Un joueur de football professionnel a vu son contrat de travail résilié par son club, une entité établie en Russie. Estimant la rupture abusive, le joueur a cherché à s’engager auprès d’un nouveau club en Belgique. Ce dernier a toutefois assorti sa proposition d’engagement de conditions suspensives, exigeant notamment la garantie de ne pas être tenu solidairement responsable du paiement de l’indemnité de rupture réclamée par l’ancien club, conformément au règlement de la fédération internationale de football. Face à l’impossibilité d’obtenir cette garantie et le certificat international de transfert nécessaire, le joueur a saisi les juridictions belges d’une action en responsabilité contre la fédération internationale et son homologue belge, invoquant une violation du droit de l’Union. La cour d’appel de Mons, saisie du litige, a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de la réglementation litigieuse avec les articles 45 et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question portait sur la validité des règles prévoyant la responsabilité solidaire du nouveau club, les sanctions sportives qui en découlent et le blocage du transfert en cas de litige contractuel. En réponse, la Cour de justice a jugé que de telles dispositions constituent une restriction à la libre circulation des travailleurs, disproportionnée par rapport à l’objectif de stabilité des équipes, et une décision d’association d’entreprises ayant pour objet de restreindre la concurrence, difficilement justifiable au regard des exemptions prévues par le traité.
La décision commentée offre une analyse approfondie des règles encadrant les transferts de joueurs au prisme du droit de l’Union, sanctionnant un système jugé excessivement contraignant. Ainsi, la Cour consacre la primauté de la liberté de circulation en condamnant des mécanismes disproportionnés (I), avant de qualifier ces mêmes mécanismes de restriction de concurrence par objet, une approche lourde de conséquences pour les réglementations sportives (II).
I. La sanction d’une restriction disproportionnée à la liberté de circulation des joueurs
La Cour de justice examine la réglementation de la fédération internationale au regard de l’article 45 du traité et conclut à l’existence d’une entrave injustifiée à la mobilité des travailleurs. Elle identifie d’abord une restriction caractérisée à la liberté des joueurs de changer de club (A), puis procède à un contrôle de proportionnalité rigoureux qui révèle le caractère excessif des mesures en cause (B).
A. La caractérisation d’une entrave manifeste à la mobilité professionnelle
L’analyse de la Cour met en lumière la manière dont le cumul des règles litigieuses dissuade les clubs de recruter un joueur ayant rompu unilatéralement son contrat. La responsabilité solidaire pour le paiement d’une indemnité, les sanctions sportives potentielles et le blocage administratif du transfert créent un environnement d’incertitude juridique et financière. Ces risques sont de nature à décourager toute tentative d’embauche, limitant de fait les opportunités de carrière pour le joueur concerné. La Cour souligne que ces règles « sont de nature à priver dans une très large mesure, que ce soit effectivement, comme dans le cas de bz, ou au moins potentiellement, tout joueur se trouvant dans un tel cas de la perspective de se voir adresser des propositions d’engagement fermes et inconditionnelles ». Cette situation constitue une restriction évidente à la liberté de circulation, car elle empêche ou dissuade un ressortissant de l’Union de quitter son pays pour exercer son activité économique dans un autre État membre. De plus, la règle interdisant la délivrance du certificat international de transfert en cas de litige s’applique spécifiquement aux mouvements transfrontaliers, ce qui renforce sa nature d’entrave. En rendant l’engagement d’un tel joueur économiquement et sportivement périlleux, le système réglementaire porte directement atteinte à l’un des piliers fondamentaux du marché intérieur.
B. La censure d’un mécanisme excédant l’objectif de stabilité des compétitions
Une fois l’entrave établie, la Cour examine si elle peut être justifiée par un objectif légitime d’intérêt général. Elle reconnaît que la préservation de la régularité des compétitions et de l’égalité des chances entre les clubs, par le maintien d’une certaine stabilité des équipes, constitue un objectif légitime. Cependant, l’appréciation de la proportionnalité des moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif se révèle fatale à la réglementation en cause. La Cour critique sévèrement les critères de calcul de l’indemnité due par le joueur, les jugeant « tantôt imprécis ou discrétionnaires, tantôt dépourvus de lien objectif avec la relation de travail concernée et tantôt disproportionnés ». L’inclusion de la rémunération future du joueur ou des frais de transfert antérieurs est jugée excessive. La responsabilité solidaire automatique du nouveau club est également jugée disproportionnée, car elle ne tient pas compte du comportement réel de ce dernier. De même, la sanction sportive consistant en une interdiction de recrutement, infligée sur la base d’une simple présomption d’incitation à la rupture, est qualifiée de « manifestement dépourvue de tout rapport de proportionnalité ». Enfin, l’interdiction de délivrer le certificat de transfert en cas de litige méconnaît également le principe de proportionnalité en raison de son automatisme. Cette analyse détaillée démontre que, si l’objectif est légitime, les moyens choisis par la fédération internationale vont bien au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
II. La qualification inédite de restriction de concurrence par objet
Au-delà de la violation de la libre circulation des travailleurs, la Cour de justice opère une qualification particulièrement sévère de la réglementation au regard de l’article 101 du traité. Elle y voit une décision d’association d’entreprises assimilable à un accord de non-débauchage (A), dont la nocivité intrinsèque pour la concurrence rend son exemption quasi impossible (B).
A. L’assimilation des règles de transfert à un accord de non-débauchage
La Cour rappelle que pour relever de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, un comportement doit avoir pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. Elle choisit ici la voie la plus stricte, celle de la restriction par objet, réservée aux accords révélant un degré suffisant de nocivité. L’examen de la teneur des règles, de leur contexte et de leur but objectif conduit à une conclusion radicale. En rendant le recrutement unilatéral d’un joueur sous contrat extrêmement risqué, ces règles visent à empêcher la concurrence entre les clubs pour l’accès à une ressource essentielle : le talent des joueurs. La Cour estime que ces dispositions « correspondent, en effet, à des accords de non-débauchage entre clubs qui, en substance, aboutissent à cloisonner artificiellement les marchés nationaux et locaux, au profit de l’ensemble des clubs ». Cette qualification est lourde de sens, car elle déplace la réglementation du terrain de la simple organisation sportive vers celui des ententes anticoncurrentielles. Elle ne protège pas la stabilité pour l’équité sportive, mais fige la répartition des ressources humaines entre concurrents, ce qui est l’une des finalités d’un cartel.
B. Une exemption au titre du droit de la concurrence rendue improbable
La qualification de restriction par objet emporte des conséquences procédurales déterminantes. Elle écarte d’emblée la possibilité de justifier les règles au titre de leur nécessité inhérente au bon fonctionnement du sport. La seule voie de salut restante est l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, du traité, qui impose la réunion de quatre conditions cumulatives. Or, la Cour exprime un scepticisme marqué quant à la possibilité pour la réglementation de satisfaire à ces conditions. En particulier, la troisième condition, exigeant que les restrictions soient indispensables à l’obtention des gains d’efficacité allégués, semble insurmontable. Ayant déjà établi, dans le cadre de son analyse de l’article 45, le caractère disproportionné et excessif des règles, la Cour suggère qu’il sera très difficile de démontrer leur indispensabilité. Cette approche ferme la porte à une justification facile et place les instances sportives devant l’obligation de prouver, par des éléments convaincants, que leurs réglementations restrictives créent des bénéfices objectifs et proportionnés. La portée de cette solution est considérable, car elle contraint les fédérations à revoir en profondeur tout système qui, sous couvert d’organisation, aurait pour objet réel de limiter la concurrence sur le marché des talents.