Cour de justice de l’Union européenne, le 4 septembre 2014, n°C-256/13

Dans un arrêt du 4 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des dispositions fiscales de la directive du 7 mars 2002, dite « autorisation », relative aux réseaux et services de communications électroniques. En l’espèce, une province belge avait adopté plusieurs règlements instaurant une taxe générale sur les implantations situées sur son territoire, visant toute personne morale y possédant une ou plusieurs implantations à usage professionnel. Deux opérateurs de téléphonie mobile, titulaires de droits d’utilisation de radiofréquences, se sont vus assujettis à cette taxe au titre des mâts, pylônes et antennes nécessaires à leur activité. Les opérateurs ont contesté ces impositions en soutenant qu’elles étaient contraires au cadre harmonisé par le droit de l’Union.

Saisie en première instance, la juridiction belge a annulé les avis d’imposition. La province a alors interjeté appel devant la cour d’appel d’Anvers. Cette dernière, confrontée à une jurisprudence nationale qui validait une telle taxe au regard du droit interne, a néanmoins décidé de surseoir à statuer. Elle a soumis à la Cour de justice une question préjudicielle visant à déterminer si les articles 6 et 13 de la directive « autorisation » s’opposent à ce qu’une autorité publique soumette l’activité économique des opérateurs de télécommunications, matérialisée par la présence de leurs infrastructures, à une telle taxe. La question posée revenait donc à se demander si une taxe générale sur les implantations, dont le fait générateur est l’occupation d’une superficie à des fins professionnelles, entre dans la catégorie des redevances sur les réseaux et services de communications électroniques que la directive entend encadrer de manière exhaustive.

La Cour de justice répond que les articles 6 et 13 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une telle taxe. Elle estime en effet qu’une imposition générale sur les implantations ne constitue pas une redevance pour l’octroi de droits d’utilisation de radiofréquences ou de droits de mettre en place des ressources, et échappe par conséquent au champ d’application de la directive. La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte du régime des redevances autorisées par la directive (I), dont la portée confirme une marge d’appréciation fiscale substantielle au profit des collectivités locales (II).

I. La délimitation stricte du champ d’application des redevances autorisées par la directive

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse du système de taxation institué par la directive « autorisation », en rappelant d’abord le caractère limitatif des charges pécuniaires autorisées (A), pour ensuite exclure la taxe litigieuse en raison de son fait générateur distinct (B).

A. Le rappel du caractère exhaustif des redevances spécifiques aux télécommunications

La Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle les États membres ne peuvent percevoir sur la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques d’autres charges que celles prévues par la directive. Ce texte vise à créer un marché intérieur harmonisé en simplifiant les règles d’autorisation et en limitant les obstacles financiers à l’entrée sur le marché. L’article 6 de la directive, combiné à son annexe, dresse une liste exhaustive des conditions pouvant être assorties à une autorisation générale ou à des droits d’utilisation. Parmi ces conditions figurent les redevances prévues à l’article 13.

Dans le cas présent, la Cour écarte rapidement l’application de l’article 6 en constatant que la taxe provinciale ne figure pas au nombre des conditions énumérées à l’annexe de la directive. Comme elle le note, une telle taxe ne constitue pas une condition attachée à l’autorisation de fournir un service de communication, mais une charge fiscale de portée générale. Ce faisant, la Cour confirme que toute charge qui ne serait pas directement liée à une contrepartie prévue par la directive est, soit interdite si elle vise spécifiquement le secteur, soit en dehors de son champ d’application si elle relève du droit commun.

B. L’exclusion de la taxe litigieuse par l’identification de son fait générateur

Le cœur du raisonnement de la Cour porte sur l’interprétation de l’article 13 de la directive. Cet article permet aux États membres d’imposer des redevances pour « les droits d’utilisation des radiofréquences ou des numéros ou les droits de mettre en place des ressources sur ou sous des biens publics ou privés », dans le but d’assurer une utilisation optimale de ces ressources. La Cour examine donc si la taxe provinciale peut être qualifiée de telle redevance. Elle conclut par la négative en se fondant sur le fait générateur de l’imposition.

Elle relève que la taxe en cause est due par « toute personne morale de droit belge ou étranger, possédant une implantation située sur le territoire de la Provincie Antwerpen qui est utilisée ou réservée pour son usage, et cela quelles que soient la nature de l’implantation et l’activité des assujettis à cette taxe ». Le montant dépend de la superficie occupée et non des spécificités de l’activité de télécommunication. La Cour en déduit que « le fait générateur de la taxe en cause au principal n’est pas lié à l’octroi des droits d’utilisation des radiofréquences ou des droits de mettre en place des ressources, au sens de l’article 13 de la directive ‘autorisation’ ». Par conséquent, cette taxe n’est pas une redevance au sens de la directive et ne relève pas de son champ d’application. Cette distinction est fondamentale : la directive encadre les charges imposées en contrepartie d’un droit spécifique au secteur des télécommunications, non la fiscalité générale qui pèse sur les entreprises en raison de leur présence physique sur un territoire.

II. La portée de la solution : une clarification bienvenue aux implications substantielles

En sortant la taxe sur les implantations du champ de la directive, la Cour de justice apporte une précision importante dont les conséquences sont doubles. Elle consacre l’autonomie fiscale des entités infra-étatiques pour les impositions de droit commun (A), tout en traçant une ligne claire entre la taxation de l’activité de télécommunication et celle des moyens matériels qui la supportent (B).

A. La consécration de l’autonomie fiscale des entités infra-étatiques

La solution retenue a pour effet direct de préserver la compétence des collectivités locales en matière de fiscalité générale. Si la Cour avait jugé que toute taxe affectant les infrastructures de télécommunications tombait sous le coup de la directive, elle aurait considérablement limité le pouvoir d’imposition des provinces et des communes. Or, l’arrêt confirme que ces entités peuvent légitimement imposer des taxes générales, pour des motifs budgétaires, à la condition qu’elles ne soient pas discriminatoires et qu’elles ne visent pas spécifiquement le secteur des communications électroniques.

Cette décision s’inscrit dans une logique de répartition des compétences entre l’Union et les États membres, y compris leurs subdivisions. L’harmonisation sectorielle, aussi poussée soit-elle, ne saurait faire obstacle à l’exercice de compétences fiscales générales qui ne constituent pas une entrave déguisée au marché intérieur. La Cour valide ainsi une source de revenus pour les autorités locales, tout en rappelant implicitement les limites de cette autonomie, notamment le respect des principes de non-discrimination et de proportionnalité, qui demeurent des garanties fondamentales du droit de l’Union.

B. La distinction entre la taxation de l’activité et la taxation de l’implantation

Au-delà de ses implications institutionnelles, l’arrêt affine la distinction juridique entre ce qui relève de la régulation sectorielle et ce qui appartient à la fiscalité ordinaire. La directive vise à réguler l’accès à une activité économique et l’utilisation de ressources rares, comme les radiofréquences. Les redevances qu’elle autorise sont la contrepartie de droits spécifiques qui permettent cette activité. En revanche, la taxe sur les implantations ne taxe pas l’activité de l’opérateur en tant que telle, mais l’un de ses attributs matériels : l’occupation d’un espace physique.

Cette distinction est essentielle pour les opérateurs, car elle clarifie le périmètre des charges qu’ils peuvent contester sur le fondement de la directive « autorisation ». Bien que le résultat soit en l’espèce défavorable aux entreprises requérantes, il a le mérite de la prévisibilité. Les opérateurs savent désormais qu’ils ne peuvent échapper à la fiscalité locale de droit commun au seul motif que leurs infrastructures sont nécessaires à une activité régulée par le droit de l’Union. La charge financière qui en résulte est simplement le coût de leur présence territoriale, un coût que supporte en principe toute entreprise, quel que soit son secteur d’activité.

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Hassan KOHEN
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