque figurative constituée par la représentation bidimensionnelle d’un produit avaient été correctement appliqués. La Cour de justice a rejeté le pourvoi, considérant que le Tribunal n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant que la marque était dépourvue de caractère distinctif. Elle a validé l’approche selon laquelle une telle marque doit, pour être distinctive, diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné.

Il convient d’analyser la confirmation par la Cour d’une évaluation stricte du caractère distinctif pour les marques représentant l’apparence du produit (I), avant d’étudier la portée de ce contrôle juridictionnel et la réaffirmation de l’autonomie du système communautaire des marques (II).

***

I. La confirmation d’une approche rigoureuse du caractère distinctif des marques figuratives représentant le produit

La Cour de justice, dans sa décision, consolide une jurisprudence exigeante quant à l’évaluation du caractère distinctif des marques qui se confondent avec l’apparence du produit. Elle valide pour cela l’application d’un critère d’appréciation adapté à la nature spécifique du signe (A) et confirme la méthode d’analyse qui combine un examen des éléments individuels avec une appréciation de l’impression d’ensemble (B).

A. L’application d’un critère d’appréciation adapté à la nature du signe

La Cour rappelle que les critères d’appréciation du caractère distinctif sont en principe identiques pour toutes les catégories de marques. Elle souligne toutefois que la perception du consommateur n’est pas la même face à une marque verbale ou figurative abstraite et face à une marque constituée par l’apparence du produit lui-même, ou par sa représentation. Pour cette seconde catégorie, le consommateur n’a pas l’habitude de présumer l’origine des produits en se fondant uniquement sur leur forme. Il en résulte une difficulté accrue à établir le caractère distinctif. La Cour énonce ainsi que « seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif ». Ce faisant, elle confirme que la distinctivité intrinsèque d’une telle marque ne peut être reconnue que si elle présente une forme ou une apparence suffisamment singulière pour capter l’attention du public et être perçue comme un indicateur d’origine commerciale, et non simplement comme une forme fonctionnelle ou décorative.

Le raisonnement de la Cour étend explicitement cette logique, développée pour les marques tridimensionnelles, aux marques figuratives bidimensionnelles qui, comme en l’espèce, sont constituées par la représentation du produit. L’arrêt précise en effet que dans un tel cas, « la marque ne consiste pas non plus en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne ». L’exigence d’une divergence significative par rapport aux normes du secteur s’applique donc pleinement. Cette approche pragmatique ancre l’analyse non dans la nature juridique du signe (figuratif ou tridimensionnel), mais dans sa relation avec le produit qu’il désigne et la perception qu’en a le consommateur.

B. La validation de la méthode d’analyse combinant examen successif et impression d’ensemble

Pour aboutir à sa conclusion, le Tribunal avait d’abord examiné séparément les différents éléments du signe : la forme rectangulaire de la tablette, la présence de deux couches colorées et l’existence d’un noyau ovale bleu. Il avait jugé qu’aucun de ces éléments, pris isolément, ne conférait un caractère distinctif à la marque. Par la suite, il avait procédé à une appréciation d’ensemble. La Cour de justice valide entièrement cette démarche méthodologique. Elle rappelle qu’il peut être utile d’examiner successivement chaque élément constitutif de la marque, à condition que l’évaluation finale porte sur l’impression globale produite par le signe.

Le Tribunal avait jugé que « l’impression d’ensemble produite par le signe en cause se borne à celle d’une représentation d’un produit pour lave-vaisselle ou pour lave-linge […] de façon décorative et attrayante ». La combinaison d’une forme basique, de couleurs courantes dans le secteur et d’un agencement perçu comme fonctionnel ne permettait pas au signe de se distinguer. La Cour entérine cette conclusion en jugeant que le Tribunal a correctement fondé son appréciation sur l’impression d’ensemble et a légitimement établi que la marque ne permettait pas de distinguer le produit de ceux des concurrents. Cette approbation réaffirme que la simple combinaison d’éléments non distinctifs ne crée pas nécessairement une marque distinctive, sauf si l’agencement lui-même est suffisamment original pour marquer l’esprit du consommateur.

***

II. La portée limitée du contrôle de la Cour et l’autonomie du système de la marque communautaire

Au-delà de la question de fond du caractère distinctif, l’arrêt est instructif quant aux limites du contrôle exercé par la Cour de justice dans le cadre d’un pourvoi. Il souligne le rôle prépondérant des juges du fond dans l’appréciation des faits (A) et réaffirme avec force l’autonomie du droit des marques de l’Union, notamment face aux décisions nationales ou à la pratique antérieure de l’Office (B).

A. Le rôle souverain des juges du fond dans l’appréciation des faits

La société requérante contestait l’analyse du Tribunal concernant la perception du consommateur et le caractère habituel ou non de la forme et des couleurs de la tablette. La Cour de justice écarte ces arguments en rappelant une règle fondamentale de la procédure de pourvoi. Elle énonce que « l’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont été présentés, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ». Or, l’évaluation de la perception du public pertinent, du niveau d’attention de celui-ci, et de la question de savoir si une marque diverge de manière significative des habitudes du secteur relève précisément de l’appréciation des faits.

La Cour refuse donc de substituer sa propre appréciation à celle du Tribunal. Cette position a pour conséquence de rendre très difficile la contestation des décisions de l’OHMI et du Tribunal sur le terrain du caractère distinctif, dès lors que celles-ci reposent sur une analyse de la perception du marché. Sauf à prouver que le Tribunal a dénaturé les faits ou les preuves, ce qui constitue un seuil de contrôle très élevé, l’appréciation factuelle du caractère distinctif est laissée à la compétence exclusive des juges du fond. Cette solution renforce la sécurité juridique en limitant les possibilités de remettre en cause des appréciations qui dépendent étroitement des circonstances de l’espèce.

B. Le rejet des arguments fondés sur des décisions nationales et la pratique décisionnelle antérieure

La société requérante avait également fait valoir qu’une autorité nationale avait jugé le même signe distinctif et que l’OHMI avait lui-même enregistré des marques comparables. Le Tribunal avait rejeté ces arguments, et la Cour de justice confirme ce rejet. Elle rappelle que « le régime des marques communautaires est un régime autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national ». Ainsi, une décision d’enregistrement rendue par une autorité nationale ne lie en aucun cas les instances de l’Union.

De même, la Cour approuve le raisonnement du Tribunal selon lequel la légalité des décisions des chambres de recours doit être appréciée uniquement sur la base du règlement, et non d’une pratique décisionnelle antérieure de l’Office. Les décisions de l’OHMI concernant l’enregistrement d’une marque relèvent de l’exercice d’une compétence liée, et non d’un pouvoir discrétionnaire. L’Office est donc tenu d’appliquer les critères légaux à chaque demande, sans être lié par ses décisions passées, qui pourraient d’ailleurs avoir été erronées. Cet arrêt réaffirme donc avec force le principe d’autonomie du système de la marque de l’Union et le principe de légalité, qui prime sur toute considération d’égalité de traitement dans l’illégalité.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture