Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les modalités de vote au sein du Conseil pour l’adoption des positions de l’Union dans le cadre d’un accord international. En l’espèce, la Commission européenne a introduit un recours en annulation contre une décision du Conseil relative à la position à prendre au nom de l’Union au sein du conseil de coopération institué par un accord de partenariat. La Commission reprochait au Conseil d’avoir ajouté à la base juridique de l’acte une disposition relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), imposant ainsi un vote à l’unanimité plutôt qu’à la majorité qualifiée. Le Conseil, pour sa part, justifiait ce choix par la présence de composantes PESC dans l’accord de partenariat global, arguant que les mesures de mise en œuvre devaient suivre le même régime juridique que l’accord-cadre.
La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si une décision, prise en application de l’article 218, paragraphe 9, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), doit être adoptée à l’unanimité dès lors que l’accord international qu’elle met en œuvre comporte des éléments relevant de la PESC.
À cette question, la Cour de justice répond par la négative en annulant la décision litigieuse. Elle juge que la règle de vote applicable est déterminée par la composante principale ou prépondérante de l’acte. En l’occurrence, après examen de l’accord de partenariat, la Cour estime que les dispositions liées à la PESC présentent un caractère purement accessoire par rapport aux composantes relevant de la politique commerciale commune et de la coopération au développement. Par conséquent, l’ajout d’une base juridique PESC et le recours au vote à l’unanimité étaient injustifiés.
La solution retenue par la Cour réaffirme le principe de parallélisme entre les procédures d’action interne et externe de l’Union (I), tout en encadrant strictement l’influence de la PESC sur des accords à caractère mixte (II).
I. La réaffirmation du parallélisme des procédures d’action externe et interne
L’arrêt offre à la Cour l’occasion de clarifier les règles de procédure qui gouvernent l’action extérieure de l’Union, en particulier l’articulation entre les dispositions générales du traité et les spécificités de certains domaines politiques. Elle confirme ainsi que la procédure d’adoption d’un acte externe doit, en principe, refléter celle applicable pour un acte interne de même nature (A), y compris lorsqu’il s’agit de la PESC (B).
A. Le renvoi aux règles de vote internes comme principe directeur
La Cour rappelle d’abord que l’article 218 TFUE instaure une procédure unifiée et de portée générale pour la négociation et la conclusion des accords internationaux. Cependant, cette procédure doit tenir compte des spécificités prévues par les traités pour chaque domaine d’action. Le paragraphe 9 de cet article, qui concerne les décisions de mise en œuvre d’un accord, ne précise pas la règle de vote applicable. La Cour comble cette lacune en se référant au paragraphe 8 du même article. Elle souligne que ce renvoi est essentiel pour garantir la symétrie entre la répartition des pouvoirs sur le plan intérieur et sur le plan extérieur.
Le raisonnement de la Cour établit un lien direct entre la base juridique matérielle d’un acte et la procédure décisionnelle à suivre. En effet, selon ses propres termes, « le premier cas de figure dans lequel l’article 218, paragraphe 8, second alinéa, TFUE requiert que le Conseil statue à l’unanimité concerne l’hypothèse dans laquelle l’accord porte sur un domaine pour lequel l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte de l’Union ». Ce faisant, la Cour consacre le principe selon lequel la règle de vote pour une action externe est déterminée par celle qui prévaut pour une action interne dans le même domaine matériel. Cette logique assure la cohérence de l’ordre juridique de l’Union et préserve l’équilibre institutionnel voulu par les traités.
B. L’application du principe à la spécificité de la politique étrangère et de sécurité commune
La PESC constitue un domaine où les spécificités procédurales sont particulièrement marquées, l’article 31, paragraphe 1, TUE posant le principe du vote à l’unanimité au sein du Conseil. La Cour applique sa logique de parallélisme à ce cadre particulier, confirmant que si une décision prise au titre de l’article 218, paragraphe 9, TFUE relevait exclusivement de la PESC, elle devrait être adoptée à l’unanimité. La Cour ne remet donc pas en cause l’exigence d’unanimité propre à la PESC, mais cherche à en délimiter précisément le champ d’application dans le contexte des actions externes.
L’arrêt confirme que la spécificité de la PESC est prise en compte par les mécanismes de l’article 218 TFUE lui-même et ne nécessite pas de dérogation aux procédures unifiées. En liant la règle de vote à la base juridique matérielle de l’acte, la Cour évite que la procédure applicable à la PESC ne s’étende indûment à d’autres domaines de compétence de l’Union. Cette approche s’inscrit dans le respect de l’article 40 TUE, qui vise à empêcher que les procédures de la PESC n’affectent les compétences des autres politiques de l’Union. La question n’est donc plus de savoir si la règle de la PESC s’applique, mais de déterminer si l’acte en question relève matériellement et principalement de ce domaine.
II. Une interprétation restrictive du champ d’application de la PESC dans les accords mixtes
Après avoir posé le principe de la symétrie procédurale, la Cour l’applique à l’accord de partenariat en cause. Cette application se traduit par une interprétation mesurée de la portée des clauses PESC au sein d’un accord international composite, fondée sur la méthode bien établie du centre de gravité (A), et aboutit à qualifier de simplement accessoires les dispositions relevant de la PESC (B).
A. Le critère du centre de gravité pour la détermination de la base juridique
Pour déterminer si l’unanimité était requise, la Cour devait d’abord identifier la base juridique matérielle de l’acte. Elle recourt pour cela à sa jurisprudence constante, selon laquelle le choix de la base juridique doit se fonder sur des éléments objectifs, au premier rang desquels figurent la finalité et le contenu de l’acte. Lorsqu’un acte poursuit plusieurs objectifs ou a plusieurs composantes, il doit être fondé sur la base juridique exigée par sa composante principale ou prépondérante. Le recours à une base juridique multiple reste une exception, réservée aux cas où les différentes composantes sont indissociablement liées sans que l’une soit accessoire par rapport à l’autre.
La Cour transpose cette méthode à la détermination de la règle de vote. Elle énonce clairement que « si la finalité ou la composante principale ou prépondérante de la décision relève d’un domaine pour lequel l’unanimité n’est pas requise pour l’adoption d’un acte de l’Union, ladite décision doit, conformément à l’article 218, paragraphe 8, premier alinéa, TFUE, être adoptée à la majorité qualifiée ». Cette approche pragmatique empêche qu’une composante minoritaire, en l’occurrence la PESC, ne dicte la procédure pour l’ensemble d’un acte dont l’objet principal relève de politiques régies par la majorité qualifiée. La Cour privilégie ainsi une vision fonctionnelle qui favorise l’efficacité du processus décisionnel de l’Union.
B. Le caractère accessoire des dispositions déclaratoires relevant de la PESC
L’application de la méthode du centre de gravité conduit la Cour à examiner la substance de l’accord de partenariat. Elle reconnaît que certaines dispositions de l’accord présentent des liens avec la PESC, notamment en matière de dialogue politique sur la sécurité, la prévention des conflits ou la non-prolifération. Cependant, la Cour relativise fortement la portée de ces dispositions. Elle constate d’abord que, quantitativement, elles sont très peu nombreuses au regard des 287 articles de l’accord, dont l’essentiel relève de la politique commerciale commune et de la coopération au développement.
Surtout, la Cour analyse la nature de ces clauses. Elle juge qu’elles « se limitent à des déclarations des parties contractantes sur les buts que doit poursuivre leur coopération et les thèmes sur lesquels celle-ci devra porter, sans déterminer les modalités concrètes de mise en œuvre de cette coopération ». Autrement dit, ces dispositions ont un caractère programmatique et déclaratoire, mais non opérationnel. Elles ne constituent donc pas une composante distincte de l’accord mais présentent un caractère accessoire. Cette conclusion justifie l’annulation de la décision du Conseil pour erreur sur la base juridique et, par conséquent, sur la règle de vote. L’arrêt démontre ainsi la volonté de la Cour de ne pas laisser des clauses PESC générales paralyser par le jeu de l’unanimité des accords internationaux dont le centre de gravité se situe clairement dans d’autres politiques de l’Union.