Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2024, n°C-585/22

Une société établie aux Pays-Bas a acquis la majorité des participations d’une autre entité résidente en utilisant des fonds empruntés à une société liée belge. L’administration fiscale a rejeté la déduction des intérêts de cet emprunt, estimant que l’opération visait uniquement à éluder l’impôt sur les bénéfices. La Cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden a validé ce redressement par un arrêt rendu le 20 octobre 2020, entraînant un pourvoi devant la Cour suprême des Pays-Bas. Le litige porte sur la compatibilité avec l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne d’une législation nationale limitant la déductibilité des intérêts. La juridiction de renvoi demande si une dette contractée à des conditions de pleine concurrence peut néanmoins être qualifiée de montage purement artificiel par les autorités. La Cour de justice répond par l’affirmative, soulignant que l’absence de justification économique de l’emprunt permet le refus total de la déduction des intérêts versés. L’analyse portera d’abord sur l’identification du caractère artificiel du montage financier avant d’examiner la proportionnalité du refus de déduction opposé au contribuable.

I. L’appréciation de l’artificialité indépendamment des conditions de marché

La Cour de justice précise que la conformité d’un taux d’intérêt aux conditions du marché ne suffit pas à écarter la qualification de montage purement artificiel.

A. Le dépassement du critère formel de pleine concurrence

Le juge européen rappelle que la notion de montage artificiel repose sur la volonté d’obtenir un avantage fiscal sans réalité économique sous-jacente aux opérations réalisées. « L’examen des seules conditions formelles des transactions ne saurait suffire afin d’apprécier la réalité économique d’une opération déterminée », énonce la Cour dans sa décision. Le respect des conditions de pleine concurrence concernant le montant ou le taux d’intérêt constitue un indice utile mais demeure insuffisant pour justifier l’opération. Un emprunt peut être conclu aux taux du marché tout en étant dicté par des motifs fiscaux impérieux rendant l’acte juridiquement superflu pour le groupe. La recherche d’un avantage fiscal devient abusive lorsque l’opération est dépourvue de substance économique réelle malgré le respect formel des critères de pleine concurrence. Cette approche permet de neutraliser les structures financières créées artificiellement pour déplacer des bénéfices vers des juridictions à la fiscalité plus avantageuse au sein de l’Union.

B. L’exigence d’une logique économique globale du financement

La validité d’une opération dépend de la démonstration par le contribuable que l’emprunt et l’opération liée se fondent sur des considérations économiques déterminantes et vérifiables. Les autorités nationales doivent procéder à un examen individuel de l’ensemble de l’opération pour vérifier si le financement aurait été contracté entre des entités indépendantes. La Cour souligne que la redirection de fonds propres convertis en capitaux d’emprunt au sein d’un même groupe caractérise souvent l’absence de toute logique commerciale réelle. « Les dettes d’emprunt contractées de manière arbitraire et sans motifs économiques constituent des montages purement artificiels », confirme le juge pour guider l’interprétation nationale. L’appréciation souveraine des faits par les juges du fond doit ainsi se concentrer sur la nécessité de l’emprunt pour la réalisation des objectifs du groupe. Cette exigence de justification économique renforce l’efficacité de la lutte contre l’érosion des bases imposables nationales tout en respectant la liberté d’établissement.

II. La légitimité d’une sanction proportionnée à la fraude fiscale

L’arrêt valide le refus intégral de la déduction fiscale dès lors que le montage est reconnu comme artificiel par les autorités compétentes de l’État membre.

A. La validation du refus intégral de déduction des intérêts

Le principe de proportionnalité autorise le refus total de la déduction lorsque le prêt n’aurait jamais été contracté en l’absence de la relation spéciale entre sociétés. Le juge distingue cette situation du cas où seul le taux d’intérêt est excessif, imposant alors une simple réduction de la fraction dépassant le marché. « Il est conforme au principe de proportionnalité de refuser la déduction de l’intégralité desdits intérêts » quand l’opération elle-même est dénuée de toute justification économique. Le maintien d’une déduction partielle encouragerait le maintien de montages abusifs en permettant au contribuable de conserver une partie de l’avantage fiscal indûment recherché. La sanction doit ignorer totalement le montage artificiel pour rétablir la situation fiscale qui aurait prévalu en l’absence de ces manœuvres de planification fiscale. Cette rigueur assure la cohérence du régime fiscal national face à des stratégies visant spécifiquement à contourner l’imposition normale des bénéfices générés sur le territoire.

B. La préservation de la cohérence du régime fiscal contre les pratiques abusives

La législation nationale ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir l’évasion fiscale car elle permet au contribuable de prouver ses raisons. Le respect de la sécurité juridique est garanti par l’utilisation de critères clairs permettant aux entreprises de prévoir les conséquences fiscales de leurs choix de financement. La Cour estime que l’usage de notions abstraites est inévitable pour appréhender la diversité des montages créés à des seules fins d’évasion ou de fraude. « L’emploi de notions abstraites n’implique pas que l’application de la législation soit laissée à l’entière discrétion de l’administration fiscale », précise le juge européen. La possibilité de renverser la présomption d’artificialité garantit que les transactions économiquement fondées ne sont pas injustement pénalisées par le dispositif anti-abus en vigueur. L’arrêt consacre ainsi un équilibre entre la protection des libertés fondamentales du marché intérieur et la souveraineté fiscale des États membres face aux abus.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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