Cour de justice de l’Union européenne, le 4 septembre 2014, n°C-452/13

Par un arrêt du 4 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa neuvième chambre, a précisé la portée du droit à l’indemnisation des passagers aériens en cas de retard important. La décision a été rendue sur renvoi préjudiciel d’une juridiction autrichienne, saisie d’un litige relatif à l’interprétation de la notion d’« heure d’arrivée » au sens du règlement (CE) n° 261/2004.

En l’espèce, un passager avait réservé un vol dont l’arrivée était prévue à 14 h 40. L’appareil a atterri sur la piste de l’aéroport de destination à 17 h 38, puis a atteint sa position de stationnement à 17 h 43, soit avec un retard de trois heures et trois minutes par rapport à l’horaire prévu. Peu après, les portes de l’avion se sont ouvertes. S’estimant victime d’un retard supérieur à trois heures, le passager a demandé au transporteur aérien le versement de l’indemnité forfaitaire prévue par le règlement. Le transporteur a refusé, soutenant que l’heure d’arrivée effective correspondait au moment où l’avion a touché la piste, ce qui ramenait le retard à deux heures et cinquante-huit minutes, soit un délai inférieur au seuil ouvrant droit à indemnisation.

La juridiction de première instance a fait droit à la demande du passager en retenant comme heure d’arrivée le moment de l’ouverture des portes de l’aéronef. Le transporteur aérien a interjeté appel de ce jugement. La juridiction d’appel, constatant une incertitude sur l’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il était ainsi demandé à la Cour de définir le moment précis constitutif de l’« heure d’arrivée » d’un vol : s’agit-il de l’atterrissage, de l’immobilisation de l’appareil à son point de stationnement, de l’ouverture des portes, ou d’un moment défini contractuellement par les parties ?

La Cour de justice a jugé que la notion d’« heure d’arrivée » doit être interprétée comme le moment où au moins l’une des portes de l’avion s’ouvre et où les passagers sont autorisés à quitter l’appareil. En privilégiant une approche factuelle centrée sur l’expérience du passager plutôt qu’une définition purement technique, la Cour précise le champ d’application du droit à indemnisation (I), consacrant ainsi une interprétation qui renforce la protection des voyageurs (II).

I. L’appréhension de l’heure d’arrivée au prisme de la situation du passager

La Cour de justice établit une définition autonome de l’heure d’arrivée en écartant les critères techniques ou contractuels (A) pour consacrer une solution fondée sur la situation concrète vécue par les passagers (B).

A. Le rejet de critères purement techniques ou contractuels

Interrogée sur plusieurs définitions possibles, la Cour écarte en premier lieu la possibilité pour les parties de définir contractuellement l’heure d’arrivée. Elle rappelle que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne renvoient pas au droit des États membres doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme. Une telle exigence serait compromise si la notion pouvait varier au gré des stipulations contractuelles, ce qui créerait une insécurité juridique préjudiciable aux passagers. La Cour balaie ensuite les critères techniques liés à la navigation aérienne, tels que le contact des roues avec la piste (« touchdown ») ou l’arrivée de l’avion à son point de stationnement (« in-block time »). Elle juge que ces moments ne modifient pas substantiellement la situation des passagers. En effet, même après l’atterrissage ou l’immobilisation de l’appareil, les voyageurs « demeurent confinés dans un espace clos, sous les instructions et le contrôle du transporteur aérien ». Leur liberté de mouvement reste contrainte et ils ne peuvent reprendre le cours normal de leurs activités. Retenir un de ces moments reviendrait à ignorer la réalité du désagrément subi, qui se prolonge bien au-delà des phases purement techniques du vol.

B. La consécration d’un critère factuel : la liberté de mouvement retrouvée du passager

En opposition aux critères techniques, la Cour ancre sa définition dans la finalité même du règlement, qui est d’indemniser la « perte de temps irréversible » subie par les passagers. Le retard ne prend fin que lorsque cesse la situation de contrainte inhérente au transport. La Cour estime que cet instant correspond au moment où les passagers sont autorisés à quitter l’appareil, matérialisé par l’ouverture d’au moins une des portes. C’est seulement à partir de ce moment que le passager retrouve sa liberté de mouvement et peut commencer à organiser la suite de son voyage. La solution est donc dictée par une logique pragmatique : l’heure d’arrivée effective est celle où le contrat de transport a matériellement pris fin pour le passager. La Cour énonce ainsi que « la notion d’‘heure d’arrivée’, utilisée pour déterminer l’ampleur du retard subi par les passagers d’un vol, correspond au moment où au moins l’une des portes de l’avion s’ouvre, étant entendu que, à cet instant, les passagers sont autorisés à quitter l’appareil ». Cette définition claire et objective met fin aux incertitudes d’interprétation et se fonde sur un événement facilement constatable par toutes les parties.

II. Le renforcement de la portée protectrice du règlement n° 261/2004

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer un niveau élevé de protection des passagers, par une interprétation téléologique du texte (A), dont la portée juridique et pratique est considérable (B).

A. Une interprétation téléologique en faveur des passagers

En choisissant le critère de l’ouverture des portes, la Cour adopte une interprétation téléologique, c’est-à-dire guidée par l’objectif du règlement. Ce texte vise à remédier aux « désagréments sérieux » causés par les retards importants. La Cour avait déjà, dans des arrêts antérieurs, assimilé les passagers de vols retardés de trois heures ou plus à ceux de vols annulés, leur ouvrant ainsi le droit à une indemnisation forfaitaire. L’arrêt commenté prolonge ce raisonnement en définissant l’heure d’arrivée de la manière la plus favorable aux passagers. En retenant le dernier moment possible parmi les options envisagées, elle maximise les chances pour un passager de franchir le seuil de retard ouvrant droit à réparation. La solution est donc clairement protectrice des consommateurs, face à des transporteurs qui auraient intérêt à retenir le critère le plus précoce pour limiter leurs obligations financières. La Cour écarte d’ailleurs explicitement la pertinence des définitions techniques utilisées dans d’autres contextes réglementaires, comme l’attribution des créneaux horaires, qui poursuivent des objectifs distincts de la protection des passagers.

B. La portée juridique et pratique de la solution consacrée

La portée de cet arrêt de principe est significative. Sur le plan juridique, il établit une définition uniforme et impérative de l’heure d’arrivée pour l’ensemble de l’Union européenne, garantissant ainsi une application homogène du règlement et renforçant la sécurité juridique. Les juridictions nationales disposent désormais d’un critère clair et unique pour apprécier l’ampleur d’un retard. Sur le plan pratique, les conséquences sont également importantes. Le temps écoulé entre l’atterrissage de l’avion et l’ouverture de ses portes peut être de plusieurs minutes, voire davantage en cas d’encombrement de l’aéroport ou d’indisponibilité d’une passerelle. En intégrant cette phase dans le calcul du retard, la Cour rend indemnisables des situations qui, auparavant, se situaient juste en deçà du seuil de trois heures. Cette décision incite donc les transporteurs aériens non seulement à limiter les retards en vol, mais aussi à optimiser leurs opérations au sol pour assurer un débarquement rapide des passagers. Elle simplifie enfin l’administration de la preuve pour le passager, l’heure d’ouverture des portes étant un fait plus aisément vérifiable que l’instant précis de l’atterrissage ou de l’immobilisation de l’appareil.

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Hassan KOHEN
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