La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 4 septembre 2014, une décision fondamentale concernant l’interprétation du code frontières Schengen et du code des visas. Un ressortissant d’un pays tiers a présenté aux autorités frontalières un passeport valide sans visa ainsi qu’un ancien document de voyage annulé contenant son visa. L’entrée sur le territoire lui fut refusée au motif de l’absence de visa valide dans le titre de voyage en cours de validité matérielle. Le transporteur aérien a par la suite fait l’objet d’une amende administrative infligée par l’administration pour avoir acheminé une personne dépourvue des documents nécessaires. La Cour administrative régionale de Lettonie, saisie d’un recours contre le jugement du tribunal administratif de district du 12 août 2011, a sollicité le juge européen.
Le litige soulève la question de savoir si l’annulation d’un passeport par un État tiers entraîne l’invalidité automatique du visa qui y est apposé. Il s’agit également de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale exigeant l’apposition du visa sur un document de voyage valide. La Cour affirme l’indépendance de la validité du visa et l’exhaustivité des conditions d’entrée prévues par les règlements européens pour garantir l’uniformité du contrôle frontalier. L’analyse de l’autonomie juridique du visa par rapport à son support matériel précédera l’examen de l’encadrement strict des compétences nationales en matière de police des frontières.
I. L’autonomie de la validité du visa par rapport à son support matériel
A. L’absence d’invalidité automatique consécutive à l’annulation du passeport
La Cour de justice précise que la validité d’un visa uniforme est fixée par l’autorité compétente de l’État membre lors de sa délivrance initiale. Une décision d’annulation prise par un État tiers sur le document de voyage ne saurait affecter de plein droit la validité du titre européen. Le juge souligne qu’« un visa uniforme demeure donc valide, à tout le moins, jusqu’à l’expiration de la période de validité fixée » par l’autorité de délivrance. Cette solution préserve la sécurité juridique des voyageurs dont les droits de circulation ne peuvent dépendre d’actes administratifs étrangers non reconnus par l’Union. La permanence de cette validité repose ainsi exclusivement sur le respect des procédures de retrait définies par le législateur européen pour l’ensemble des États membres.
B. L’exclusivité décisionnelle des États membres sur le retrait du visa
L’annulation ou l’abrogation d’un visa nécessite l’adoption d’une décision spécifique par les autorités compétentes d’un État membre de l’espace de liberté et de sécurité. Le droit de l’Union prévoit des motifs limitatifs pour mettre fin à la validité d’un visa, liés principalement au non-respect des conditions de délivrance. « Une autorité d’un pays tiers n’est donc pas compétente pour annuler un visa uniforme » et son action sur le passeport reste sans incidence juridique. Le seul motif d’annulation concernant directement le titre de voyage réside dans le caractère faux ou falsifié du document présenté lors de la demande. Cette protection de l’acte administratif individuel s’accompagne d’une limitation rigoureuse des conditions permettant aux autorités nationales de faire obstacle à l’entrée des voyageurs.
II. L’encadrement des compétences nationales par l’exhaustivité des conditions d’entrée
A. Une interprétation stricte de la distinction entre document et titre de séjour
Le code frontières Schengen établit une distinction nette entre la possession d’un document de voyage valide et celle d’un visa en cours de validité matérielle. L’article 5 du règlement n’énonce en aucune manière que ces deux éléments doivent être matériellement réunis sur un seul et même support physique. Le juge européen relève que le législateur a prévu des cas où le visa est apposé sur un feuillet séparé en cas de non-reconnaissance du passeport. La Cour conclut que le texte « ne subordonne pas l’entrée […] à la condition que […] le visa en cours de validité présenté soit nécessairement apposé sur un document de voyage valide ». La clarté de cette séparation textuelle interdit aux autorités de police frontalière de conditionner l’exercice du droit d’entrée à des exigences purement matérielles injustifiées.
B. L’interdiction d’imposer des exigences frontalières non prévues par le code Schengen
Le code frontières Schengen fixe une liste exhaustive des conditions d’entrée afin de garantir un niveau de contrôle élevé et uniforme sur tout le territoire. Les États membres ne disposent pas d’une marge d’appréciation leur permettant d’ajouter des critères supplémentaires non prévus par la réglementation communautaire en vigueur. La Cour juge que le droit de l’Union « s’oppose à une réglementation nationale […] qui subordonne l’entrée […] à la condition que […] le visa soit apposé sur un document de voyage en cours de validité ». Le formulaire de refus d’entrée comporte des motifs précis qui ne mentionnent pas l’obligation de réunion physique des documents lors du contrôle aux frontières. Cette décision assure que la souveraineté nationale en matière de sécurité intérieure s’exerce dans le respect strict des libertés de circulation harmonisées au niveau européen.