Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2024, n°C-31/23

Dans un arrêt rendu sur pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les modalités de fixation des amendes en matière de droit de la concurrence. En l’espèce, une entreprise active dans le secteur des ronds à béton a été sanctionnée par la Commission européenne pour sa participation à une entente prohibée par l’article 65 du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’entreprise a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de cette décision. Par un arrêt du 9 novembre 2022, le Tribunal a rejeté l’essentiel des moyens soulevés par la requérante, confirmant en grande partie la sanction imposée. Soutenant que le Tribunal avait commis plusieurs erreurs de droit, notamment dans l’application du principe d’égalité de traitement, l’entreprise a formé un pourvoi devant la Cour de justice. La question juridique centrale posée à la Cour était de savoir si le Tribunal avait correctement apprécié la légalité de la sanction au regard du traitement réservé à d’autres participants à l’infraction. La Cour de justice a estimé que le raisonnement du Tribunal était entaché d’une erreur de droit sur ce point précis. Elle a par conséquent annulé partiellement l’arrêt du Tribunal ainsi que la disposition de la décision de la Commission fixant le montant de l’amende, avant de fixer elle-même un nouveau montant réduit.

La décision de la Cour de justice rappelle avec force l’exigence du respect du principe d’égalité de traitement dans la répression des ententes (I), tout en illustrant le plein exercice de sa compétence pour réformer les sanctions pécuniaires qui en découlent (II).

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I. La censure de l’erreur de droit relative au principe d’égalité de traitement

La Cour de justice fonde sa décision d’annulation partielle sur une application rigoureuse du principe d’égalité de traitement (A), ce qui la conduit à constater une défaillance dans le contrôle opéré par le Tribunal (B).

A. Le respect impératif du principe d’égalité dans la détermination des sanctions

Le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union. Il exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. En matière de concurrence, ce principe s’applique à la Commission lorsqu’elle inflige des amendes aux entreprises ayant participé à une même infraction. La méthode de calcul et les éventuelles réductions de sanction doivent ainsi reposer sur des critères objectifs et cohérents pour l’ensemble des participants. Une entreprise est fondée à invoquer une violation de ce principe si elle démontre avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à une autre entreprise se trouvant dans une situation comparable.

Cette exigence fondamentale de non-discrimination a conduit la Cour à un examen minutieux du raisonnement suivi par les premiers juges. Le contrôle juridictionnel doit en effet s’assurer que l’exercice du pouvoir de sanction par la Commission n’a pas abouti à une rupture d’égalité injustifiée entre les coauteurs de l’infraction.

B. La caractérisation d’une violation dans le raisonnement du Tribunal

La Cour de justice a estimé que le Tribunal n’avait pas correctement exercé son contrôle sur la décision de la Commission. En effet, le pourvoi est accueilli favorablement sur ce point précis, l’arrêt attaqué étant annulé en ce qu’il « rejette les griefs du neuvième moyen de première instance […] tirés de la violation du principe d’égalité de traitement ». L’entreprise requérante avait vraisemblablement soutenu que la sanction qui lui avait été infligée était disproportionnée par rapport à celle imposée à un autre membre de l’entente, alors que leur situation était analogue. En écartant ce grief, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’appréciation des conditions d’application de ce principe. La Cour de justice, en sa qualité de juge du droit, censure ainsi l’interprétation juridique retenue par le Tribunal, réaffirmant par là même la portée de ce principe dans le contexte de la sanction des pratiques anticoncurrentielles.

La censure ainsi prononcée à l’encontre de l’arrêt du Tribunal n’a pas laissé la Cour sans voie d’action, celle-ci tirant pleinement les conséquences de sa décision.

II. Les conséquences de la cassation : la réformation de la sanction par la Cour

L’annulation de l’arrêt du Tribunal entraîne par voie de conséquence l’annulation de la disposition litigieuse de la décision de la Commission (A), ce qui permet à la Cour de justice de substituer sa propre appréciation en fixant un nouveau montant pour l’amende (B).

A. L’annulation de l’article de la décision de la Commission fixant l’amende

La constatation d’une erreur de droit affectant la validité de l’amende a conduit logiquement la Cour à annuler la disposition qui en fixait le montant. Le dispositif de l’arrêt est explicite en ce qu’il dispose que « L’article 2, paragraphe 3, de la décision c(2019) 4969 final de la Commission […] est annulé ». En statuant ainsi, la Cour ne renvoie pas l’affaire devant l’instance administrative pour qu’elle adopte une nouvelle décision. Elle purge directement l’ordre juridique de la disposition entachée d’illégalité. Cette intervention directe témoigne d’une volonté de clore le litige de manière efficace et définitive, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. L’annulation de la sanction ouvre alors la voie à une nouvelle liquidation de celle-ci.

Au-delà de cette annulation partielle, la Cour a entendu clore définitivement le litige en fixant elle-même le nouveau montant de la sanction pécuniaire.

B. L’exercice de la compétence de pleine juridiction pour la fixation du nouveau montant

En matière de concurrence, la Cour de justice, statuant sur pourvoi, dispose d’une compétence de pleine juridiction. Cette compétence lui permet non seulement d’annuler une décision, mais aussi de la réformer, y compris en ce qui concerne le montant des amendes. Faisant application de cette prérogative, la Cour établit que « le montant de l’amende infligée […] est fixé à la somme de 2 165 000 euros ». Elle substitue ainsi sa propre évaluation à celle de la Commission, corrigeant l’effet de la rupture d’égalité de traitement précédemment constatée. Cet exercice de la compétence de pleine juridiction permet d’assurer une solution rapide au litige, évitant aux parties les délais et les coûts d’un renvoi devant une juridiction inférieure ou devant l’autorité administrative. La portée de la décision est donc également pratique, illustrant le rôle de la Cour comme instance ultime de règlement des contentieux de la concurrence.

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Hassan KOHEN
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