Par un arrêt du 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a apporté une clarification essentielle sur les conditions d’utilisation des mentions faisant référence à la production biologique pour des produits importés de pays tiers. La décision répondait à une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction administrative fédérale allemande, dans le cadre d’un litige sur l’étiquetage d’un complément alimentaire.
Les faits à l’origine du litige concernent une société commercialisant une boisson composée d’ingrédients issus de l’agriculture biologique, à laquelle étaient ajoutés des vitamines et du gluconate de fer non biologiques. Une autorité administrative lui avait interdit d’utiliser le logo de production biologique de l’Union européenne ainsi que des termes faisant référence à cette production, au motif que l’ajout de ces substances n’était pas légalement requis, condition pourtant exigée par la réglementation européenne. La société productrice a contesté cette décision en justice, faisant valoir qu’une telle interdiction créait une inégalité de traitement par rapport à des produits similaires importés d’un pays tiers, en l’occurrence les États-Unis d’Amérique. Ce pays bénéficie d’un régime de reconnaissance d’équivalence de ses règles de production biologique, qui autoriserait la commercialisation de tels produits sous une appellation biologique. La procédure a conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour sur l’interprétation du règlement (UE) 2018/848 relatif à la production biologique, et en particulier sur la compatibilité d’une différenciation des règles d’étiquetage avec le principe d’égalité de traitement consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si un produit alimentaire importé d’un pays tiers, dont les règles de production sont reconnues comme équivalentes mais non identiques à celles de l’Union, peut utiliser le logo de production biologique de l’Union européenne. Il s’agissait de savoir si le fait de satisfaire à des règles « équivalentes » suffisait pour bénéficier du même étiquetage que les produits strictement conformes à la législation de l’Union, et si une distinction à ce niveau ne constituait pas une rupture d’égalité injustifiée au détriment des producteurs européens.
La Cour de justice a répondu par la négative à la première partie de la question, tout en apportant une nuance décisive. Elle juge que le logo de production biologique de l’Union européenne et les termes qui y font référence sont réservés aux seuls produits qui respectent intégralement les règles de production fixées par le règlement 2018/848. En revanche, elle admet que les produits importés au titre d’un régime d’équivalence peuvent être commercialisés dans l’Union en utilisant le logo biologique du pays tiers d’origine, même si celui-ci contient des termes tels que « biologique » ou « organic ». Cette solution conduit à une distinction claire entre la conformité, qui ouvre droit au label de l’Union, et l’équivalence, qui permet l’accès au marché sous le label du pays d’origine.
Cette décision opère une clarification bienvenue en distinguant nettement la portée du régime de conformité de celle du régime d’équivalence (I), tout en validant un système d’étiquetage différencié destiné à concilier les impératifs du commerce international et la protection du consommateur (II).
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**I. La portée distincte des régimes de conformité et d’équivalence**
L’arrêt établit une hiérarchie claire entre les produits respectant scrupuleusement le cahier des charges de l’Union et ceux provenant de pays tiers dont les normes sont simplement jugées équivalentes. Cette distinction se manifeste par une interprétation stricte des conditions d’usage du logo de l’Union (A), qui conduit à dissocier le droit d’accès au marché du droit à l’étiquetage européen (B).
**A. Une interprétation stricte des conditions d’apposition du logo de l’Union**
La Cour affirme sans ambiguïté que l’usage du logo de production biologique de l’Union européenne constitue une « attestation officielle » certifiant la pleine conformité du produit avec la législation de l’Union. En se fondant sur les objectifs du règlement 2018/848, notamment la protection des consommateurs et la garantie d’une concurrence loyale, elle juge que ce logo ne saurait être apposé sur un produit qui ne respecte pas l’intégralité des règles de production européennes. Elle considère qu’autoriser son usage pour des produits seulement « équivalents » créerait une « ambiguïté pouvant induire les consommateurs en erreur ». L’arrêt souligne que la finalité de cet étiquetage est d’assurer au consommateur qu’un produit est « pleinement conforme à l’ensemble des prescriptions établies par le règlement 2018/848, et non pas seulement à des règles équivalentes à celui-ci ».
Cette approche téléologique et littérale renforce la crédibilité du label européen. La Cour écarte l’idée qu’une simple indication de provenance, telle que « Agriculture non UE », suffirait à lever toute confusion. Une telle mention n’informe pas le consommateur sur le référentiel normatif appliqué, à savoir celui de la conformité stricte ou de la simple équivalence. En réservant le logo aux produits qui satisfont aux exigences les plus élevées, la Cour consolide sa fonction de garantie absolue pour le consommateur européen et protège les producteurs de l’Union contre une dilution de la valeur de leurs efforts.
**B. La dissociation entre l’accès au marché et le droit à l’étiquetage européen**
L’apport principal de la décision réside dans la dissociation conceptuelle qu’elle opère. Le règlement 2018/848 prévoit trois voies pour qu’un produit importé soit mis sur le marché de l’Union en tant que produit biologique : la conformité totale aux règles de l’Union, le respect des règles d’un pays tiers reconnu via un accord commercial, ou la conformité aux règles d’un pays tiers reconnu unilatéralement pour leur équivalence. La Cour précise que si ces régimes permettent bien l’importation de produits « en tant que produits biologiques », ils ne confèrent pas pour autant des droits identiques en matière d’étiquetage.
Le régime d’équivalence, défini comme garantissant le « même niveau d’assurance de conformité » sans pour autant exiger des règles identiques, permet donc l’accès au marché mais n’ouvre pas droit à l’utilisation du logo de l’Union. Cette distinction est fondamentale, car elle met fin à l’incertitude juridique et prévient une potentielle violation du principe d’égalité de traitement. En refusant aux produits importés non strictement conformes le bénéfice du label européen, la Cour assure que les producteurs de l’Union, soumis à des contraintes plus rigoureuses, ne subissent pas une concurrence déloyale de la part d’opérateurs bénéficiant de normes plus souples mais d’un étiquetage identique.
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**II. La validation d’un système d’étiquetage différencié**
Ayant établi une distinction de principe, la Cour devait encore en préciser les conséquences pratiques pour ne pas vider le régime d’équivalence de sa substance. Elle le fait en autorisant l’usage des logos des pays tiers (A), instaurant ainsi un système d’information du consommateur à deux niveaux dont il convient d’évaluer la portée (B).
**A. La reconnaissance de l’usage des logos de pays tiers par souci d’effet utile**
Pour éviter de rendre le régime d’équivalence inopérant, la Cour admet qu’un produit importé en vertu de l’article 45, paragraphe 1, point b) iii), du règlement puisse utiliser le logo de production biologique de son pays d’origine. Cette solution pragmatique repose sur le principe de l’effet utile. Si les produits importés sous ce régime ne pouvaient arborer aucune mention relative à leur caractère biologique, leur mise sur le marché « en tant que produits biologiques » serait dépourvue de sens. La Cour considère que l’utilisation du logo national du pays tiers, même s’il contient des termes comme « bio » ou « organic », ne prête pas à confusion de la même manière que le logo de l’Union.
Elle estime que l’usage d’un logo distinct « n’est pas susceptible de donner l’impression que les produits importés concernés sont conformes à l’ensemble des prescriptions établies par le règlement 2018/848 ». Cette concession permet de concilier la nécessité de faciliter les échanges commerciaux internationaux avec les objectifs de clarté et de loyauté du marché intérieur. La reconnaissance d’équivalence conserve ainsi sa valeur économique pour les pays tiers, tout en réservant au logo de l’Union son statut de standard de référence.
**B. La portée d’un double standard d’information sur le marché intérieur**
En validant cette dualité d’étiquetage, la Cour entérine un double standard d’information sur le marché de l’Union. D’une part, le logo de l’Union, qui atteste une conformité intégrale. D’autre part, une multitude de logos de pays tiers, qui signalent une conformité à des règles jugées équivalentes. Si cette solution résout le problème juridique soulevé, sa portée pratique pour le consommateur peut être questionnée. Ce dernier, confronté à différents logos contenant tous le terme « biologique », pourrait ne pas percevoir la différence de niveau d’exigence que cette dualité implique.
La décision repose sur le postulat qu’un consommateur raisonnablement attentif est capable de distinguer le logo officiel de l’Union des logos nationaux étrangers. Toutefois, la prolifération des labels pourrait complexifier la lisibilité de l’offre et affaiblir l’objectif de parfaite transparence. L’arrêt constitue néanmoins une décision d’équilibre, qui clarifie les règles applicables aux opérateurs et renforce la position des producteurs de l’Union. Il revient désormais aux acteurs du marché et aux pouvoirs publics d’assurer la pédagogie nécessaire pour que cette distinction juridique soit effectivement comprise par les consommateurs.