Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2024, n°C-171/23

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 4 octobre 2024 un arrêt majeur relatif à la franchise de taxe sur la valeur ajoutée. Cette affaire traite de la possibilité pour les États membres de refuser un avantage fiscal en l’absence de dispositions nationales spécifiques contre les pratiques abusives.

Une société établie en Croatie exerçant une activité de restauration a fait l’objet d’un contrôle fiscal révélant une planification fiscale jugée agressive. L’administration fiscale nationale a estimé que cette constitution visait uniquement à maintenir le bénéfice d’une exonération octroyée initialement à une entité juridique distincte. Celle-ci aurait poursuivi l’activité sans interruption réelle, la création de la nouvelle structure présentant un caractère fictif pour contourner les seuils d’assujettissement légaux.

Un avis d’imposition a été émis en octobre 2018 pour réclamer le paiement de la taxe et des intérêts de retard afférents à la période contrôlée. Le tribunal administratif de Zagreb, saisi du litige, a relevé que la constitution nationale interdisait l’application rétroactive des nouvelles lois sur l’abus de droit.

La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur l’obligation de déterminer une dette fiscale malgré l’absence de base légale interne au moment des faits. Le droit de l’Union impose-t-il de refuser le régime de franchise lorsqu’une création de société constitue une pratique abusive destinée à éluder l’impôt ?

La Cour répond par l’affirmative en soulignant que le principe d’interdiction des pratiques abusives s’applique directement sans nécessité de transposition législative préalable. L’étude de cette solution conduit à analyser l’autonomie du principe d’interdiction des abus avant d’envisager l’encadrement des effets de la requalification fiscale.

I. L’autonomie du principe d’interdiction des pratiques abusives

A. Les critères cumulatifs de l’existence d’un abus

Le juge européen rappelle que le constat d’un abus suppose que l’opération ait « pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi ». Il doit également résulter d’éléments objectifs que « le but essentiel de cette opération est l’obtention d’un avantage fiscal » dépourvu de justification économique réelle. Cette double condition permet de distinguer la gestion fiscale légitime du montage artificiel destiné à contourner les finalités du système commun de taxe.

B. L’opposabilité directe du principe général du droit

Le juge précise qu’un refus de droit « incombe, d’une manière générale, aux autorités et aux juridictions nationales, quel que soit le droit en matière de TVA affecté ». L’interdiction des abus ne nécessite pas de base légale nationale spécifique pour être opposée à un contribuable ayant agi de manière déloyale. Une directive ne peut créer d’obligations par elle-même, mais le refus d’un avantage indûment recherché ne constitue pas une charge nouvelle pour l’assujetti. Cette solution impose une évaluation rigoureuse des conséquences juridiques découlant du constat d’une structure sociétaire artificielle.

II. L’encadrement des effets de la requalification fiscale

A. Le refus obligatoire du bénéfice de la franchise

Lorsqu’une société est créée pour maintenir artificiellement la franchise de taxe à une exploitation dépassant les seuils, l’octroi de cet avantage méconnaît les objectifs légaux. Le régime de faveur cherche à simplifier la gestion des petites entreprises et non à masquer la réalité économique d’une activité commerciale de grande envergure. L’administration doit donc écarter l’application de l’article 287 de la directive pour soumettre immédiatement l’entité au régime de droit commun.

B. La nécessaire restauration de la situation normale

Les opérations litigieuses « doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives » de la pratique abusive. La requalification opérée doit cependant se limiter à ce qui est strictement nécessaire pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter les fraudes. L’assujetti conserve le bénéfice du droit à déduction de la taxe payée en amont si les conditions générales d’exercice de ce droit sont satisfaites.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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