Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2018, n°C-384/17

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 4 octobre 2018, précise les modalités d’application d’une directive relative à la taxation des poids lourds. Cette décision porte sur la conformité de sanctions administratives forfaitaires au regard du principe de proportionnalité inscrit dans le droit de l’Union.

Un véhicule circulant sur un tronçon routier soumis à péage a fait l’objet d’un contrôle en l’absence d’autorisation préalable de circulation. Bien que le conducteur ait acquis un titre de transport peu après ce contrôle, l’autorité de police a infligé une amende administrative fixe importante.

La société exploitante a contesté cette sanction devant le Tribunal administratif et du travail de Szombathely, invoquant le caractère excessif du montant réclamé par l’administration. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer pour interroger les juges sur l’applicabilité directe des dispositions de la directive 1999/62.

Le problème juridique porte sur le point de savoir si l’exigence de proportionnalité des sanctions est inconditionnelle et suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable. La juridiction s’interroge également sur l’obligation pour le juge national d’écarter une législation interne rigide au profit des objectifs fixés par l’Union européenne.

La Cour répond que l’article 9 bis de ladite directive ne produit pas d’effet direct mais impose néanmoins une obligation d’interprétation conforme au juge national saisi. Cette solution repose sur une distinction entre l’invocabilité d’une norme et le devoir de garantir l’effectivité du droit de l’Union par l’éviction des règles contraires.

I. L’absence d’effet direct de l’exigence de proportionnalité des sanctions

A. Une disposition conditionnelle nécessitant l’intervention des autorités nationales

La Cour examine si le contenu de la directive apparaît inconditionnel et suffisamment précis pour permettre son invocation directe par les particuliers devant les juridictions. Elle rappelle que l’article 9 bis confie aux États membres le soin de déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales de transport.

Le texte européen dispose que les sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives » sans toutefois établir de critères explicites pour l’appréciation concrète de la peine. La Cour souligne que cette directive « n’établit, notamment, aucun critère explicite pour l’appréciation du caractère proportionné de telles sanctions » dans le cadre d’un litige individuel.

Cette absence de précision technique nécessite l’intervention d’un acte législatif national pour définir les paramètres de la répression administrative au sein de chaque ordre juridique interne. La disposition européenne énonce ainsi une obligation qui nécessite l’intervention d’un acte des États, lesquels disposent d’une marge d’appréciation importante lors de la transposition.

B. La préservation de la marge d’appréciation du législateur étatique

La reconnaissance d’un effet direct conduirait à l’élimination du pouvoir d’appréciation conféré aux seuls législateurs nationaux pour concevoir un régime de sanctions fiscales approprié. La Cour affirme que l’article 9 bis « ne saurait être considéré, du point de vue de son contenu, comme étant inconditionnel et suffisamment précis ».

Cette interprétation évite que le juge national ne se substitue systématiquement au législateur pour définir le montant des amendes en dehors de tout cadre légal préétabli. L’exigence de proportionnalité des sanctions prévue par la directive « ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle impose au juge national de se substituer au législateur ».

Le refus de l’effet direct protège la séparation des pouvoirs tout en maintenant la responsabilité de l’État quant à la mise en œuvre des objectifs de l’Union. Cette position oblige toutefois les juridictions à rechercher d’autres voies juridiques pour assurer le respect des principes fondamentaux de justice et d’équité.

II. L’impératif d’une application effective de la directive par le juge

A. La recherche d’une interprétation conforme sous la limite du texte national

L’absence d’effet direct n’exonère pas les autorités nationales de leur devoir de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution des obligations découlant du droit européen. Le principe d’interprétation conforme requiert que le juge utilise l’ensemble des méthodes juridiques internes pour aboutir à une solution compatible avec la finalité européenne.

Cette obligation rencontre cependant une limite majeure interdisant toute interprétation « contra legem » du droit national par les tribunaux chargés de l’application des lois. Le juge doit vérifier si la réduction d’une amende fixe ne contredit pas frontalement une réglementation nationale interdisant explicitement toute modulation de la sanction administrative.

Une telle interprétation conforme serait susceptible de donner lieu à un résultat illégal si la loi nationale fixe précisément les montants sans prévoir de possibilité de réduction. Le juge doit alors envisager l’étape supérieure du raisonnement juridique pour garantir que la sévérité d’une sanction corresponde effectivement à la gravité de l’infraction.

B. L’éviction nécessaire de la règle nationale incompatible avec le résultat européen

Si une interprétation conforme s’avère impossible, la juridiction nationale conserve l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union pour protéger les droits conférés aux particuliers. Elle doit « laisser inappliquée toute disposition nationale dans la mesure où l’application de celle-ci, dans les circonstances de l’espèce, aboutirait à un résultat contraire ».

Le juge doit garantir la pleine effectivité des principes européens en écartant la norme interne qui ferait obstacle à la réalisation des objectifs de proportionnalité. Cette mission permet d’assurer que les sanctions pécuniaires « n’impliquent pas une charge ou une privation de propriété excessives pour la personne visée par les sanctions ».

Cette solution de dernier recours assure la primauté des droits fondamentaux, notamment l’article 49 de la Charte, sur les dispositions administratives nationales trop rigides. Le juge national devient ainsi le garant ultime de l’équilibre entre la répression des infractions routières et le respect des libertés économiques fondamentales.

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Hassan KOHEN
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