Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié les règles de détermination du pays d’origine pour les fruits et légumes frais, confrontant la logique du marché unique à la protection de l’information du consommateur. En l’espèce, des champignons de couche subissaient des étapes de production significatives dans un État membre avant d’être transportés dans un autre État membre. La récolte intervenait dans ce second État, trois jours ou moins après leur arrivée. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour était appelée à arbitrer un conflit d’interprétation sur la notion de provenance. Le litige opposait une lecture fondée sur le lieu de la dernière transformation substantielle à celle, plus formelle, du lieu de récolte, dont dépendait l’étiquetage final du produit. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si la notion de « pays d’origine » pour les fruits et légumes, au sens du droit de l’Union, devait être définie par les règles douanières relatives à l’origine non préférentielle ou si elle pouvait être écartée au profit des règles générales de protection des consommateurs contre les informations trompeuses. De plus, il lui incombait de préciser si le critère de la récolte suffisait à conférer l’origine, même lorsque des étapes de production essentielles se déroulaient dans un autre État membre. La Cour de justice répond en consacrant une application stricte et exclusive des règles douanières. Elle juge que le pays d’origine est celui de la récolte, indépendamment des phases de production antérieures, et que cette indication obligatoire prime sur l’interdiction générale d’induire le consommateur en erreur, sans possibilité d’y ajouter des mentions correctrices.
I. La consécration d’une définition douanière de l’origine agricole
La Cour de justice de l’Union européenne choisit de résoudre la question de l’origine des produits agricoles en la soumettant à un corpus de règles unifié, celui du droit douanier (A), ce qui la conduit à identifier la récolte comme le seul fait générateur de l’origine pour les champignons (B).
A. Le renvoi systématique au code des douanes pour la notion de ‘pays d’origine’
La Cour établit d’abord un lien juridique direct et impératif entre la réglementation agricole et le droit douanier. Elle juge que, pour l’étiquetage des fruits et légumes, la définition de l’origine ne peut être autonome et doit être empruntée à un cadre juridique préexistant et harmonisé. La solution est énoncée clairement lorsqu’elle interprète les règlements agricoles en ce sens que « pour définir la notion de “pays d’origine” […], il convient de se référer aux règlements en matière douanière pour la détermination de l’origine non préférentielle des marchandises ». Cette approche garantit une interprétation uniforme de la notion d’origine au sein de l’Union, prévenant ainsi la fragmentation juridique qui pourrait résulter d’interprétations nationales divergentes ou de définitions spécifiques à chaque secteur agricole. En procédant ainsi, la Cour privilégie la sécurité juridique et la cohérence du marché intérieur sur une approche potentiellement plus casuistique.
Cette clarification méthodologique conduit la Cour à appliquer le critère spécifique prévu par le code des douanes aux produits dits « entièrement obtenus ».
B. L’assimilation de la récolte à l’obtention du produit
Appliquant ce cadre aux faits de l’espèce, la Cour se penche sur le cas particulier des champignons de couche. Elle énonce de manière péremptoire que « le pays d’origine des champignons de couche est leur pays de récolte », précisant que cette conclusion demeure valide même si « des étapes de production substantielles ont lieu dans d’autres États membres ». Cette position revient à considérer que la récolte est l’étape qui confère au produit son caractère originaire, au sens des règles douanières applicables aux produits végétaux. La Cour écarte ainsi délibérément la prise en compte du processus de culture antérieur, même si celui-ci constitue une phase de production économiquement et qualitativement significative. Le critère retenu est celui d’un événement factuel, simple à constater et à contrôler, plutôt qu’une appréciation complexe de la « dernière transformation substantielle ». Cette solution, d’apparence formaliste, offre l’avantage d’une grande prévisibilité pour les opérateurs économiques.
Ayant solidement ancré la notion d’origine dans le droit douanier, la Cour examine ensuite sa confrontation avec le droit de la consommation.
II. L’éviction des règles de protection du consommateur
La Cour de justice affirme la prévalence de la règle d’étiquetage spécifique sur le principe général de non-tromperie du consommateur (A), allant jusqu’à interdire toute mesure visant à corriger la perception de ce dernier (B).
A. La primauté de la règle spéciale d’étiquetage sur l’interdiction générale d’information trompeuse
La Cour établit une hiérarchie claire entre les normes applicables en matière d’étiquetage de l’origine. Elle juge que « l’interdiction générale d’induire le consommateur en erreur sur le pays d’origine des denrées alimentaires […] n’est pas applicable […] à l’indication de l’origine imposée » par la réglementation agricole spécifique aux fruits et légumes. Ce raisonnement repose sur le principe *lex specialis derogat legi generali* : la loi spéciale, qui impose une mention d’origine définie selon les règles douanières, déroge à la loi générale qui prohibe les pratiques commerciales trompeuses. En conséquence, une information, même si elle pouvait être perçue comme prêtant à confusion par un consommateur moyen, ne peut être jugée illicite dès lors qu’elle est conforme à l’obligation d’étiquetage spécifique. La protection du consommateur cède ici le pas devant l’exigence d’une application uniforme d’une règle technique du marché unique.
Cette logique d’exclusion est poussée à son terme par le rejet de toute mesure palliative qui viendrait tempérer la rigueur de la règle.
B. Le refus d’imposer des mentions explicatives correctrices
La Cour conclut que le droit de l’Union s’oppose à ce que des « mentions explicatives » soient imposées en complément de l’indication obligatoire du pays d’origine, même dans le but d’éviter d’induire le consommateur en erreur. Cette dernière précision achève de rendre le système hermétique à toute considération relative à la perception du consommateur. Si le pays de récolte est légalement le pays d’origine, aucune information supplémentaire ne peut être exigée pour nuancer cette affirmation en précisant, par exemple, le lieu de culture. La portée de cette décision est considérable : elle valide une potentielle déconnexion entre l’origine légale, affichée sur le produit, et la réalité du processus de production tel que pourrait l’imaginer un acheteur. La Cour fait ainsi le choix de la cohérence et de l’intégrité du système d’étiquetage obligatoire, au risque de consacrer une information qui, bien que juridiquement exacte, peut paraître incomplète ou contre-intuitive pour le consommateur final.