Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres pour la négociation d’un accord international. En l’espèce, à la suite de travaux préparatoires menés au sein du Conseil de l’Europe en vue d’élaborer une convention sur la protection des droits des organismes de radiodiffusion, la Commission européenne avait recommandé au Conseil de l’autoriser à négocier cet instrument au nom de l’Union. Le 19 décembre 2011, le Conseil et les représentants des gouvernements des États membres ont adopté une décision conjointe, qualifiée d’acte hybride, autorisant à la fois la Commission à négocier pour les matières relevant de la compétence de l’Union, et les États membres à participer aux négociations pour les questions relevant de leur propre compétence.
La Commission a alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour de justice. Elle soutenait que le domaine couvert par la future convention relevait d’une compétence externe exclusive de l’Union, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). De son côté, le Conseil, soutenu par plusieurs États membres intervenants, défendait le caractère partagé de la compétence, justifiant ainsi la nature hybride de la décision et la participation conjointe des États membres et de l’Union aux négociations. Le litige portait donc sur la délimitation des compétences externes de l’Union dans un domaine où un corps de règles européennes existait déjà.
La question de droit posée à la Cour était de déterminer si la négociation d’une convention internationale relative à la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion relevait de la compétence exclusive de l’Union, au motif que cet accord était susceptible d’affecter des règles communes adoptées au niveau de l’Union ou d’en altérer la portée, même si la future convention pouvait couvrir des aspects non encore exhaustivement réglementés par le droit de l’Union.
La Cour de justice annule la décision attaquée. Elle juge que le domaine concerné par les négociations est largement couvert par des règles communes de l’Union et que, par conséquent, les engagements internationaux qui seraient pris dans ce cadre sont susceptibles d’affecter ces règles ou d’en altérer la portée. La Cour en déduit que la négociation de la convention relève de la compétence exclusive de l’Union, rendant illégale l’adoption d’un acte hybride autorisant la participation des États membres en leur nom propre. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation extensive de la notion d’affectation des règles communes (I), dont elle confirme la portée pour l’action extérieure de l’Union (II).
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I. La consécration d’une compétence externe exclusive par l’effet de l’harmonisation interne
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse détaillée de l’article 3, paragraphe 2, TFUE, qu’elle interprète de manière large (A), avant d’appliquer ce raisonnement au domaine spécifique des droits des organismes de radiodiffusion pour en déduire l’exclusivité de la compétence de l’Union (B).
A. Le critère de l’affectation des règles communes, une lecture extensive
La Cour rappelle que la compétence externe de l’Union peut devenir exclusive lorsque la conclusion d’un accord international « est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée ». Elle précise que ces termes, issus de la codification de la jurisprudence initiée par l’arrêt *AETR* de 1971, doivent être interprétés à la lumière de cette dernière. Ainsi, un risque d’atteinte aux règles communes existe dès lors que les engagements internationaux envisagés relèvent du domaine d’application de ces règles.
La Cour souligne que cette condition ne requiert pas une « concordance complète » entre le champ de la réglementation de l’Union et celui de l’accord international. Elle réaffirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle une compétence exclusive peut naître lorsque le domaine est « déjà couvert en grande partie » par des règles de l’Union. Par cette approche, la Cour rejette une conception restrictive qui limiterait la compétence exclusive aux seules hypothèses où une contradiction directe existerait entre l’accord international et le droit de l’Union. L’intégrité et l’uniformité du droit de l’Union justifient que les États membres ne puissent prendre, en dehors du cadre institutionnel de l’Union, des engagements qui, même sans être contradictoires, s’inscriraient dans un champ déjà largement harmonisé.
B. L’application au domaine des droits voisins des organismes de radiodiffusion
Pour appliquer ce principe au cas d’espèce, la Cour examine concrètement la relation entre la future convention et l’acquis de l’Union. Elle constate que les droits voisins des organismes de radiodiffusion font l’objet, en droit de l’Union, d’un « cadre juridique harmonisé » à travers plusieurs directives. Ce cadre a institué un régime de protection élevée et homogène, ce qui délimite le domaine pertinent pour l’analyse de la compétence.
La Cour examine ensuite les points spécifiques des négociations susceptibles, selon le Conseil et les États membres, de relever de la compétence nationale. Concernant le droit de rediffusion, elle note que, bien que le droit de l’Union ne couvre que la rediffusion par ondes radioélectriques, une négociation visant à l’étendre à la rediffusion par fil ou par internet serait « susceptible d’altérer la portée des règles communes ». De même, s’agissant de la protection des signaux prédiffusés, non régie en tant que telle par le droit de l’Union, la Cour observe qu’une des solutions envisagées dans les documents préparatoires, à savoir l’élargissement de la notion d’« émissions » pour inclure ces signaux, affecterait de manière transversale l’ensemble des règles communes. À l’inverse, elle écarte comme hypothétiques les arguments relatifs à l’introduction de sanctions pénales, car aucun document préparatoire ne les étaye. L’analyse démontre ainsi que le domaine est largement couvert et que toute négociation sur ses aspects, même non encore réglementés, impacterait l’acquis existant.
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II. La portée de la solution : une affirmation de la cohérence de l’ordre juridique de l’Union
En annulant la décision du Conseil, l’arrêt renforce une approche fonctionnelle de la compétence externe de l’Union (A) et clarifie les conséquences pratiques pour la négociation d’accords internationaux dans les domaines largement harmonisés (B).
A. La confirmation d’une approche fonctionnelle de la compétence externe
L’arrêt constitue une clarification importante dans le contexte du traité de Lisbonne. La Cour confirme que l’article 3, paragraphe 2, TFUE n’a pas opéré une rupture mais a bien codifié la jurisprudence *AETR* et ses développements ultérieurs. Elle écarte l’argument selon lequel le Protocole n° 25 sur l’exercice des compétences partagées imposerait une lecture plus restrictive. Ce protocole, qui précise que l’action de l’Union dans un domaine ne couvre que les éléments régis par l’acte en question, s’applique à la délimitation des compétences partagées au sens de l’article 2, paragraphe 2, TFUE, mais non à la détermination d’une compétence externe exclusive fondée sur l’affectation des règles communes.
La décision réaffirme ainsi le principe du parallélisme des compétences internes et externes, selon lequel l’exercice par l’Union de sa compétence interne peut entraîner une extension de sa compétence externe, qui devient alors exclusive. Cette approche fonctionnelle garantit que l’action normative de l’Union sur le marché intérieur ne soit pas privée d’effets ou altérée par des actions divergentes des États membres sur la scène internationale. La cohérence entre l’ordre juridique interne de l’Union et ses engagements externes est ainsi préservée.
B. Les implications pour la négociation des accords internationaux dans les domaines harmonisés
La portée de cet arrêt est considérable pour la conduite des relations extérieures de l’Union. Il renforce la position de la Commission en tant que négociateur unique dans tous les domaines où l’Union a développé une législation substantielle, même si celle-ci n’est pas totalement exhaustive. La simple existence d’un cadre juridique harmonisé avancé suffit à déclencher l’exclusivité de la compétence de l’Union pour négocier des accords internationaux touchant à ce domaine.
En conséquence, la possibilité pour les États membres d’intervenir en leur nom propre dans de telles négociations se trouve fortement limitée. La décision illustre que la détermination de la nature de la compétence ne peut se faire par un simple découpage mécanique des matières, mais exige une analyse globale de l’impact potentiel de l’accord sur le système juridique de l’Union. Elle impose de ce fait une discipline rigoureuse aux institutions et aux États membres, au service de l’unité de la représentation internationale de l’Union. La coopération loyale, dans ce contexte, ne se traduit pas par une action mixte, mais par le ralliement à une action unifiée menée par l’Union seule.