Cour de justice de l’Union européenne, le 4 septembre 2018, n°C-57/16

Par un arrêt du 4 septembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en grande chambre, a précisé les conditions d’accès aux documents des institutions, particulièrement lorsque ces derniers s’inscrivent dans un processus législatif et concernent des informations environnementales. En l’espèce, un organisme à but non lucratif œuvrant pour la protection de l’environnement avait sollicité auprès de la Commission européenne l’accès à des rapports d’analyse d’impact et à des avis du comité d’analyse d’impact, relatifs à deux projets d’initiatives législatives dans le domaine de l’environnement. La Commission a refusé de communiquer ces documents en se fondant sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001, au motif que leur divulgation porterait gravement atteinte à son processus décisionnel en cours. Saisi de recours en annulation contre ces décisions de refus, le Tribunal de l’Union européenne, par un arrêt du 13 novembre 2015, a rejeté les prétentions du requérant. Les juges de première instance ont en effet consacré l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation de documents liés à une analyse d’impact en cours porterait, en principe, gravement atteinte au processus décisionnel de la Commission, tant que cette dernière n’a pas arrêté sa position. L’organisme requérant a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en reconnaissant une telle présomption générale de confidentialité. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si une institution de l’Union peut légalement se prévaloir d’une présomption générale de non-divulgation pour refuser l’accès à des documents préparatoires liés à des initiatives législatives en matière environnementale, en invoquant la protection de son processus décisionnel. La Cour de justice répond par la négative, annulant l’arrêt du Tribunal et, statuant elle-même sur le fond, annulant les décisions de refus de la Commission. Elle juge que le Tribunal a commis une erreur de droit en consacrant une telle présomption, qui contrevient à l’interprétation stricte des exceptions au principe de transparence, une rigueur d’autant plus nécessaire que les documents en cause s’inscrivent dans un contexte législatif et environnemental.

L’arrêt censure ainsi l’admission d’une présomption générale de confidentialité qui irait à l’encontre du principe de transparence (I), réaffirmant par là même une conception extensive du contrôle démocratique sur le processus décisionnel de l’Union (II).

I. La censure d’une présomption générale de confidentialité opposée au principe de transparence

La Cour de justice rejette l’approche du Tribunal qui avait validé la création d’un espace de délibération opaque au nom de l’indépendance de la Commission (A) et rappelle la nécessité d’une application d’autant plus stricte des exceptions au droit d’accès lorsque les documents relèvent du processus législatif et du domaine environnemental (B).

A. Le rejet d’un espace de réflexion protégé de l’examen public

Le Tribunal avait estimé que, pour garantir son indépendance et la sérénité de ses délibérations, la Commission devait « pouvoir bénéficier d’un espace de réflexion autonome, temporairement éloigné des influences et des pressions extérieures de toute nature ». Cette conception justifiait, selon lui, une présomption générale de non-divulgation des analyses d’impact en cours. La Cour de justice prend le contrepied de cette analyse en considérant que la transparence, loin d’être une menace pour l’indépendance de l’institution, en est au contraire une garantie. Elle souligne que « en renforçant la légitimité du processus décisionnel de la Commission, la transparence garantit la crédibilité de l’action de celle-ci aux yeux des citoyens » et contribue à assurer que l’institution agisse bien en toute indépendance et dans le seul intérêt général. L’influence ou les pressions extérieures que pourrait subir la Commission ne sauraient justifier une présomption générale de confidentialité, car de telles interventions citoyennes font « partie intégrante de l’exercice des droits démocratiques des citoyens de l’Union ». En d’autres termes, la Cour juge que le risque de pressions extérieures n’est pas un argument suffisant pour renverser le principe de l’accès le plus large possible aux documents. Ce faisant, elle refuse de sacraliser le processus décisionnel interne en le plaçant dans une sphère totalement isolée du débat public jusqu’à son terme. L’institution doit certes pouvoir délibérer, mais cette délibération ne saurait s’effectuer dans le secret absolu, surtout lorsque ses résultats sont destinés à fonder une future action législative.

B. L’exigence renforcée d’une interprétation stricte des exceptions

L’arrêt rappelle avec force que les exceptions au principe de transparence doivent faire l’objet d’une interprétation et d’une application strictes. Cette exigence est ici doublement renforcée par la nature des documents demandés. D’une part, la Cour considère que les analyses d’impact, bien que préparatoires, « s’inscrivant dans un processus législatif », doivent bénéficier d’un accès plus large. Elle estime que « la possibilité, pour les citoyens, de contrôler et de connaître l’ensemble des informations qui constituent le fondement de l’action législative de l’Union est une condition de l’exercice effectif par ces derniers de leurs droits démocratiques ». Les documents d’analyse d’impact sont donc qualifiés de « documents législatifs » au sens de l’article 12 du règlement n° 1049/2001. D’autre part, les documents en cause contenaient des « informations environnementales » au sens du règlement n° 1367/2006, lequel impose que les motifs de refus d’accès soient interprétés de manière restrictive. La combinaison de ces deux contextes, législatif et environnemental, conduit la Cour à conclure que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001 « doit faire l’objet d’une interprétation et d’une application d’autant plus strictes ». Le Tribunal avait donc commis une erreur de droit en créant une présomption générale de confidentialité pour une catégorie de documents qui, au contraire, appelle à une transparence accrue. Cette double clé de lecture interdit à la Commission de se retrancher derrière des considérations générales pour refuser l’accès sans un examen concret et individuel de chaque document.

II. La consécration d’une conception extensive du contrôle démocratique

Au-delà du rejet de la présomption, l’arrêt réaffirme le droit pour les citoyens d’influencer en amont le processus législatif (A), même si la portée de cette solution pour les documents non législatifs ou non environnementaux demeure incertaine (B).

A. L’affirmation du droit des citoyens à influencer les étapes préliminaires de la législation

En jugeant que la divulgation des analyses d’impact est de nature à « accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif dans son ensemble », la Cour ne se contente pas de garantir un droit à l’information. Elle consacre le droit pour les citoyens d’exercer une influence sur le processus décisionnel à un stade où celle-ci peut encore être effective. La Cour précise en effet que l’exercice des droits démocratiques suppose un accès aux informations « en temps utile, à un moment qui les mette en mesure de faire valoir utilement leur point de vue sur ces choix ». Cet accès ne saurait être reporté à l’issue du processus, lorsque la Commission a déjà arrêté sa position, car il serait alors trop tard pour que le débat public puisse infléchir la proposition. L’arrêt valide ainsi la démarche de l’organisme requérant, qui cherchait non seulement à comprendre mais aussi à participer et à orienter les choix de l’institution. Cette approche s’oppose à une vision où la participation citoyenne serait cantonnée aux consultations publiques formelles organisées par la Commission. Elle promeut une démocratie participative continue, où le dialogue avec la société civile peut s’engager à l’initiative même de cette dernière, sur la base de documents internes rendus publics. La décision a donc une valeur considérable pour le renforcement de la légitimité démocratique de l’Union.

B. La portée incertaine de la solution pour les documents non législatifs ou non environnementaux

L’arrêt tire sa force de la double nature des documents litigieux, à la fois législatifs et environnementaux. Se pose alors la question de la portée de cette jurisprudence pour des analyses d’impact qui ne présenteraient pas cette double caractéristique. La Cour ancre en effet très solidement son raisonnement dans les principes d’un accès élargi aux documents législatifs et aux informations environnementales. La question reste ouverte de savoir si une présomption générale de confidentialité pourrait être admise pour des documents préparatoires relatifs, par exemple, à des actes non législatifs de la Commission ou à des domaines autres que l’environnement. Bien que la Cour rappelle le principe général selon lequel toute exception à la transparence doit être interprétée strictement et justifiée au cas par cas, l’insistance mise sur les contextes législatif et environnemental pourrait laisser penser que, dans d’autres domaines, une telle présomption ne serait pas aussi fermement écartée. Néanmoins, en rejetant l’argument central de la nécessité d’un « espace de réflexion » opaque, la Cour a porté un coup significatif à la logique même qui sous-tend de telles présomptions. Il semble donc probable que cette décision affaiblisse la capacité des institutions à invoquer de manière générale et abstraite la protection de leur processus décisionnel, les contraignant dorénavant à démontrer de manière plus concrète et spécifique le risque d’atteinte grave en cas de divulgation.

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Hassan KOHEN
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