Cour de justice de l’Union européenne, le 4 septembre 2014, n°C-157/13

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les critères de détermination de la compétence juridictionnelle internationale dans le cadre d’une action en recouvrement initiée par le syndic d’une entreprise en faillite. En l’espèce, le syndic d’une société de transport lituanienne, déclarée insolvable, avait engagé une action en paiement contre l’un de ses clients, une société allemande, pour des services de transport de marchandises. L’action fut introduite devant les juridictions lituaniennes, lieu du siège de la société en faillite.

Les juridictions lituaniennes de première instance et d’appel se déclarèrent compétentes en se fondant sur le droit national de l’insolvabilité et en considérant que le litige relevait de l’exception en matière de faillite prévue par le règlement n° 44/2001, dit « Bruxelles I », ce qui justifiait l’application du règlement n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême de Lituanie, incertaine de l’articulation entre les différents textes européens et les conventions internationales, décida de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.

La question juridique centrale était de savoir si une action en paiement d’une créance commerciale, bien qu’intentée par le syndic d’une entreprise en faillite dans l’intérêt de la masse des créanciers, relevait de la « matière civile et commerciale » au sens du règlement n° 44/2001, ou si elle devait être considérée comme une action dérivant directement de la procédure d’insolvabilité et régie par le règlement n° 1346/2000. Accessoirement, il était demandé de clarifier le conflit de normes entre le règlement Bruxelles I et la Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR).

La Cour de justice répond que l’action en paiement, même exercée par un syndic, conserve sa nature de créance civile et commerciale, son fondement juridique étant contractuel et non spécifique au droit de l’insolvabilité. Elle juge en outre que les règles de compétence de la convention CMR peuvent primer celles du règlement Bruxelles I, sous réserve de leur compatibilité avec les principes fondamentaux de l’espace judiciaire européen. La Cour, en retenant le fondement juridique de l’action comme critère principal, clarifie la frontière entre les matières d’insolvabilité et commerciales (I), avant de statuer sur l’application concurrente des règles de compétence issues de conventions spéciales (II).

I. La qualification de l’action en paiement au regard du droit de l’insolvabilité

La Cour de justice, pour déterminer le règlement applicable, opère une distinction nette entre le contexte procédural de l’action et son fondement juridique (A), confirmant par là même une interprétation restrictive de l’exception prévue en matière d’insolvabilité (B).

A. Le fondement juridique de l’action comme critère exclusif de qualification

La Cour énonce avec force que « le critère déterminant retenu par la Cour pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s’inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière ». En appliquant ce principe, elle constate que l’action en recouvrement de la créance de transport est fondée sur un contrat commercial. Le droit ou l’obligation qui sert de base à la demande trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial, et non dans des règles dérogatoires spécifiques aux procédures d’insolvabilité.

Le fait que l’action soit exercée par le syndic après l’ouverture d’une procédure collective est jugé indifférent. Le syndic ne fait qu’exercer un droit qui préexistait dans le patrimoine du débiteur avant son dessaisissement. La nature de la créance reste inchangée. L’action aurait pu être introduite par le créancier lui-même avant l’ouverture de la procédure, et elle aurait alors incontestablement relevé du règlement n° 44/2001. La substitution du syndic au dirigeant de la société n’altère donc pas la substance de la demande. Ce raisonnement permet de distinguer de telles actions de celles qui, comme l’action révocatoire ou l’action en comblement de passif, dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et trouvent leur fondement dans des dispositions spécifiques à cette matière.

B. La confirmation d’une interprétation restrictive de l’exception d’insolvabilité

En se prononçant ainsi, la Cour de justice confirme sa jurisprudence antérieure qui favorise une application large du règlement n° 44/2001 et, corrélativement, une interprétation stricte de l’exclusion relative aux « faillites, concordats et autres procédures analogues ». Cette approche vise à garantir la prévisibilité de la compétence juridictionnelle et la sécurité juridique pour les justiciables. Si la simple qualité de syndic du demandeur suffisait à attirer toute action en recouvrement dans le champ du règlement sur l’insolvabilité, cela reviendrait à soumettre un cocontractant à la compétence des tribunaux de l’État d’ouverture de la procédure collective pour un litige de nature purement commerciale.

Une telle solution porterait atteinte à la prévisibilité des fors compétents, car le défendeur serait attrait devant une juridiction qu’il ne pouvait raisonnablement anticiper au moment de la conclusion du contrat. La Cour rappelle ainsi que seules les actions qui « dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement » sont exclues du champ du règlement Bruxelles I. L’action en paiement d’une facture commerciale, n’ayant qu’un lien indirect avec la procédure d’insolvabilité, ne remplit pas cette double condition cumulative. La solution assure donc la cohérence de l’espace judiciaire européen en maintenant les litiges commerciaux dans leur sphère naturelle.

II. L’articulation des règles de compétence générales et spéciales

Une fois la nature civile et commerciale du litige établie, la Cour se penche sur la coexistence des règles de compétence du règlement n° 44/2001 avec celles de la CMR. Elle réaffirme la primauté des conventions spéciales (A) tout en la conditionnant au respect des principes fondamentaux du droit de l’Union (B).

A. La primauté de principe de la convention spéciale en matière de transport

L’article 71 du règlement n° 44/2001 dispose que ce dernier « n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire ». La Cour confirme que la CMR, en tant que convention spéciale régissant le transport international de marchandises par route, bénéficie de cette dérogation. Par conséquent, les règles de compétence prévues à l’article 31 de la CMR ont vocation à s’appliquer et à écarter celles du règlement Bruxelles I.

Ce principe de spécialité permet de préserver l’uniformité des règles applicables à des contrats très spécifiques, pour lesquels une réglementation internationale a été négociée afin de répondre aux besoins particuliers du secteur. L’article 31 de la CMR offre au demandeur une option de compétence entre les juridictions du pays de résidence du défendeur, celles du lieu de la prise en charge de la marchandise, ou celles du lieu prévu pour la livraison. La Cour reconnaît donc que, dès lors que le litige entre dans le champ d’application matériel de la CMR, ses règles de compétence doivent en principe prévaloir sur les dispositions générales du règlement n° 44/2001.

B. La compatibilité des règles de la CMR avec les objectifs de l’Union

Toutefois, la Cour précise que cette primauté n’est pas inconditionnelle. L’application des règles d’une convention spéciale ne doit pas porter atteinte aux principes qui sous-tendent la coopération judiciaire européenne, notamment la prévisibilité des juridictions, la sécurité juridique et la bonne administration de la justice. La Cour procède donc à un contrôle de compatibilité. Elle compare les options de compétence offertes par l’article 31 de la CMR à celles du règlement n° 44/2001, en particulier son article 5, point 1.

Elle constate que l’option offerte par la CMR, bien que potentiellement plus large que celle du règlement pour un contrat de service, correspond en substance à la même logique de proximité et de prévisibilité. Le choix entre le lieu de départ et le lieu d’arrivée de la prestation de transport est jugé conforme à l’objectif de sécurité juridique, car il permet aux deux parties « d’identifier facilement les juridictions susceptibles d’être saisies ». La faculté de choix est limitée à des fors objectifs, étroitement liés au contrat. Cette analyse pragmatique démontre que la primauté accordée aux conventions spéciales n’est pas une simple clause de style, mais qu’elle est subordonnée à une vérification concrète de leur harmonie avec l’esprit du droit processuel de l’Union. La portée de la décision est donc double : elle clarifie les règles de compétence en cas d’insolvabilité tout en encadrant l’autonomie des conventions spéciales au sein de l’ordre juridique européen.

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Hassan KOHEN
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