Par un arrêt en date du 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’interdiction d’utiliser des engrais issus de l’élevage industriel dans le cadre de la production biologique. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour était amenée à interpréter l’annexe II du règlement d’exécution (UE) 2021/1165. En l’espèce, un litige opposait vraisemblablement une autorité nationale à un producteur biologique au sujet de l’utilisation d’effluents d’élevage dont la qualification d’« industriels » était débattue. La juridiction de renvoi cherchait à savoir, d’une part, si la notion d’« élevage industriel » devait être assimilée à celle d’« élevage hors sol » et, d’autre part, si une réglementation nationale pouvait définir des critères spécifiques pour caractériser un tel élevage, tels que l’utilisation de caillebotis ou de cages, sans contrevenir au droit de l’Union. La Cour de justice répond par la négative à la première interrogation, considérant que la prohibition vise l’élevage industriel dans une acception plus large que le seul élevage hors sol. Elle admet en revanche la validité d’une réglementation nationale plus détaillée, à la condition que la qualification d’élevage industriel repose sur « un faisceau d’indices ayant trait, à tout le moins, à la préservation du bien-être animal, au respect de la biodiversité ainsi qu’à la protection de l’environnement et du climat ».
I. La clarification extensive de la notion d’« élevage industriel »
A. Le rejet d’une assimilation à l’élevage hors sol
La Cour de justice apporte une première clarification en refusant de limiter le concept d’élevage industriel à la seule méthode de l’élevage hors sol. Elle énonce clairement que l’expression « provenance d’élevages industriels interdite » ne saurait être interprétée de manière restrictive. Cette interprétation s’oppose à une vision qui consisterait à ne bannir que les engrais et amendements issus d’exploitations sans aucun lien avec le sol. La décision souligne ainsi que les deux notions ne sont pas équivalentes, l’élevage industriel constituant une catégorie plus large. En affirmant que l’interdiction vise les produits « issus de l’élevage industriel et non uniquement ceux provenant de l’élevage hors sol », la Cour préserve la portée générale des termes employés par le législateur de l’Union. Cette distinction est fondamentale car elle empêche les opérateurs de contourner l’esprit de la réglementation sur la production biologique par une application littérale et restreinte de ses dispositions.
B. La consécration d’une approche conceptuelle large
En écartant une définition trop étroite, la Cour de justice consacre une conception large de l’élevage industriel, davantage en phase avec les objectifs de la réglementation biologique. L’interdiction ne se fonde pas sur un unique critère technique, mais sur une appréciation globale du mode de production. L’adjectif « industriel » renvoie à des caractéristiques de concentration, de standardisation et d’intensification qui dépassent la seule question du lien au sol. Le raisonnement de la Cour suggère que la qualification dépend d’un ensemble de facteurs liés à l’échelle de production, aux conditions de vie des animaux et à l’impact environnemental de l’exploitation. Cette approche finaliste permet de garantir une application cohérente du règlement, en visant les pratiques d’élevage qui, par leur nature même, s’opposent aux principes fondamentaux de l’agriculture biologique tels que le respect des cycles naturels et un niveau élevé de bien-être animal.
II. La délimitation de la marge d’appréciation des États membres
A. La reconnaissance d’un pouvoir de spécification national
La Cour reconnaît ensuite que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale précise les critères de l’élevage industriel. Elle valide la possibilité pour un État membre de viser spécifiquement « les effluents d’élevages en système caillebotis ou grilles intégral » ou ceux « d’élevages en cages » dépassant certains seuils. Cette validation offre aux autorités nationales une sécurité juridique pour la mise en œuvre concrète de l’interdiction. En l’absence de définition précise dans le règlement européen, les États membres disposent ainsi d’une marge d’appréciation pour transposer la notion en critères objectifs et contrôlables. Cette faculté de spécification est essentielle pour l’effectivité du contrôle, en permettant aux inspecteurs de s’appuyer sur des éléments matériels et quantifiables pour qualifier une exploitation d’industrielle.
B. L’exigence d’une évaluation multifactorielle
Toutefois, la Cour encadre strictement cette marge d’appréciation nationale en la soumettant à une condition de fond déterminante. La qualification d’élevage industriel ne peut se baser uniquement sur des critères structurels ou de dimension. La décision impose aux autorités nationales de recourir à une méthode d’évaluation globale, exigeant qu’elles se fondent sur « un faisceau d’indices ». La Cour précise la nature de ces indices, qui doivent avoir trait « à tout le moins, à la préservation du bien-être animal, au respect de la biodiversité ainsi qu’à la protection de l’environnement et du climat ». Par cette exigence, elle impose une analyse qualitative et non purement quantitative. Un élevage ne peut être qualifié d’industriel au seul motif qu’il utilise des caillebotis ou dépasse un certain seuil d’effectif ; ces éléments doivent être corroborés par une évaluation de ses performances en matière de bien-être animal et de durabilité environnementale. Cette approche multifactorielle garantit que la mise en œuvre nationale de l’interdiction reste fidèle aux objectifs fondamentaux de la législation de l’Union sur la production biologique.