Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2024, n°C-412/22

Par un arrêt du 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’un renvoi préjudiciel par le Supremo Tribunal Administrativo portugais, s’est prononcée sur les effets dans le temps de l’abrogation d’un règlement instituant des droits antidumping. En l’espèce, une société avait agi en tant que représentant en douane indirect pour l’importation d’éléments de fixation en acier en 2010, déclarés comme étant d’origine malaisienne et ainsi exemptés de droits antidumping. Une enquête ultérieure de l’Office européen de lutte antifraude a révélé que les marchandises étaient en réalité originaires de la République populaire de Chine et auraient dû être soumises aux droits antidumping prévus par le règlement (CE) n° 91/2009. En 2018, l’administration douanière nationale a émis un avis de recouvrement a posteriori pour percevoir lesdits droits. Cependant, entre-temps, le règlement instituant ces droits avait été abrogé par le règlement d’exécution (UE) 2016/278, avec effet au 28 février 2016.

Le représentant en douane a contesté le recouvrement, obtenant gain de cause en première instance au motif que la base légale des droits avait disparu. Saisie en appel, l’administration douanière a soutenu que l’abrogation n’avait que des effets pour l’avenir et ne pouvait effacer des dettes douanières nées antérieurement. Face à cette difficulté d’interprétation, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si l’article 2 du règlement d’exécution 2016/278 devait être interprété en ce sens que l’abrogation des droits antidumping s’opposait à leur recouvrement a posteriori pour des importations antérieures à la date d’entrée en vigueur de ce règlement. La Cour de justice répond que l’abrogation « ne s’oppose pas à ce qu’il soit procédé, dans le cadre d’un recouvrement a posteriori effectué après la date d’entrée en vigueur de ce règlement, à la perception de ces droits antidumping ». La Cour clarifie ainsi la portée temporelle de l’abrogation d’une mesure de défense commerciale en distinguant rigoureusement ses effets de ceux d’une annulation (I), tout en réaffirmant les principes régissant les rapports entre l’ordre juridique de l’Union et le droit de l’Organisation mondiale du commerce (II).

I. La clarification de la portée temporelle d’une abrogation

La Cour de justice fonde sa solution sur une distinction nette entre l’abrogation pour l’avenir et l’annulation rétroactive, réaffirmant le principe de survie de la dette douanière née sous l’empire de la loi ancienne. Elle consacre ainsi une abrogation aux effets strictement futurs (A), entraînant la survie de la dette douanière née antérieurement (B).

A. L’affirmation d’une abrogation aux effets strictement futurs

La Cour souligne que les termes mêmes du règlement d’abrogation fixent la portée de ses effets dans le temps. L’article 2 de cet acte prévoit en effet que l’abrogation « prend effet à compter de la date d’entrée en vigueur de ce règlement et ne sert pas de base pour le remboursement des droits perçus avant cette date ». La Cour en déduit qu’il ne ressort « aucunement de ce libellé que l’abrogation des droits antidumping prévue à l’article 1er de ce règlement s’appliquerait d’une manière rétroactive ». Elle écarte ainsi l’argument selon lequel la précision relative à l’absence de remboursement constituerait une exception à un principe implicite de rétroactivité ; au contraire, cette mention confirme le caractère non rétroactif de la mesure.

De plus, la Cour réfute l’assimilation de l’abrogation à une annulation pour illégalité qui aurait des effets *ex tunc*. Bien que l’abrogation ait été motivée par des décisions de l’Organe de règlement des différends de l’OMC constatant la non-conformité du règlement initial, la Cour rappelle qu’une abrogation par l’auteur de l’acte « ne saurait être assimilée à une constatation de l’illégalité de cet acte ayant des effets ex tunc, puisqu’une telle abrogation ne produit d’effet que pour l’avenir ». Cette distinction est fondamentale, car elle préserve les situations juridiques constituées sous l’empire de l’acte abrogé, qui demeure valide pour la période où il était en vigueur.

B. La survie conséquente de la dette douanière née antérieurement

La conséquence logique de l’absence de rétroactivité de l’abrogation est le maintien des obligations nées avant son entrée en vigueur. La Cour rappelle le mécanisme de naissance de la dette douanière, tel que prévu par le code des douanes applicable à l’époque des faits. Conformément à l’article 201 du règlement n° 2913/92, « fait naître une dette douanière à l’importation […] la mise en libre pratique d’une marchandise passible de droits à l’importation, cette dette naissant au moment de l’acceptation de la déclaration en douane en cause ». En l’espèce, les importations ayant eu lieu en 2010, la dette douanière, incluant les droits antidumping, est née à cette date.

Le fait que la créance n’ait été liquidée et son paiement réclamé que bien plus tard, après l’abrogation de l’acte l’ayant instituée, est sans incidence sur son existence. L’abrogation du règlement n° 91/2009 n’affecte donc « ni la naissance d’une dette douanière […] ni le recouvrement a posteriori de ces droits ». La Cour établit ainsi une solution claire : la perception des droits dépend de la loi en vigueur au moment du fait générateur de la dette, et non de celle en vigueur au moment de son recouvrement.

Au-delà de cette clarification technique, la solution retenue par la Cour s’inscrit dans un contexte juridique plus large, marqué par l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union et la nécessité de protéger ses intérêts.

II. Une solution confortant l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union

La décision de la Cour réaffirme la position constante de la jurisprudence sur l’absence d’effet direct des accords de l’OMC (A), et consacre une solution pragmatique qui préserve la sécurité juridique et les intérêts financiers de l’Union (B).

A. Le rappel de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union face aux décisions de l’OMC

L’argument central du requérant au principal reposait sur l’idée que l’abrogation était la conséquence d’une non-conformité du droit de l’Union avec les règles de l’OMC, ce qui aurait dû entraîner une invalidité rétroactive. La Cour balaie cet argument en rappelant sa jurisprudence établie. Elle juge que « la validité du règlement n° 91/2009 ne saurait être appréciée au regard des accords figurant aux annexes 1 à 3 l’accord instituant l’OMC et, plus particulièrement, au regard de ces décisions de l’ORD ». Ce faisant, elle confirme que ni les accords de l’OMC ni les rapports de son Organe de règlement des différends ne peuvent être invoqués par des particuliers pour contester la légalité d’un acte de l’Union.

L’abrogation du règlement litigieux n’est donc pas une reconnaissance de son illégalité ab initio dans l’ordre juridique de l’Union, mais une mesure prise par les institutions européennes pour mettre leur législation en conformité avec leurs engagements internationaux. La Cour distingue ainsi la mise en conformité internationale, qui relève de l’action politique des institutions, de l’appréciation de la validité d’un acte, qui obéit aux seules règles de l’ordre juridique de l’Union. Cette position préserve l’autonomie et la cohérence de ce dernier.

B. La consécration d’une solution protectrice de la sécurité juridique et des intérêts financiers de l’Union

En refusant de donner un effet rétroactif à l’abrogation, la Cour assure la sécurité juridique pour l’ensemble des opérateurs économiques et des administrations. Une solution contraire aurait créé une incertitude considérable, remettant en cause des situations juridiques anciennes et créant un effet d’aubaine pour les opérateurs ayant frauduleusement échappé à leurs obligations. La solution retenue garantit que les obligations nées sous l’empire d’une loi restent dues, même si cette loi est modifiée ou abrogée par la suite.

Cette interprétation protège également les intérêts financiers de l’Union. Les droits antidumping constituent des ressources propres et visent à protéger le marché intérieur contre des pratiques commerciales déloyales. Permettre à un opérateur de se prévaloir d’une abrogation ultérieure pour échapper au paiement de droits légalement dus au moment d’une importation frauduleuse aurait constitué une atteinte directe à ces intérêts. Enfin, la Cour précise que les circonstances de la découverte de la fraude, en l’occurrence une enquête de l’OLAF, sont « dépourvues de pertinence quant aux effets dans le temps de l’abrogation ». Cette précision renforce le caractère purement juridique de la solution, indépendamment des faits d’espèce, et confirme que le droit au recouvrement de la dette douanière persiste tant que le délai de prescription n’est pas écoulé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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