Cour de justice de l’Union européenne, le 4 septembre 2014, n°C-543/12

Par un arrêt du 4 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’étendue des obligations des États membres concernant la délivrance de la carte européenne d’arme à feu. En l’espèce, un citoyen d’un État membre, légalement détenteur d’une arme à feu pour sa protection personnelle, s’était vu refuser la délivrance d’une telle carte par les autorités nationales compétentes. La législation de cet État réservait en effet l’octroi de ce document aux seules personnes détenant une arme à des fins de chasse ou de tir sportif. Après l’épuisement des recours administratifs, le requérant a saisi les juridictions nationales. La juridiction de première instance a rejeté son recours, estimant que la législation nationale transposait correctement la directive européenne et que le droit à la libre circulation n’était pas violé. Saisie en appel, la Cour suprême de cet État membre a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait de déterminer si la directive 91/477/CEE, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, s’oppose à une réglementation nationale qui limite la délivrance de la carte européenne d’arme à feu aux seuls chasseurs et tireurs sportifs. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant qu’une telle restriction nationale est compatible avec le droit de l’Union. L’analyse de la Cour repose sur une interprétation stricte de la finalité de la carte européenne d’arme à feu (I), ce qui confirme la marge d’appréciation substantielle laissée aux États membres en matière de sécurité publique (II).

I. Une définition restrictive de la finalité de la carte européenne d’arme à feu

L’arrêt s’attache à définir le rôle de la carte européenne d’arme à feu non pas comme un droit général, mais comme un instrument dérogatoire ciblé. Pour ce faire, la Cour a recours à une interprétation téléologique de la directive (A) qui est confirmée par l’économie générale du dispositif européen (B).

A. Une interprétation téléologique de la directive

La Cour fonde son raisonnement sur les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union. Elle rappelle que la directive 91/477/CEE a été adoptée dans le contexte de l’achèvement du marché intérieur et de la suppression des contrôles aux frontières. Dans ce cadre, la règle de principe est l’interdiction du passage d’un État membre à un autre avec des armes. Le sixième considérant de la directive énonce clairement que « le passage d’un État membre à un autre avec des armes » doit être « en principe » interdit. Les dérogations ne sont donc acceptables que si elles s’inscrivent dans une procédure permettant aux États d’être informés de l’introduction d’une arme sur leur territoire.

C’est précisément dans ce contexte que le septième considérant précise que « des règles plus souples doivent être adoptées en matière de chasse et de compétition sportive ». Cet objectif de facilitation est donc spécifique et limité à ces deux activités. L’intention du législateur n’était pas de créer un droit général à la circulation transfrontalière pour tous les détenteurs légaux d’armes à feu, mais bien de ne pas entraver la libre circulation des personnes dans le cadre spécifique de la chasse et du tir sportif. Par conséquent, en interprétant la directive à la lumière de ses finalités, la Cour conclut que la carte européenne d’arme à feu est l’outil destiné à mettre en œuvre cette souplesse, et non un titre de circulation général.

B. Une confirmation par l’économie générale du dispositif

L’analyse systémique du texte conforte cette interprétation. L’article 1er, paragraphe 4, de la directive définit la carte européenne d’arme à feu, mais c’est l’article 12 qui en précise le régime et la portée. Le paragraphe 1 de cet article pose le principe de l’autorisation préalable pour voyager avec une arme à feu à travers plusieurs États membres. Le paragraphe 2 du même article introduit une exception notable en disposant que, « par dérogation au paragraphe 1, les chasseurs […] et les tireurs sportifs […] peuvent détenir sans autorisation préalable une ou plusieurs armes à feu pendant un voyage » s’ils sont en possession de la carte européenne d’arme à feu et peuvent justifier du motif de leur voyage.

Le caractère dérogatoire et ciblé de cette disposition est donc manifeste. La carte européenne d’arme à feu est l’instrument qui active cette dérogation. La Cour relève également que l’annexe II de la directive, qui détaille les mentions devant figurer sur la carte, renforce cette lecture en précisant que l’autorisation préalable n’est en principe pas nécessaire pour voyager « pour la pratique de la chasse ou […] du tir sportif ». Le fait que seuls les chasseurs et les tireurs sportifs bénéficient expressément d’une dispense de formalités grâce à ce document démontre que celui-ci a été conçu principalement pour eux. La Cour en déduit logiquement que si la directive oblige les États membres à délivrer cette carte à ces deux catégories de personnes, elle ne leur impose aucune obligation similaire pour les autres détenteurs d’armes.

II. La consécration de la marge d’appréciation des États membres

En limitant la portée de la carte européenne d’arme à feu, la Cour réaffirme la compétence des États membres en matière de réglementation des armes pour des motifs de sécurité publique (A). Cette décision opère ainsi une dissociation claire entre la libre circulation des personnes et un éventuel droit au port d’arme transfrontalier à des fins de protection personnelle (B).

A. Le maintien de la compétence étatique en matière de sécurité publique

L’arrêt souligne que la directive 91/477/CEE ne réalise qu’une harmonisation partielle et minimale. Son article 3 autorise explicitement les États membres à « adopter dans leur législation des dispositions plus strictes que celles prévues par la présente directive ». Cette faculté n’est limitée que par le respect des droits spécifiquement conférés par la directive, notamment le régime dérogatoire de l’article 12, paragraphe 2, pour les chasseurs et les tireurs sportifs. En dehors de cette obligation, les États conservent une latitude considérable pour réglementer l’acquisition, la détention et le transfert d’armes à feu.

En l’espèce, la législation nationale qui réserve la carte européenne d’arme à feu à certaines catégories de détenteurs constitue une de ces « dispositions plus strictes ». Elle ne contrevient pas à la directive, car elle ne porte pas atteinte aux droits des chasseurs et tireurs sportifs. La Cour juge ainsi que les États membres ne sont « pas obligés de délivrer une carte européenne d’arme à feu à d’autres détenteurs d’armes ». Cette solution est cohérente avec le principe selon lequel le maintien de l’ordre et de la sécurité publics relève de la compétence essentielle des États membres, un domaine où l’harmonisation européenne reste prudente. La Cour conforte également son analyse en se référant au droit international, notamment au Protocole des Nations unies contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, qui n’envisage des procédures simplifiées que pour des « fins légales vérifiables telles que la chasse, le tir sportif, l’expertise, l’exposition ou la réparation ».

B. Une dissociation entre libre circulation des personnes et port d’arme à des fins de protection personnelle

Le requérant et la juridiction de renvoi avaient soulevé la question de la compatibilité de la réglementation nationale avec la liberté de circulation garantie par l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour écarte cet argument en rappelant que les droits découlant des traités s’exercent « dans les conditions et les limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci ». La directive 91/477/CEE constitue une de ces mesures.

En jugeant que cette directive n’instaure pas un droit à la délivrance de la carte européenne d’arme à feu pour des motifs de protection personnelle, la Cour refuse d’établir un lien de nécessité entre la liberté de circulation des citoyens et le droit de transporter une arme à feu pour assurer sa propre sécurité. Le droit de circuler librement ne saurait être interprété comme emportant un droit accessoire non prévu par les textes. La sécurité des personnes sur le territoire des États membres est assurée par les autorités publiques de ces États, et la directive n’a pas pour objet de substituer à cette protection une faculté d’autodéfense armée harmonisée au niveau de l’Union. L’arrêt établit donc une frontière nette : la facilitation de la circulation des armes à feu est une exception limitée à des activités spécifiques, et non une composante du droit fondamental de circuler et de séjourner librement au sein de l’Union.

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Hassan KOHEN
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