Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2012, n°C-75/11

Par une décision rendue en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne a eu à se prononcer sur la compatibilité d’une législation nationale avec le droit de l’Union en matière de libre circulation et de non-discrimination. En l’espèce, une réglementation autrichienne subordonnait l’octroi de tarifs de transport réduits pour les étudiants à la condition que leurs parents perçoivent des allocations familiales nationales. La Commission européenne a considéré que cette mesure créait une discrimination indirecte à l’encontre des ressortissants d’autres États membres, étudiants en Autriche, dont les parents ne remplissaient généralement pas cette condition. Elle a donc introduit un recours en manquement à l’encontre de la République d’Autriche pour violation des principes fondamentaux du droit de l’Union. La question de droit soulevée était de savoir si une condition apparemment neutre, mais qui dans les faits désavantage les citoyens d’autres États membres, pouvait constituer une entrave prohibée au principe d’égalité de traitement. La Cour de justice a jugé que le fait de « réservant en principe le bénéfice des tarifs de transport réduits aux seuls étudiants dont les parents perçoivent des allocations familiales autrichiennes » constituait bien un manquement aux obligations découlant des articles 18, 20 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que de l’article 24 de la directive 2004/38/CE.

Le raisonnement de la Cour s’articule autour de la sanction d’une discrimination indirecte dans l’accès aux avantages sociaux (I), ce qui conduit à une réaffirmation de la portée des droits attachés à la citoyenneté de l’Union (II).

I. La sanction d’une discrimination indirecte en matière d’avantages sociaux

La solution retenue par la Cour de justice repose sur l’identification d’une condition discriminatoire (A) appliquée à un avantage social relevant du champ du droit de l’Union (B).

A. La qualification d’avantage social des tarifs de transport réduits

La législation de l’Union, notamment à travers la directive 2004/38 et le règlement 492/2011, garantit le principe d’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux pour les citoyens de l’Union exerçant leur droit à la libre circulation. La jurisprudence de la Cour a traditionnellement interprété de manière extensive la notion d’avantage social, y incluant tout bénéfice lié ou non à un contrat de travail, qui est accordé aux nationaux. En l’occurrence, une réduction tarifaire sur les transports publics constitue un avantage indéniable qui facilite la vie quotidienne et l’accès à l’éducation pour les étudiants. En réservant ce bénéfice, l’État membre le fait entrer dans le champ d’application du droit de l’Union, s’exposant dès lors au contrôle du respect du principe de non-discrimination. La Cour confirme ainsi que de telles facilités ne sauraient être arbitrairement refusées aux citoyens de l’Union résidant légalement sur le territoire.

B. La caractérisation de la condition discriminatoire

La Cour de justice sanctionne ici une forme subtile de discrimination. La législation autrichienne ne visait pas explicitement les non-nationaux, mais établissait un critère de différenciation fondé sur la perception d’allocations familiales autrichiennes. Or, un tel critère est par sa nature même plus facilement satisfait par les ressortissants nationaux que par les citoyens d’autres États membres qui résident en Autriche pour leurs études. Il s’agit donc d’une discrimination indirecte, prohibée par l’article 18 du TFUE. La Cour juge qu’en liant l’avantage à une prestation sociale nationale, la législation « a manqué aux obligations qui lui incombent ». Cette approche empêche les États membres de contourner l’interdiction des discriminations directes par l’emploi de critères en apparence neutres qui aboutissent au même résultat d’exclusion.

L’arrêt ne se contente pas de sanctionner une pratique spécifique ; il renforce la protection conférée par le statut même de citoyen de l’Union.

II. La réaffirmation des droits attachés à la citoyenneté de l’Union

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à donner son plein effet à la citoyenneté européenne (A) et à garantir l’effectivité du droit de séjour (B).

A. La centralité du principe d’égalité de traitement

Le statut de citoyen de l’Union, consacré par les articles 20 et 21 du TFUE, a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres. Il implique, pour ceux qui exercent leur liberté de circulation, le droit de recevoir le même traitement que les nationaux de l’État membre d’accueil dans les domaines couverts par le traité. L’article 24 de la directive 2004/38 constitue une expression concrète de ce principe, en disposant que tout citoyen de l’Union séjournant sur le territoire d’un autre État membre bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État. En condamnant la République d’Autriche, la Cour rappelle que ce principe est d’interprétation stricte et que les exceptions doivent être limitées. Toute mesure nationale rendant l’exercice de la libre circulation moins attractif est donc suspecte.

B. La garantie de l’effectivité du droit de séjour

Au-delà de l’aspect financier, l’accès à des tarifs réduits est une condition importante de l’intégration sociale et de la vie étudiante. En priver une catégorie d’étudiants au seul motif de leur provenance implicite, c’est créer une barrière pratique à leur séjour. La décision de la Cour a donc une portée significative. Elle confirme que les droits de circulation et de séjour ne sont pas seulement des droits formels, mais emportent l’obligation pour les États membres d’accueil d’assurer des conditions de vie et d’études non discriminatoires. Cette jurisprudence consolide la position des citoyens mobiles, notamment les étudiants, en assurant que leur statut ne les expose pas à des désavantages injustifiés dans leur quotidien. Elle sert d’avertissement à tout État membre qui serait tenté d’instaurer des régimes parallèles pour les nationaux et les autres citoyens de l’Union.

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Hassan KOHEN
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