La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 4 septembre 2014, précise les conditions d’ouverture des procédures secondaires d’insolvabilité. Le litige opposait un créancier à une société dont le siège statutaire était situé en Belgique, alors que son centre d’intérêts principaux se trouvait en France. Une procédure de liquidation judiciaire avait été ouverte sur le territoire français, constituant ainsi la procédure d’insolvabilité principale. Le créancier a alors saisi le Tribunal de commerce de Bruxelles afin d’obtenir l’ouverture d’une procédure secondaire sur le territoire belge. La juridiction belge a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour sur l’interprétation du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité. Il s’agissait de déterminer si une société dotée de la personnalité juridique peut constituer un établissement au sens du droit de l’Union. La question portait également sur la qualité pour agir des créanciers et sur la marge d’appréciation du juge saisi. La Cour affirme qu’une société peut faire l’objet d’une procédure secondaire au lieu de son siège statutaire même si elle possède la personnalité juridique. La reconnaissance de cette qualification matérielle permet de sécuriser les droits des créanciers locaux tout en précisant le cadre procédural de leur intervention.
**I. L’élargissement pragmatique de la notion d’établissement**
**A. La déconnexion entre personnalité juridique et établissement**
La Cour retient une interprétation fonctionnelle de l’article 2 du règlement afin de permettre l’ouverture d’une procédure secondaire malgré l’existence d’une personnalité juridique distincte. Le texte définit l’établissement comme « tout lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens ». Cette définition ne contient aucune référence au siège statutaire ou à la forme juridique particulière que doit revêtir le lieu d’opérations concerné. La Cour juge ainsi que le règlement « n’exclut donc pas qu’un établissement puisse être doté d’une personnalité juridique ». Cette solution évite qu’une société ne soit privée de procédure secondaire au seul motif que son siège coïncide avec un établissement stable. Elle consacre une vision matérielle de l’activité économique qui prime sur les structures juridiques formelles choisies par les entreprises. Cette autonomie de la notion d’établissement sert directement l’objectif de protection des tiers ayant contracté avec le débiteur sur un territoire donné.
**B. La protection impérative des intérêts locaux**
La reconnaissance d’un établissement au lieu du siège social répond à la volonté de protéger les créanciers ayant contracté localement avec le débiteur. Le règlement autorise les procédures nationales car « l’application sans exception du droit de l’État d’ouverture susciterait dès lors fréquemment des difficultés ». Les créanciers locaux bénéficient d’une confiance légitime dans l’application des règles de l’État où l’activité est matériellement exercée. En l’absence de procédure secondaire, ces créanciers subiraient un traitement discriminatoire par rapport à ceux établis dans d’autres États membres. La Cour souligne que ces intérêts résident notamment dans la possibilité de « demander la réalisation d’un droit réel sur les biens du débiteur ». Cette approche renforce la prévisibilité juridique pour les partenaires commerciaux tout en limitant les effets d’une universalité de la faillite trop rigide. Si la reconnaissance de l’établissement est acquise, les conditions concrètes de mise en œuvre de la procédure secondaire appellent une vigilance accrue.
**II. L’encadrement rigoureux des conditions d’ouverture des procédures secondaires**
**A. Le refus des restrictions discriminatoires à l’accès au juge**
Le droit de demander l’ouverture d’une procédure secondaire ne peut être réservé aux seuls créanciers domiciliés sur le territoire de la juridiction saisie. La Cour précise que la qualité pour agir doit certes être appréciée « sur le fondement du droit national de l’État membre ». Toutefois, les États membres doivent assurer l’effet utile du règlement et respecter le principe général de non-discrimination selon la nationalité. Une limitation aux créanciers locaux constituerait une discrimination indirecte prohibée, car elle léserait principalement les ressortissants des autres États membres. La Cour affirme que ce droit ne peut être limité « aux seuls créanciers dont la créance a son origine dans l’exploitation de cet établissement ». L’ouverture de la procédure secondaire est donc accessible à tout créancier européen démontrant un intérêt légitime à agir contre le débiteur. L’élargissement de la qualité pour agir se double d’une interrogation sur le pouvoir souverain du juge quant à l’opportunité de l’ouverture.
**B. La subsidiarité du droit national quant à l’opportunité de l’ouverture**
Le règlement laisse au droit national le soin de définir si le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité d’ouvrir la procédure. La Cour indique que la question de savoir si la juridiction jouit d’un tel pouvoir « relève du droit national de l’État membre ». Le droit de l’Union ne contient aucune indication précise sur les critères d’opportunité que le juge pourrait souverainement prendre en compte. Cette autonomie procédurale reste cependant strictement encadrée par l’obligation de respecter les principes généraux et les objectifs de la procédure principale. Le juge national doit veiller à ce que l’ouverture de la procédure secondaire ne compromette pas indûment la liquidation globale ordonnée initialement. Cette solution consacre un équilibre délicat entre l’autonomie des législations nationales et la nécessaire coopération loyale entre les différentes autorités judiciaires.