Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions de la Commission européenne en matière d’ententes. Cette décision a été rendue dans le cadre d’un pourvoi formé par une entreprise contre un arrêt du Tribunal de l’Union européenne en date du 9 novembre 2022. En l’espèce, la Commission européenne avait, par une décision du 4 juillet 2019, infligé une amende à plusieurs sociétés pour leur participation à une pratique anticoncurrentielle sur le marché des ronds à béton, en violation de l’article 65 du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’une des entreprises sanctionnées a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de cette décision. Parmi ses différents moyens, elle soutenait que la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement dans la manière dont elle avait calculé le montant de son amende par rapport à celui infligé à d’autres participants à l’entente. Le Tribunal a cependant rejeté l’ensemble de ses arguments et confirmé la décision de la Commission. Saisie à son tour, la Cour de justice de l’Union européenne était donc amenée à se prononcer sur la question de savoir si le Tribunal avait commis une erreur de droit en refusant de sanctionner la rupture du principe d’égalité de traitement invoquée par l’entreprise requérante. Par sa décision, la Cour de justice a répondu par l’affirmative, annulant l’arrêt du Tribunal sur ce point précis. Estimant que l’affaire était en état d’être jugée, elle a annulé partiellement la décision de la Commission et réformé le montant de l’amende.
La solution retenue par la Cour de justice met en lumière le rôle essentiel du principe d’égalité de traitement en tant que limite au pouvoir de sanction de la Commission. Ainsi, la censure de l’appréciation des juges du fond (I) a logiquement conduit la haute juridiction à exercer sa propre compétence de pleine juridiction pour rectifier la sanction (II).
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I. La censure de l’appréciation du Tribunal fondée sur le principe d’égalité de traitement
La Cour de justice rappelle que la Commission doit respecter le principe d’égalité de traitement lorsqu’elle fixe le montant des amendes. Le non-respect de ce principe a justifié l’annulation de l’arrêt du Tribunal pour erreur de droit (A), marquant ainsi un contrôle rigoureux de l’appréciation portée par les juges du fond (B).
A. L’affirmation d’une violation du principe d’égalité de traitement
Le principe d’égalité de traitement, principe général du droit de l’Union, s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente, à moins qu’une telle différenciation ne soit objectivement justifiée. Dans le cadre du droit de la concurrence, ce principe exige que la Commission, lorsqu’elle détermine le montant des amendes pour une infraction commise par plusieurs entreprises, n’opère pas de distinction entre ces entreprises sans justification pertinente. En l’espèce, l’entreprise requérante soutenait avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire. En annulant l’arrêt du Tribunal « en ce qu’il rejette les griefs […] tirés de la violation du principe d’égalité de traitement », la Cour de justice a estimé que le Tribunal avait commis une erreur en ne reconnaissant pas cette rupture d’égalité. La haute juridiction a ainsi jugé que la méthode de calcul employée par la Commission, et validée à tort par le Tribunal, avait effectivement abouti à une sanction disproportionnée pour la requérante au regard de sa situation.
B. Le contrôle de l’erreur de droit commise par le Tribunal
Le pourvoi devant la Cour de justice est limité aux questions de droit. En l’espèce, la Cour n’a pas réexaminé les faits de l’entente, mais a contrôlé la qualification juridique qu’en a faite le Tribunal. Elle a considéré que le raisonnement du Tribunal, qui avait écarté l’argumentation de la requérante, était juridiquement erroné. L’erreur de droit a consisté, pour le Tribunal, à ne pas avoir correctement appliqué le principe d’égalité de traitement au cas d’espèce, validant ainsi une décision de la Commission qui était entachée d’illégalité sur ce point. Cette censure témoigne de la rigueur avec laquelle la Cour de justice veille à ce que les juridictions inférieures appliquent correctement les principes fondamentaux du droit de l’Union, lesquels encadrent strictement le pouvoir d’appréciation de la Commission en matière de sanctions.
La reconnaissance de cette erreur de droit a permis à la Cour de justice d’aller au-delà de la simple annulation de l’arrêt du Tribunal. Usant de sa compétence de pleine juridiction, elle a elle-même statué sur les conséquences de cette illégalité.
II. Les conséquences de l’annulation tirées de la compétence de pleine juridiction
Conformément aux traités, la Cour de justice dispose d’une compétence de pleine juridiction en matière de sanctions concurrentielles. Cette compétence lui a permis d’annuler directement la disposition pertinente de la décision de la Commission (A) et de procéder elle-même à la fixation du nouveau montant de l’amende (B).
A. L’annulation partielle de la décision de la Commission
Une fois l’arrêt du Tribunal partiellement annulé, la Cour de justice, estimant que l’affaire était en état d’être jugée au fond, n’a pas renvoyé le dossier devant une autre juridiction. Elle a directement statué sur le recours initial de l’entreprise en annulant elle-même la sanction litigieuse. Le dispositif de son arrêt précise ainsi que « L’article 2, paragraphe 3, de la décision c(2019) 4969 final de la Commission […] est annulé ». Cette intervention directe illustre la volonté d’une bonne administration de la justice, en évitant des délais de procédure supplémentaires qu’aurait engendrés un renvoi. La Cour se substitue ainsi à la fois au Tribunal et à la Commission pour tirer les conséquences de l’illégalité qu’elle a constatée.
B. La fixation souveraine du nouveau montant de l’amende
L’exercice de la compétence de pleine juridiction trouve son expression la plus concrète dans la capacité de la Cour à réformer la décision attaquée, et non seulement à l’annuler. Après avoir annulé l’article de la décision de la Commission qui fixait l’amende, la Cour a procédé à une nouvelle évaluation de la sanction pécuniaire due par l’entreprise requérante. Elle a ainsi souverainement arrêté que « le montant de l’amende infligée à Ferriere Nord SpA […] est fixé à la somme de 2 165 000 euros ». En recalculant elle-même l’amende pour qu’elle soit conforme au principe d’égalité de traitement, la Cour de justice met un terme définitif au litige. La répartition des dépens, chaque partie supportant ses propres frais pour l’ensemble des procédures, reflète quant à elle le succès seulement partiel des prétentions de l’entreprise requérante, dont les autres moyens avaient été rejetés.